Gestionnaires publics : le nouveau régime de responsabilité financière affecte les marchés publics

Deux décisions de la Cour des comptes illustrent les effets de la réforme de 2022 sur les acheteurs… et les entreprises.

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Le régime de responsabilité financière des gestionnaires publics (RFGP) se précise au fil des décisions rendues par la Cour des comptes. Entrée en vigueur le 1er janvier 2023, la RFGP unifie la responsabilité des ordonnateurs publics et celle des comptables publics. « Il y avait auparavant deux régimes distincts, plutôt inefficaces », rappelle Pierrick Raude, avocat associé chez Rivière Avocats. Le nouveau cadre juridique prévoit une dizaine d'infractions, punies d'une amende pouvant aller jusqu'à six mois de salaire. Elles ciblent principalement les manquements aux règles relatives à l'exécution des dépenses et des recettes. Ne sont dans ce cas réprimées que les fautes graves ayant causé un préjudice significatif. La RFGP vise par ailleurs quatre infractions purement formelles portant sur l'application des règles budgétaires et comptables.

Est également sanctionnée l'infraction d'octroi d'un avantage injustifié - dont le champ d'application se rapproche du délit pénal de favoritisme - qui porte sur le non-respect des règles ayant pour objet de garantir l'accès et l'égalité des candidats dans les contrats de la commande publique. « La RFGP ne remplace toutefois pas le risque pénal, qui est pleinement maintenu, alerte Pierrick Raude. D'ailleurs, les juridictions pénales et financières communiquent entre elles et se transmettent des affaires. »

Les collectivités dans le viseur

« Si tous les organismes soumis au contrôle des juridictions financières sont assujettis au nouveau régime, dans les faits, 80 % du contentieux concerne les collectivités territoriales, poursuit l'avocat. L'essentiel des poursuites provient des contrôles des chambres régionales des comptes, elles sont donc beaucoup plus exposées que l'Etat ou les hôpitaux par exemple. » Quant aux justiciables, il s'agit de tous les acteurs de la chaîne financière. De sorte que sont visés tous les fonctionnaires et agents des entités assujetties à la RFGP. Les élus en sont en principe exclus mais peuvent, par exception, être poursuivis pour quatre infractions.

Gestion de fait

Plus inattendu, les entreprises titulaires d'un marché public encourent également un risque au titre de la RFGP. « Toute personne qui a participé à une gestion de fait peut être mise en cause », indique Pierrick Raude. La gestion de fait consiste à « s'immiscer sans titre légal dans les fonctions réservées par la loi au comptable public en maniant ou détenant irrégulièrement des fonds publics », selon le Code des juridictions financières. Ainsi dans un arrêt rendu le 14 novembre 2024 (n° S-2024-1392, Commune de Saint-Ouen-sur-Seine), la Cour des comptes a condamné une entreprise ayant perçu et encaissé des recettes pour le compte d'une commune dans le cadre d'un marché de prestations intellectuelles sans en avoir le mandat.

« Rigueur renforcée »

La RFGP peut aussi avoir des effets plus indirects sur les opérateurs économiques. Le 13 mai 2025, les Sages de la rue Cambon (arrêt n°S-2025-0647, Commune d'Eguilles) ont sanctionné d'une amende de 7 500 euros un comptable public qui n'avait pas payé les prestations d'un marché public de travaux au bon montant. Il n'avait pas relevé que le prix facturé par l'entreprise, lors de 35 mandatements successifs, était supérieur au prix figurant au bordereau de prix unitaire contractuel. La surfacturation, qui s'élevait à environ 990 000 euros, a pu être régularisée lors de l'établissement du décompte général et définitif du marché.

Pour Pierrick Raude, cette décision peut inciter les collectivités à faire preuve « d'une rigueur renforcée lors de la passation et l'exécution des marchés. Côté entreprises, le risque est de voir les procédures administratives s'alourdir et les délais, notamment de paiement, s'allonger », prévient-il.

   L'association France Urbaine dénonce le « climat anxiogène » que fait régner le nouveau régime.

Un régime décrié

Un risque pointé du doigt par le Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT) dans un manifeste publié le 2 mai. Il y affirme que la RFGP peut entraîner une « inhibition de l'action publique ». France Urbaine partage la même crainte. Dans un courrier adressé au législateur le 30 avril, l'association d'élus dénonce en effet le « climat anxiogène » que fait régner le nouveau régime. Elle estime que les premières décisions rendues par la Cour des comptes « nourrissent le sentiment d'une quasi-automaticité des poursuites » et regrette « une approche pour le moins étendue de la caractérisation de la faute grave causant un préjudice significatif ». Si bien que le SNDGCT et France Urbaine réclament de concert un assouplissement du dispositif. « La RFGP a quelques limites et sa maturité n'est pas encore acquise, souligne Pierrick Raude. Il faut attendre probablement encore un ou deux ans pour que la jurisprudence se stabilise et trouve des points d'équilibre. »

Des fonctions distinctes

Il existe en gestion publique un principe de séparation des fonctions d'ordonnateur et de comptable. Cette distinction est maintenue avec la mise en place de la RFGP.

Les ordonnateurs jouent le rôle de décideurs financiers : ils prescrivent l'exécution des recettes et des dépenses. Quant aux comptables, ils paient les dépenses engagées par les ordonnateurs. Leur rôle consiste à contrôler les comptes des personnes publiques.

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