Interview

Grand témoin : « Notre groupe doit jouer son rôle d'amortisseur social », Bruno Arcadipane, président du Groupe Action Logement

Le président d'Action Logement veut maintenir le soutien au secteur du logement tant dans le neuf qu'en rénovation et en appelle au gouvernement pour surmonter la crise.

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Bruno Arcadipane, président du Groupe Action Logement

Les agréments HLM obtenus et les mises en chantier ont baissé entre 2021 et 2022. Quelles sont vos prévisions pour cette année ?

Le secteur sera à un niveau historiquement bas pour le XXIe siècle, à 85 000 agréments. Action Logement vise les 40 000 agréments en 2023 et plus de 32 000 mises en chantier. En tant que leader, nous refusons de réduire la voilure.

Et ce, malgré la hausse du taux du Livret A qui renchérit nos charges financières de près de 440 M€ entre 2022 et 2023.

Vous avez repoussé de 2025 à 2030 l'objectif de 80 000 logements gérés par votre filiale In'li. Comment accélérer la production de logements intermédiaires ?

Comme toute la profession, In'li est déstabilisée par le renversement de marché, mais elle a la chance d'avoir un actionnaire puissant. Nous avons besoin de logements intermédiaires dans un pays qui veut se réindustrialiser. Dans les Hauts-de-France, par exemple, l'arrivée des giga factories et la construction du canal Seine-Nord-Europe vont créer des dizaines de milliers d'emplois. En tant que chef d'entreprise, je connais les difficultés de recrutement faute de logements pour les salariés. La situation est d'une gravité absolue.

Lorsque cette problématique de logement se lie à celle de l'emploi, que vous y ajoutez une inflation inédite et des questions de pouvoir d'achat, vous allez tout droit vers un problème sociétal. Notre groupe doit jouer son rôle d'amortisseur social.

Comment répondez-vous à ces besoins ?

D'abord, les partenaires sociaux constituent notre gouvernance. Or, qui connaît mieux les salariés que les cinq principales organisations syndicales ? Qui connaît mieux les entrepreneurs que les deux organisations patronales majeures ? Ensuite, nous sommes implantés dans tous les territoires, de Lille (Nord) à Marseille (Bouches-du-Rhône), de Mamoudzou (Mayotte) à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe).

La demande arrive par les bassins d'emploi. Je me suis rendu au Puy du Fou (Vendée) avec une délégation de techniciens pour mesurer, analyser et identifier les besoins précis.

Ainsi, avec notre filiale Podeliha, nous avons apporté une réponse sur mesure, en proposant de l'habitat modulaire et déplaçable pour loger en particulier les saisonniers.

Action Logement s'est engagé à acheter 30 000 logements aux promoteurs qui peinent à les commercialiser à travers un appel à manifestation d'intérêt (AMI). Où en êtes-vous ?

Sur environ 75 000 demandes reçues depuis le 11 juillet, 12 000 logements sont en cours d'acquisition et 50 000 sont à l'étude. Nous en avons refusé 13 000. Action Logement est particulièrement réactif : nous répondons en moyenne en 33,5 jours. Toutefois, ces chiffres m'inquiètent car ils témoignent de la violence du retournement de marché.

Combien de logements allons-nous devoir analyser d'ici le 31 mars, date de la fin de notre AMI ? 150 000, 200 000 ? Si les constructeurs et promoteurs devaient s'effondrer, ce serait un drame pour le premier acteur du secteur que nous sommes. Nous risquons de perdre des salariés, puis des entreprises et un savoir-faire. Mais Action Logement n'a pas pour objet de soutenir seul la filière. C'est à l'exécutif d'annoncer les solutions pérennes pour rassurer la profession.

Qu'en attendez-vous ?

La construction est un secteur de temps long dans lequel il faut un niveau de confiance très élevé en raison d'un retour sur investissement tardif. Après l'échec du Conseil national de la refondation (CNR), la hausse des matières premières et la crise en Ukraine, cette confiance est très abîmée. Pour la retrouver, des signaux forts sont nécessaires. L'exécutif doit formuler quelques propositions qui feront redémarrer l'activité, mais il faut aussi que les maires signent des permis de construire, que les financements soient accessibles, que l'inflation soit maîtrisée…

« Nous avons besoin de logements intermédiaires dans un pays qui veut se réindustrialiser. »

Quelle est votre exposition aux promoteurs qui freinent les mises en chantier pour des raisons économiques ?

En 2022, la Vefa a représenté 50 % de nos nouveaux logements. Les promoteurs étant très déstabilisés par la crise actuelle, nous pourrions aussi l'être. Cependant, nous ne prévoyons pas de renforcer notre maîtrise d'ouvrage directe. Notre objectif est de conserver l'équilibre actuel. Ne faire que de la Vefa serait inopportun et tout internaliser ne permettrait pas d'atteindre nos ambitions.

CDC Habitat propose lui aussi de racheter des logements aux promoteurs. D'après la Fédération des promoteurs immobiliers, vos offres seraient plus généreuses. Pourquoi ?

La Caisse des dépôts (CDC) est un partenaire historique et sa filiale CDC Habitat, un collègue extrêmement respecté. En tant que président d'Action Logement, je veille à ce que les logements achetés par nos filiales répondent à des besoins précis. Premièrement, ils doivent servir aux salariés des entreprises privées, c'est notre raison d'être.

Deuxièmement, ils doivent correspondre à nos exigences en matière de décarbonation, de construction, de performance énergétique… La politique choisie par les partenaires sociaux est très verte. Les dossiers déposés par les promoteurs sont regardés au niveau national et ce sont nos opérateurs de proximité qui acquièrent à la fin… ou pas. Nous ne sommes ni des acheteurs de remise, ni des marchands de biens.

Votre plan de décarbonation prévoit un investissement de 8 Mds € par an. Comment se répartit cette somme ?

Il n'y a pas de recette unique. Il faut multiplier les initiatives sur toutes les réhabilitations, les constructions neuves, mais aussi les financements d'Action Logement Services.

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Sur les prêts aux personnes morales, par exemple, nous avons fixé comme objectif que 35 % des opérations atteignent le seuil 2025 de la RE 2020. Plus généralement, nous ne lançons plus une opération de financement, de construction ou même de gestion de nos frais généraux, sans penser à la décarbonation. C'est devenu un réflexe.

Cette démarche porte-t-elle déjà ses fruits ?

Oui. Entre notre premier bilan carbone, réalisé dès 2019, et celui de 2022, nos émissions ont baissé de 5 %.

Un bon résultat qui découle de l'effort d'éradication des passoires thermiques. Nous sommes donc en bonne voie pour atteindre notre objectif de les réduire de 55 % en 2030 par rapport à 2019 même si, plus nous avancerons, plus les gains seront difficiles.

Justement, où en êtes-vous de l'élimination des passoires énergétiques ?

Nous respectons nos objectifs. Nous aurons rénové 98 % des logements avec une étiquette F et G à la fin de l'année.

Les logements restants seront quasiment tous traités en 2024, dans le cadre de nos 40 000 rénovations par an. Subsisteront en 2025 quelques cas, plus compliqués pour des questions techniques ou patrimoniales. Quant aux habitations notées « E », elles ne représenteront plus que 9 % du parc fin 2023. Nous visons un parc avec des étiquettes A, B ou C à l'horizon 2030. A condition que les règles ne changent pas.

Le strict encadrement des augmentations des loyers ne freine-t-il pas ces rénovations ?

Aujourd'hui, nos locataires sont les grands gagnants de ces opérations. Lorsque leur immeuble est réhabilité, du pouvoir d'achat leur est rendu puisque les charges baissent sans que le loyer augmente. Pour des grosses opérations, il serait juste que nous puissions les considérer comme des logements neufs, notamment pour le financement.

Depuis 2017, le secteur HLM a perdu plus de 10 Mds €. Si nous devons maintenir un rythme de rénovations aussi élevé, sans tenir compte de cette seconde vie des bâtiments, nous risquons d'atteindre des limites. Selon nos calculs sur des milliers d'opérations d'acquisition-rénovation liées au programme Action cœur de ville, le coût moyen atteint 3 359 euros/m2 en 2022, soit une hausse de plus de 10 % par rapport à la période 2018-2021. Ce surcoût concerne aussi bien le foncier que les travaux.

Vos recettes proviennent de la participation de l'employeur à l'effort de construction (Peec), une part de la masse salariale des entreprises de plus de 50 salariés. Le retour au plein-emploi vous donne-t-il des moyens supplémentaires ?

Effectivement, comme l'ensemble des acteurs économiques de ce pays, nous avons intérêt à nous rapprocher du plein-emploi. Je rappelle cependant qu'il y a quelques années encore, le versement de la Peec démarrait à 10 salariés, puis 20 et aujourd'hui 50. Par ailleurs, nous avons suffisamment été ponctionnés et subi des coups de rabot ces derniers temps. Je ne peux donc pas me réjouir de quelques subsides supplémentaires alors que nous en avons perdu beaucoup.

La Fédération des offices publics de l'habitat (OPH) vient de lancer un recours administratif à l'encontre de l'Etat et de votre groupe pour non-respect du principe de non-discrimination de la Peec (lire p. 8). Sur quelle période auriez-vous privilégié vos filiales au profit des autres organismes HLM ? Que répondez-vous ?

Je n'ai rien à ajouter à la réaction de la présidente de l'USH, Emmanuelle Cosse, sur cette initiative [« Les HLM n'ont pas besoin de francs-tireurs », a-t-elle écrit sur le réseau social X, NDLR]. Il est regrettable, au moment où une crise multi factorielle d'une ampleur sans précédent touche notre secteur, de tenter de diviser, sans aucun fondement, ses acteurs principaux. D'autant plus qu'aucun dossier faisant référence à une discrimination de traitement, depuis la signature de la Convention quinquennale en 2018, n'a été déposé par un bailleur social. Les partenaires sociaux et l'Etat veillent au quotidien à ce que la non-discrimination soit parfaitement appliquée.

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