Habitat indigne : après les premiers diagnostics, Marseille passe à l'action

Un an après le drame de la rue d'Aubagne, l'Etat, la Ville et la métropole dégainent leurs armes pour sortir de l'ornière le bâti de l'hypercentre.

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EFFONDREMENT IMMEUBLES_RUE D'AUBAGNE
Le 5 novembre 2018, deux immeubles du centre-ville de Marseille, au numéros 63 et 65 de la rue d’Aubagne, s'effondraient faisant 8 morts.

Deux semaines avant le triste anniversaire du 5 novembre 2018, les familles des victimes et les locataires ayant survécu à l'effondrement des deux immeubles de la rue d'Aubagne, dans le quartier populaire de Noailles à Marseille, ont été reçues pour la première fois collectivement le 18 octobre 2019 par les trois juges d'instruction chargés de l'enquête.

Un rendez-vous très attendu afin de faire le point de l'enquête engagée pour tenter d'établir les causes de la tragédie qui a coûté la vie à huit personnes et démêler l'écheveau des responsabilités pénales.

Alors que le traumatisme reste à vif, ces hommes et ces femmes apprennent désormais à gérer le temps judiciaire. Un marathon dont la prochaine étape est programmée pour le 30 mars 2020, date à laquelle les deux experts mandatés par le procureur rendront leurs conclusions. « C'est sur la base de cette expertise structurelle que l'on pourra réfléchir aux responsabilités et aux mises en examen », insiste Me Brice Grazzini, avocat de plusieurs familles touchées.

Ce rapport devra reconstituer l'enchaînement des désordres ayant provoqué l'effondrement de trois immeubles mitoyens de cette rue populaire du centre ancien : le 63 et le 65 sont d'abord tombés, puis le 67 a été rasé par les marins-pompiers pour des raisons de sécurité.

Un consensus

A ce jour, un constat, celui de l'audit réalisé par les experts du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) venus ausculter 4000 immeubles du centre ancien au lendemain du drame, fait consensus. « La structure du bâti n'est pas si mauvaise. On est en présence d'îlots assez dégagés avec des constructions datant du XIXe siècle dépourvues de fondations profondes. Ce sont les murs qui assurent la portée. Le désordre vient des infiltrations d'eau par les caves et par les toits qui ont fragilisé les murs », éclaire Muriel Joer Le Corre, directrice du projet de rénovation du centre-ville de Marseille auprès du préfet des Bouches-du-Rhône.

Nommée en mai, Muriel Joer Le Corre a pour mission d'assurer la coordination des services de l'Etat dans le cadre de la rénovation du centre-ville et de contribuer à la préfiguration des outils nécessaires à la réalisation du projet partenarial d'aménagement (PPA) : grande opération d'urbanisme (GOU), SPLA-IN… Nathalie N'Doumbé, directrice générale adjointe de la direction du développement urbain et de la stratégie, sera son homologue à la métropole Aix-Marseille-Provence (AMP).

Au-delà de l'enquête judiciaire, le drame a jeté une lumière crue sur l'état du mal logement dans la deuxième ville du pays. Et la politique de l'autruche qui prévalait jusque-là a cédé la place à la psychose : quand les arrêtés de péril étaient autrefois pris au compte-gouttes, depuis le 5 novembre 2018, 350 immeubles ont été évacués à travers toute la ville au nom du principe de précaution.

Au total, près de 3 000 ménages ont dû quitter en urgence leur domicile, dans l'hypercentre et le reste de la ville, la plupart (70 %) relogés aux frais de la municipalité, ce qui a entraîné une facture qui dépasserait les 15 millions d'euros.

Des relogements temporaires… définitifs ?

Pour faire face à l'urgence, les bailleurs sociaux ont mis 372 logements à disposition de Soliha, l'association chargée par la Ville et l'Etat le 10 décembre 2018 de piloter la maîtrise d'œuvre urbaine et sociale (Mous) relogement. Les propriétaires privés ont également été appelés à contribution par l'Etat.

Les deux foncières Covivio et Primonial ont ainsi mobilisé une soixantaine d'appartements issus de leur patrimoine haussmannien, rue de la République, au sein de l'opération d'intérêt national Euroméditerranée. A ce jour, ce parc relais constitué en urgence a permis de reloger 591 ménages.

La politique de l'autruche qui prévalait jusque-là a cédé la place à la psychose : 350 immeubles ont été évacués dans toute la ville.

Pour nombre de familles évacuées, cette solution temporaire pourrait bien se révéler pérenne. Selon Soliha, 40 % des ménages relogés dans le parc social seraient susceptibles designer un bail définitif.

La situation a d'ailleurs conduit le préfet des Bouches-du-Rhône, Pierre Dartout, à demander dans un courrier adressé le 26 septembre 2019 aux directeurs généraux des organismes HLM de la région « de faire glisser le maximum de ces conventions temporaires vers un bail définitif ». Une exigence qui remet en cause les équilibres traditionnels des réservataires. Et qui pose en creux le problème du manque d'habitats conventionnés dans l'hypercentre.

Dans le quartier de Noailles, décor de la tragédie du 5 novembre, le taux de logements sociaux n'atteint pas les 5 %. Un déficit qui fait le lit des marchands de sommeil, trop heureux de pouvoir dégoter une clientèle de locataires captive… « 65 % de la population marseillaise est éligible au prêt locatif aidé d'intégration (PLAI), les HLM les plus sociaux. Or l'offre sociale est concentrée dans les quartiers nord. Au sud, la Ville détourne l'esprit de la loi SRU en ne construisant que des résidences étudiantes et des résidences seniors conventionnées », cingle Patrick Lacoste, de l'association « Un centre-ville pour tous » qui lutte contre la gentrification du secteur.

217 millions d'euros sur la table

Présent à Marseille dès le 5 novembre 2018, Julien Denormandie, ministre chargé de la Ville et du Logement, est revenu à plusieurs reprises sur le Vieux-Port. Le 15 juillet 2019, il était aux côtés de Martine Vassal, la présidente de la métropole Aix-Marseille-Provence et du département des Bouches-du-Rhône, pour parapher le PPA.

Baptisé « Marseille Horizons », celui-ci figure parmi les premiers du genre dans le pays. Il mobilise une enveloppe de 217 millions d'euros pour intervenir sur l'habitat dégradé dans un périmètre de 1 000 ha dans le grand centre-ville. Ce secteur héberge près de 200 000 des 861 635 habitants de la cité phocéenne.

D'une durée de quinze ans, ce plan de bataille associe les grandes agences de l'Etat, l'Agence nationale de l'habitat et l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, mais aussi l'établissement public foncier régional, l'établissement d'aménagement public Euroméditerranée, l'association régionale des HLM et la Banque des territoires.

Il cible dans une première phase 314 immeubles regroupant 1 829 logements à traiter en priorité. Des chiffres à rapprocher des

40 000 logements indignes recensés par l'Etat sur l'ensemble du territoire marseillais.

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