L’immobilier logistique tient sa revanche. « A mon premier Mipim en 2011, les gens se détournaient quand je leur disais que je faisais de l’immobilier logistique. Aujourd’hui, ils m’invitent au restaurant », sourit Jean-Paul Rival, directeur général de Concerto, filiale dédiée à l’ingénierie logistique du groupe Kaufman & Broad.
Vérification en chiffres : la demande placée en immobilier logistique atteint 3 039 100 m² sur les neuf premiers de 2021, soit une hausse de 22 % sur un an et de 21 % sur la moyenne décennale, selon CBRE.
Historiquement boudés par les investisseurs, les entrepôts et autres actifs logistiques sont portés depuis plusieurs années par le dynamisme du e-commerce, dopé en 2020 et 2021 par les fermetures administratives et les incitations gouvernementales à passer au click and collect. Résultat, les besoins logistiques des plates-formes de commerce en ligne comme Amazon, locataire d’une trentaine de sites français, sont croissants.
Autre conséquence de la hausse des achats en ligne, « des entreprises adaptent leurs outils de supply chain comme Carrefour ou revoient leurs chemins logistiques», observe Pierre-Louis Dumont, directeur exécutif de l’agence industrie et logistique de CBRE.
La Poste investit 450 M€
Citons aussi les industriels et les acteurs du colis comme La Poste, qui prévoit d’investir 450 M€ sur quatre ans dans sa filiale Colissimo. Ces utilisateurs de logistique sont mobilisés sur deux enjeux : « automatiser pour anticiper la saisonnalité des volumes afin de réaliser des économies d’échelle et s’adapter à la distribution du dernier kilomètre des clients, avec des possibilités de retours », note Christophe Chauvard, directeur général de l’entité française de P3 Logistic Parks, propriétaire de plus de 6 millions de m² en Europe.
Mécaniquement, la demande grimpe pour les surfaces stratégiques en cœur d’agglomération. « Le modèle se cherche en ce moment, mais le parc d’activités, de 500 à 5 000m², permet de répondre aux besoins (lire encadré plus bas), explique-t-il. Néanmoins, ces actifs situés en bordure de ville ne sont pas tous adaptés, en raison de l’accessibilité des camions notamment. »
La reconversion de friches industrielles ou commerciales, à condition qu’elles soient proches des villes, est l’autre piste envisagée pour faire face à la montée en puissance des livraisons en ville. Problème : « En tissu urbain, le réemploi de locaux est plutôt dirigé vers des programmes de logements », constate Rémi Goléger, directeur associé de Corsalis, jeune société immobilière qui a transformé (avec Altarea) un garage de plus de 4 000 m² en site de logistique urbaine à Paris (XIIe).
Sa méthode pour dénicher la perle rare ? « Face à l’extrême pénurie au niveau des fonciers et des bâtiments existants, il faut se mettre à l’écoute du marché par des voix différentes : les élus et les exploitants de toutes tailles », raconte l’entrepreneur.
Les entrepôts XXL commencent à essaimer
La demande est également très forte sur « des surfaces imposantes, plus lointaines, des bâtiments neufs de plus de 40 000m² », commente Christophe Chauvard, de P3 Logistic Parks.
Sur ce segment de marché, les Hauts-de-France tirent leur épingle du jeu. Six transactions XXL, c’est-à-dire de plus 50 000 m², y ont été enregistrées sur les neuf premiers mois de l’année. Deux opérations signées Seb et La Redoute affichent plus de 100 000 m². L’industriel annonce une livraison en 2023 à Bully-les-Mines (Pas-de-Calais) ; le e-commerçant, en 2025, au sein de la e-Valley, en cours de développement sur l’ancienne base aérienne de Cambrai (Nord).
Cette mégazone logistique est le fruit de « la politique volontariste du président de Région Xavier Bertrand, qui tranche avec l’Ile-de-France, Lyon, Bordeaux et Nantes, où il est difficile d’obtenir des autorisations », juge Pierre-Louis Dumont, de CBRE. Dans ces territoires marqués par un fort besoin en logistique urbaine, « la volonté politique bloque le développement pour favoriser le logement », ajoute-t-il.
Le sujet de l’acceptabilité touche aussi les zones péri-urbaines et rurales. « Sur un projet dans l’Ain, j’ai 600 emplois à créer. Mais l’élu refuse à cause des camions », déplore Didier Terrier, directeur associé d’Arthur Loyd Logistique.
Chaque mois, de nouveaux investisseurs
Au niveau national, le taux de vacance de l’immobilier logistique est inférieur à 4,8 %, d’après CBRE. Un record historique. Dans l’ex-région Rhône-Alpes (Aura) et en Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca), l’offre immédiate descend respectivement à 1,7 % et 2,5 %. En Ile-de-France, le taux est passé en un an de 6,8 % à 4,7 %.
Conséquence ? « Explosion des lancements en blanc mais aussi augmentation des valeurs locatives », résume Pierre-Louis Dumont. Si bien que « le loyer de l’ancien rattrape celui du neuf » en Aura et Paca, ajoute-t-il. « Autour de Lyon, l’immeuble disponible d’une quinzaine d’années se loue un peu plus cher que son voisin neuf livré dans douze mois. La hausse des loyers de 20 % depuis 2020 se concentre sur les bâtiments existants », complète Didier Terrier, d’Arthur Loyd Logistique.
D’où l’appétit des investisseurs ? « Je vois surtout des Français, des Américains, des Allemands… qui achètent en blanc des produits logistiques pour se diversifier après avoir longtemps miser sur le bureau et le résidentiel, confie Gabriel Franc, directeur général du Groupe Franc dont l’agence parisienne Agence Franc est spécialisée dans la logistique. La rentabilité d’un projet lancé en attente d’être loué était de 6-7 % il y a plusieurs années. Avec ces nouveaux entrants, elle est aujourd’hui de 3-4 %. »
Confirmation de CBRE, dans sa dernière note trimestrielle : « Compression du taux de rendement "prime" à 3,25 % » en raison de la « très bonne dynamique du marché de l’investissement ».
Il y a encore cinq ans, une dizaine de gros propriétaires comme Prologis et Goodman répondaient aux appels d’offre. Aujourd’hui, les candidats sont plus de 50 par projet… « Il n’y a pas un mois sans un nouvel Américain, un nouvel Asiatique. En général, il s’agit d’un fonds de pension qui confie la gestion de son argent à un asset manager jusqu’à atteindre la taille critique », témoigne François-Régis de Causans, directeur de l’investissement dans l’industrie et la logistique de CBRE.
Résultat, sur fond de taux de vacance faible avec des loyers en hausse : « Des actifs de seconde main se valorisent presque aussi cher que des actifs neufs. C’est du jamais vu », assure-t-il.
CBRE pense que la barre des 6 Mds investis dans l’immobilier logistique (et l’industrie) en France pourrait être franchie cette année. Une première.