Décryptage

Immobilier : les Ehpad mettent le cap sur la rénovation

Limités financièrement, les opérateurs concentrent leurs investissements sur les établissements existants pour améliorer les performances énergétiques et le confort des usagers.

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Construit en 1993 et géré par VYV3 Pays de Loire. l'Ehpad Le Muguet à Saint-Sébastien-sur-Loire (Loire-Atlantique) fait l'objet d'un projet de rénovation-extension confié à l'agence nantaise MUR Architectes. D'un coût de 5 millions d'euros, il doit s'achever en août 2026.

L'équation semble insoluble. D'un côté, la part de la population âgée dépendante va croître de 46 % d'ici vingt-cinq ans, selon l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). De l'autre, le nombre d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), qui assurent la prise en charge de plus de 600 000 résidents, recule : il est passé de 7 480 en 2019 à 7 282 en 2024. Les fermetures ne sont donc pas compensées par les ouvertures. « Dans le secteur public, tout dépend du document de programmation des priorités régionales de financement des créations, explique Didier Sapy, directeur général du cabinet de conseil Gerontim, spécialisé en gérontologie. Autant dire que, face à la complexité du cahier des charges, les opérateurs préfèrent se concentrer sur la transformation des établissements existants. » Entre 2003 et 2019, sous l'impulsion de l'arrêté du 26 avril 1999, la part des chambres à deux lits est passée de 17 % à 6,2 % et l'on ne compte plus que 21,2 % d'Ehpad dont au moins une chambre ne dispose pas de douche, contre 61 % en 2003. Cette évolution va de pair avec la transformation de ces établissements, comme l'indique le rapport sénatorial « Situation des Ehpad », publié en septembre dernier. Pour Didier Sapy, « il s'agit de s'éloigner de la chambre d'hôpital pour proposer des espaces privatifs avec des chambres de 22 à 26 m2 . La surface moyenne par résident atteint 55 à 56 m2 dans les rares projets récents, mais ce ratio prend en compte des espaces qui ne sont pas dédiés à la vie quotidienne du résident, comme les locaux administratifs. » Gerontim est intervenu au stade de faisabilité architecturale dans plusieurs projets de restructuration- extension d'Ehpad visant à proposer des chambres d'une superficie de 25 m2.

Retards. Dans leur rapport, les parlementaires constatent que les établissements affichent un retard en matière de rénovation du bâti : « 19,5 % des Ehpad n'ont connu de tels travaux depuis plus de vingt-cinq ans, et 44,5 % depuis au moins dix ans ». Le groupe Emeis (ex-Orpea) « a anticipé le rapport sénatorial pour moderniser, personnaliser et démédicaliser le plus possible » un patrimoine composé, en France, de 235 maisons de retraite médicalisées et résidences services seniors (RSS), assure Léonard Addesso, vice-président exécutif construction du groupe. « Les investissements pour la maintenance des actifs immobiliers sont fléchés selon les priorités suivantes : le respect des réglementations, le traitement des prescriptions, le remplacement des équipements en fin de cycle de vie et, enfin, la décoration intérieure », liste-t-il.

Au sein du groupe privé non lucratif VYV (130 Ehpad, 9 000 lits), la rénovation est une priorité, même si certains projets ont dû être abandonnés pour raisons budgétaires. « Entre la transition énergétique, la rénovation pure et simple des chambres, la transformation de l'offre et la mise en conformité, près de 25 % des établissements font actuellement l'objet d'un projet de rénovation, de 500 000 à 5 millions d'euros TDC », estime Sylvain Leconte, son directeur immobilier.

Contrat de performance énergétique. Cinq millions d'euros, c'est l'enveloppe du projet de rénovation-extension de la résidence construite en 1993, gérée par VYV3 Pays de la Loire, à Saint-Sébastien-sur-Loire (Loire-Atlantique). « Cette opération réalisée en site occupé vise à améliorer à la fois la qualité de vie des 82 résidents et les conditions de travail du personnel », indique Sylvain Leconte. Le chantier, qui doit s'étaler de février 2025 à août 2026, comporte aussi un volet énergétique : ITE, menuiseries extérieures, installation d'une géothermie… En matière d'efficacité thermique, Emeis a réalisé 350 audits énergétiques entre 2021 et 2023, et depuis peu, le groupe expérimente le contrat de performance énergétique (CPE).

Même si les établissements publics ont une marge d'investissement contrainte par les tarifs d'hébergement, certains bénéficient d'ambitieux projets de rénovation, à l'instar de l'Ehpad Maurice-Collet, à Rives-en-Seine (Seine-Maritime). Inaugurée en juillet 2023, cette opération de 16,7 M€ HT a cumulé, de façon séquencée, réhabilitation de constructions des XVIIe et XVIIIe siècles, démolition d'un bâtiment, création de deux ailes… « L'idée était de restructurer les chambres doubles sans douche en chambres individuelles, de permettre de nouvelles modalités de travail mais aussi d'aborder la question énergétique et le confort avec l'installation d'une PAC réversible », détaille Mahaut Souron-Cosson, directrice de l'Ehpad.

La rénovation des Ehpad ne constitue pas une réponse franche à un taux d'occupation en berne, passé de 93,4 % fin 2019 à 88,8 % au troisième trimestre 2023. Les causes sont multifactorielles comme le souligne le groupe de réflexion Matières grises, allant d'une mauvaise réputation liée au scandale Orpea en 2022 à l'accroissement du maintien à domicile. Pourtant, le secteur privé reste attractif comme l'analyse d'Aurélie Basnier, directrice expertises actifs de santé de la société de conseil en immobilier CBRE : « Certains investisseurs ont marqué une pause, mais globalement, les institutionnels s'intéressent toujours à cette niche et recherchent des établissements correctement entretenus en intégrant l'application du décret tertiaire dans leur décision. »

« Il faut ouvrir le Fonds vert à ces établissements », Anne Souyris, sénatrice (écologiste) de Paris, co-autrice du rapport d'information « Situation des Ehpad »

Les Ehpad seraient « à bout de souffle ». Comment cela se traduit-il ?

Ils sont en effet en grande difficulté. Tous statuts confondus, la part des Ehpad déficitaires est passée de 27 % à 66 % entre 2020 et 2023, et les taux d'occupation sont en baisse.

Et dans les Ehpad publics déficitaires, le niveau du déficit moyen par place était de 3 850 euros en 2023, contre 3 226 euros en 2022. Plus de la moitié des établissements privés à but non lucratif affichent un résultat déficitaire. Quant au secteur privé lucratif, il a vu son résultat net quasiment divisé par deux.

Quelles sont les priorités en matière de rénovation ?

Il s'agit d'effectuer des transformations majeures en adaptant les logements au virage domiciliaire et aux aspirations des résidents. L'enjeu est de penser à « un autre chez soi », avec la généralisation de plus grandes chambres, de petits espaces collectifs, de jardins, en aménageant l'Ehpad sous forme de microquartiers, notamment en secteur rural. Enfin, il est vital d'anticiper le réchauffement climatique en adaptant les bâtiments et en menant une réflexion sur leur autonomie énergétique.

Comment mobiliser les financements ?

Si l'urgence est de financer le sauvetage des Ehpad publics et privés non lucratifs, il est aussi impératif d'ouvrir le Fonds vert à la rénovation de ces établissements, et de l'abonder.

Enfin, la création d'une foncière nationale capable de mutualiser les moyens d'ingénierie de projets pour les Ehpad publics est essentielle afin de lancer une dynamique d'investissement.

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