Aménageur ? Ensemblier urbain ? Leur nom reste à inventer. Mais le secteur privé s’intéresse de plus en plus à l’aménagement urbain, qui restait jusqu’alors une prérogative publique. En décembre dernier, le groupe Vinci créait un département « grands projets aménagement urbain ». Nexity a créé sa filiale « Villes et Projets », il y a déjà deux ans, et Bouygues Immobilier met également ses compétences et son ingénierie au service des villes.
Cet appétit des grands groupes de promotion immobilière pour l’aménagement – pourtant financièrement peu rentable – relève d’abord de la stratégie : en intervenant le plus en amont possible, au moment où se libèrent les terrains et s’élaborent les projets, ces sociétés tentent de se placer en tête de la course au foncier. « On peut comparer notre rôle à celui d’un département de recherche et développement dans une entreprise, estime Jean-Luc Poidevin, DG de Nexity et responsable de Villes et Projets. Nous investissons à long terme de la matière grise et de l’argent, en proposant un service gratuit aux collectivités et en espérant, en retour, des droits à construire. » Francis Merelle, responsable du département aménagement de Vinci, précise toutefois : « La situation n’a rien à voir avec celle de la fin des années quatre-vingt. A l’époque, les promoteurs et les marchands de biens achetaient tout ce qui passait. Une fois la crise venue, certains se sont retrouvés contraints de porter des terrains durant des années. Aujourd’hui, l’approche des risques immobiliers est beaucoup plus encadrée. »
Qualité urbaine etdéveloppement durable.Ces groupes privés ont mis tous les atouts de leur côté : ils ont engagé des urbanistes, des architectes coordonnateurs ; ils se soucient de qualité urbaine et de développement durable. « Nous sommes aussi en contact avec les grands investisseurs internationaux qui ont parfois du mal à “ poser ” les fonds qui leur sont confiés. Nous pouvons en orienter une partie vers les villes », poursuit Francis Mérelle. Les grands groupes de promotion adossés à des géants du BTP, ou à des banques, se préparent à intervenir sur des espaces très vastes – des friches industrielles de plusieurs dizaines d’hectares. Plus vertueux que jamais ou simplement réalistes, ils se disent prêts à travailler ensemble, pour éviter que des secteurs entiers ne soient estampillés Bouygues ou Vinci avec une architecture uniforme.
Dans le paysage urbain français, la démarche surprend et certains acteurs publics continuent de s’en méfier. D’autres l’observent avec intérêt et assurent qu’un mouvement important et nouveau, porté par une conjoncture favorable, se dessine. « Les promoteurs ont fait des progrès, ils ont compris que la qualité peut aussi faire vendre, explique Dominique Alba, directrice du Pavillon de l’Arsenal à Paris. Ils sont capables de sortir du sempiternel argument : “ On offre ce que les gens veulent ”, et d’innover au plan architectural et urbain. »
Conserver la maîtrise du projet urbain. Patrick Rimbert, maire adjoint chargé de l’urbanisme à la ville de Nantes, rappelle cependant : « Nous devons conserver la maîtrise du projet urbain. Celui-ci correspond au projet politique d’une ville. Il doit donc être élaboré et suivi par un secteur public exigeant et contraignant pour ses partenaires privés. »Les maires volontaristes n’ont, aujourd’hui, pas grand mal à imposer leur point de vue. Depuis la loi « Solidarité et Renouvellement urbains », les textes et des pratiques désormais connues les y aident : les contraintes de mixité sociale et fonctionnelle sont, par exemple, fréquentes, même si elles ne sont pas inscrites dans ce document. Les concours successifs, des cahiers des charges plus précis, les architectes imposés, les chartes de développement durables, l’exigence d’espaces publics bien définis dans le programme… évitent de signer un blanc-seing à un partenaire privé, si professionnel et convaincant soit-il.
Encore faut-il que les villes disposent de services compétents ou d’une SEM, ce qui n’est pas le cas des petites communes. « Quelles que soient ses bonnes intentions, un promoteur ou un groupe de BTP n’a pas les mêmes intérêts qu’une collectivité locale, remarque l’urbaniste Nicolas Michelin. Les Anglais font bien la différence entre Urban Planning (généralement public) et Urban Design (privé), nous n’en sommes pas encore à ce degré de subtilité dans la définition des projets, et les architectes-urbanistes libéraux doivent défendre les projets des villes, même lorsqu’ils sont rémunérés par un promoteur. Une ville ou un quartier sont faits d’espaces publics et de paysages à concevoir et pas seulement de droits à construire. »