Depuis cinq mois, les entreprises italiennes s'affairent jour et nuit à démembrer les restes du pont Morandi, à Gênes (Italie). Ce viaduc de 1,1 km de long pour 40 m de large, qui comprenait à l'origine dix appuis et deux culées, constituait l'un des principaux axes de circulation de la ville. L'ouvrage se reconnaissait de loin avec ses sept piles et ses trois pylônes monumentaux haubanés. C'est l'un d'entre eux qui s'est effondré le 14 août 2018.
« Juste après la catastrophe, la stabilité du pont ne pouvait plus être garantie. Il adonc fallu sécuriser la zone afin d'accéder au site », témoigne Alberto Goio, ingénieur concepteur chez IPE Progetti, le bureau d'études chargé de concevoir sa démolition. Le travail est titanesque et les délais serrés : six mois seulement prévus pour désosser l'infrastructure. Au niveau de la zone effondrée, des appuis de stabilisation en acier de 300 t ont dû être installés, avant que des plans détaillés de l'ensemble de la structure soient établis à partir des relevés réalisés avec des scanners laser. « Le profil géométrique obtenu a permis d'effectuer des calculs, de mener des tests et d'organiser les opérations de déconstruction », poursuit l'ingénieur.
Découper puis lever. Ces analyses ont conduit à scinder le chantier en deux zones : celle à l'est de la partie accidentée, composée des deux pylônes haubanés restants, et la partie ouest avec ses piles. La première étape a consisté à scier le tablier au fil diamanté pour démonter les travées. Une phase délicate, compte tenu de la présence potentielle d'amiante. Les résultats des analyses menées sur les effluents se sont finalement révélés rassurants. « D'infimes traces ont été retrouvées. Les fibres étant invisibles au microscope électronique, il n'y a pas de risque », précise Andrea Tomarchio, directeur de projet chez Rina Consulting, maître d'œuvre de l'opération. Néanmoins, par précaution, d'importantes quantités d'eau ont été projetées afin de limiter les émissions de poussières lors de la découpe.
Les sections pouvaient alors être découpées à l'aide d'une scie à fil diamanté et descendues au sol grâce à de puissants vérins. Certaines opérations ont même été conduites avec une précision de l'ordre du centimètre, puisque le pont Morandi se situe dans une zone dense, en surplomb d'usines et à proximité de logements (lire ci-dessous).
Partager l'espace. La deuxième phase, qui consiste à déconstruire les piles, a démarré à la suite du démontage de la dernière travée, le 30 mai. Les équipes ont commencé par la pile 5, située au milieu de la partie ouest du pont. Pourquoi ne pas avoir débuté par la pile 8, au plus proche du lieu de l'effondrement ? « Notre planning tient compte de l'activité car les équipes chargées de la construction du nouveau pont se sont attaquées aux fondations dès mars, justifie Alberto Goio. Démontage des piles et construction du nouvel ouvrage se déroulent donc en parallèle. » Début juin, les compagnons chargés de la déconstruction se sont attelés à nettoyer la pile numéro 7, soit l'avant-dernière. Le temps presse pour permettre l'ouverture à la circulation du nouveau viaduc en avril 2020. « C'est l'une des principales difficultés du chantier : non seulement les délais sont serrés, mais plusieurs sociétés avec des missions très différentes travaillent en simultané sur un périmètre limité, ce qui exige une coordination rigoureuse », relève Andrea Tomarchio (Rina Consulting).
Pour cette nouvelle étape, la déconstruction des piles ne s'effectue plus avec des vérins comme pour les travées, mais grâce à deux grues, qui opèrent de concert. Leur utilisation dépend des conditions météo. Lorsque la vitesse du vent dépasse les 40 km/h, les levages deviennent impossibles. Or, cette région est surnommée « la vallée du vent ». « En près de cinq mois, nous comptons dix jours d'interruption, soutient Alberto Goio. Nous continuons à œuvrer les jours de forts vents, sans utiliser les grues. » Une fois le tronçon ouest traité, restera à démanteler la partie haubanée, à l'est. Pour cette dernière zone, qui comprend les piles les plus imposantes, le bureau d'études a prévu de recourir à des explosifs. Un système d'écrans d'eau a été mis au point spécialement pour cette opération qui doit intervenir à une centaine de mètres seulement des habitations les plus proches, et qui se déroulera d'ici les prochaines semaines (lire p. 51). La fin du chantier est espérée pour juillet.
