Le Moniteur : Vous avez pris vos fonctions de P-DG de Spie en début d'année. Quelles sont vos priorités d'action ?
Depuis une dizaine d'années, Spie est résolument passée d'une stratégie de grands projets à une stratégie de services. C'est un mouvement que je souhaite poursuivre. A court terme, nous devons nous concentrer pour traverser le mieux possible la crise actuelle. A moyen terme, étant positionnée sur des métiers porteurs, Spie trouvera des relais de croissance en s'inscrivant dans l'économie verte. Aujourd'hui, 20 % de notre activité est déjà liée à l'«économie verte».
Qu'entendez-vous par économie verte ?
L'économie verte c'est tout simplement l'intégration de la contrainte carbone et de la contrainte ressource dans l'économie. C'est une action que nous avons initiée depuis plusieurs années et que nous menons avec nos clients en construisant avec eux des solutions d'énergie propre ou renouvelable ou encore en optimisant leur utilisation des ressources en énergie et en matières premières.
Quelle est votre approche de l' «efficacité énergétique» ?
L'efficacité énergétique fait partie intégrante de nos métiers ; en industrie, en tertiaire, en travaux neufs comme en rénovation... Toutes nos offres de maintenance s'accompagnent d'un volet «performance énergétique». A ce titre, je regrette vivement l'abandon de la taxe carbone. Elle donnait un signal prix fort sur l'énergie et faisait prendre conscience de la rareté des ressources. Ce faisant, elle améliorait aussi les temps de retour sur investissement (TRI) des solutions que nous préconisons pour économiser l'énergie. Avec une vraie taxe carbone, le TRI pour un système d'éclairage public serait passé de 7-8 ans à 2-3 ans.
Comment se porte votre activité ?
Fin 2008, l'entrée en crise a été brutale. En 2009, la concurrence a été forte, les prix ont chuté, mais nous avons réussi à maintenir notre activité et nos résultats. Cette année, l'industrie se redresse timidement avec des opérations de maintenance. Dans le tertiaire, le neuf est en baisse. En rénovation, nous sentons une légère reprise. De sorte qu'au final, nous prévoyons une légère baisse de notre activité.
Chez Spie, les cycles sont courts et l'affaire moyenne est d'environ 30 000 euros. Nous avons cinq mois de carnets de commande. Mais la nature de notre activité -notamment sa récurrence- fait qu'en termes d'affaires «sécurisées», nous sommes bien au-delà de cinq mois.
Comment avez-vous réussi à maintenir votre rentabilité ?
C'est essentiellement le fruit d'une discipline de terrain. Chaque responsable a su garder la tête froide en ne prenant pas d'affaires à prix cassés.
Quels sont vos objectifs à trois ans ?
Compte tenu de la sévérité de la crise et du peu de visibilité qu'avaient nos clients, nous avons considéré que l'exercice de prévision à trois ans n'avait pas beaucoup de sens. Nous allons rebâtir prudemment un plan triennal à partir de 2011 sachant que notre activité est assez corrélée au PIB. Je suis favorable à un plan bâti avec les managers locaux pour qu'ils s'approprient l'objectif plutôt qu'à une directive venue d'en haut sur des bases imprécises.
La production et la distribution d'énergie sont des marchés dynamiques. En bénéficiez-vous ?
Le domaine de l'énergie reste très porteur : photovoltaïque, nucléaire, transport et distribution d'électricité... Par exemple aux Pays-Bas, le marché de construction de lignes à haute tension est très dynamique et nous y sommes l'acteur numéro un.
Nous participons à la construction d'une centrale thermique à Blénod-lès-Pont-à-Mousson, ainsi qu'à d'autres centrales au Royaume-Uni pour EDF et Alstom.
Dans le photovoltaïque, nous avons développé de nombreux projets. Notre filiale Spie Sud-Ouest vient d'ailleurs de passer le cap des 5 millions de kWh productibles.
Vous avez remporté plusieurs lots sur le chantier de la centrale EPR de Flamanville. Quels sont vos atouts et où en êtes-vous du chantier ?
D'abord nous avons une longue histoire dans le nucléaire puisque nous avons participé à la construction de nombreuses centrales en France et en Belgique. Nous connaissons bien les spécificités de ce secteur. Sur le réacteur EPR de Flamanville, nous sommes en charge des marchés IEG (installations électriques générales) et «sécurisation du site». Cela suppose des compétences très particulières et cela représente des milliers d'heures d'études que mène notre bureau d'études basé à Tours. Je pense que c'est un facteur important pour rassurer le client. A l'heure actuelle, nous commençons à poser des chemins de câble en suivant l'avancement du génie civil.
Quelles sont vos ambitions sur le marché du nucléaire français ?
Outre le neuf, nous participons régulièrement aux arrêts de tranche et aux travaux de rénovation. Ce sont des contrats récurrents qui peuvent s'étaler sur sept ou huit ans. Nous regardons de près le marché de prolongation de la durée des centrales au-delà de 30 ans, voire de 40 ans. C'est un marché de l'ordre de 300 millions d'euros par tranche (dont 70 pour les lots qui intéressent Spie). Quand on sait qu'il y a 58 tranches en France, cela représente des investissements considérables. L'enjeu est d'autant plus important qu'EDF souhaite aussi améliorer le coefficient de disponibilité des centrales. Ce qui signifie optimiser les arrêts de tranche. Notre volonté est d'être un partenaire proche d'EDF et force de propositions.
Les travaux de démantèlement vous intéressent-ils ?
Les chantiers liés au démantèlement montent en puissance. Nous y sommes présents. Mais comme il s'agit d'investissements lourds et non productifs, je ne m'attends pas à une explosion du marché. Aujourd'hui, il représente pour nous 5 à 10 millions d'euros de chiffre d'affaires par an.
Regardez-vous le programme nucléaire anglais ?
Nous suivons de très près ce qui se passe en Grande-Bretagne. Le calendrier nucléaire du Royaume-Uni prévoit des appels d'offres en 2011 pour ce qui nous intéresse. Nous créons d'ailleurs une filiale spécifique dédiée au marché nucléaire Outre-manche et nous avons mis en place un programme de formation de nos équipes.
Quelles sont vos ambitions sur la scène européenne ?
Je voudrais que la part de notre chiffre d'affaires hors de France atteigne ou dépasse 50 % (40 % aujourd'hui). Le marché au niveau européen est encore plus atomisé qu'en France. Notre potentiel de croissance par acquisitions y est donc important.
Ma priorité est de nous renforcer dans les pays où nous sommes présents : au Royaume-Uni, plutôt dans le secteur industriel ; aux Pays-Bas, plutôt dans le domaine du tertiaire. Notre modèle de développement veut que nous soyons présents le plus largement possible -industrie, tertiaire, infrastructures- pour être moins sensibles aux cycles de l'un ou l'autre des secteurs. Nous observons que plus on est un acteur significatif sur un marché, mieux on se porte en termes de croissance et de rentabilité.
Nous regardons aussi l'Allemagne où nous sommes assez peu présents. C'est un marché très fragmenté, assez dominé par les entreprises générales. Mais c'est un sujet que nous voudrions amener à maturité.
Souhaitez-vous vous développer dans le « facility management » ?
Il y a deux types de métiers dans le «facility management». Les métiers liés aux équipements, à la maintenance technique... Et les métiers liés aux services (gardiennage, blanchisserie...). Aujourd'hui, Spie est présente dans la première catégorie et n'a pas besoin de se développer sur la seconde. Lorsque le client nous le demande, nous le faisons mais ça n'est pas notre vocation.
Quels sont vos moyens en termes de croissance externe ?
En 2008, nous avons fait 18 acquisitions pour environ 200 millions d'euros de CA. En 2009, nous avons fait 11 acquisitions pour 100 millions. Cette année, nous devrions suivre sensiblement la même tendance. Plusieurs dossiers sont proches d'aboutir.
Dans le cadre de notre LBO, nous disposions d'une ligne de crédits pour faire des acquisitions que nous avons utilisée. Pour le reste, nos capacités d'investissement dépendent directement des bénéfices que nous générons en étant très rigoureux sur la prise d'affaires, en s'astreignant à avoir un besoin en fonds de roulement négatif... Aujourd'hui, nous disposons de 150 millions d'euros, ce qui pourrait nous permettre d'acquérir entre 500 et 600 millions de chiffre d'affaires. Si nous souhaitons mener une grosse opération, nous devons renégocier un financement ad hoc avec notre actionnaire.
Depuis 2006, Spie a comme actionnaire principal PAI partners dans le cadre d'un LBO. Avez-vous réussi à tenir vos engagements financiers auprès des banques ?
Nous avons fait mieux que prévu. Nous avons terminé l'année 2009 avec un ratio «dette nette/Ebitda» de 3,2 quand la limite était fixée à 4,5. En théorie, cela pourrait nous permettre de passer à des financements plus «traditionnels», mais pour l'heure, les conditions ne sont pas plus intéressantes que notre financement en LBO. Il faut dire que nous avions négocié en 2007 de bonnes conditions de dette.
Quand PAI partners sortira-t-il du capital et comment voyez-vous l'avenir de l'actionnariat de Spie ?
Nous entrons dans notre cinquième année de LBO. Une période où chacun s'interroge, banquiers et salariés, sur le moment où nous allons sortir de ce dispositif. Ce sera au plus tôt en 2011. Trois grandes options de sortie existent : une introduction en bourse, un LBO secondaire ou le rachat par un major du BTP. Ma préférence va aux deux premières puisqu'elles permettent de conserver l'indépendance de l'entreprise.
Spie a une taille très correcte pour une introduction en bourse. Il existe d'ailleurs un modèle comparable au nôtre avec la société hollandaise Imtech cotée à Amsterdam. L'introduction en bourse nous permettrait aussi d'élargir notre actionnariat salarié, un des fondamentaux de Spie.
L'option du LBO secondaire qui était totalement exclue il y a quelques temps émerge de nouveau. Quant au rachat par un major du BTP, je ne pense pas que la période s'y prête. De toute façon, notre actionnaire n'est pas pressé de se séparer de nous.
L'adossement à un grand groupe de BTP ne serait-il pas intéressant ?
Rejoindre un grand du BTP n'apporterait pas nécessairement une valeur ajoutée à Spie. D'abord, parce que nous travaillons déjà régulièrement avec les majors. Ensuite, parce que nous préférons garder une maîtrise complète des affaires sur lesquelles nous souhaitons nous engager.
Dans vos métiers, où sont les ressorts de l'innovation ?
Le premier ressort de l'innovation est lié à nos travaux, à nos méthodes de chantier pour la productivité, la sécurité... Un de nos collaborateurs a inventé la «Luxicar», un véhicule qui permet de faire un relevé cartographié des niveaux d'éclairement. On peut citer aussi le drone « Thermobât »embarquant une caméra infrarouge pour faire des relevés thermographiques...
L'autre ressort d'innovation concerne la mise en œuvre des produits et systèmes, ce qui suppose une veille technologique intense. Dans le domaine des systèmes de communication par exemple, les technologies évoluent très rapidement. Nous devons être à la pointe.
Où en sont vos effectifs ?
Aujourd'hui, Spie compte 28.500 collaborateurs dont 17.740 en France. En 2009, nous avons freiné les recrutements et les renouvellements. Et nous avons formé et redéployé du personnel de nos activités industrielles vers le nucléaire où nous connaissons un problème de ressources. Par ces évolutions, Spie fait la preuve qu'elle peut offrir de nombreuses opportunités à ses salariés.
A périmètre constant, l'effectif a baissé de 1 000 personnes dans le monde. En 2010, la politique d'embauche devrait être assez semblable. Nous essayons de maintenir un taux d'apprentis de 5 à 6 %.
Quel est l'objectif de la plateforme myspie.eu que vous avez lancée en 2008 ?
Nous avons une multiplicité de métiers mais des métiers pas toujours très visibles. Notre objectif est de montrer, par une approche ludique qui emprunte aux mondes virtuels et aux « serious games », tous les savoir-faire de Spie, notamment aux potentielles jeunes recrues. C'est pour cela que nous avons lancé « Myspie » (dont une nouvelle version liée aux réseaux sociaux sera très prochainement mise en ligne). Cette plateforme de communication interactive en 3D intéresse non seulement les jeunes candidats mais aussi nos collaborateurs qui s'en servent pour présenter l'étendue de l'offre de Spie aux clients.
Vous êtes régulièrement récompensés* pour vos efforts en matière de sécurité. Où en êtes-vous et quels sont vos objectifs ?
La sécurité est un combat de tous les instants. Pas une réunion importante ne se déroule sans que nous parlions sécurité. Aujourd'hui, notre taux de fréquence est de 5,1 alors que le taux moyen est de 13,8 pour les entreprises françaises de génie électrique et climatique. Notre objectif est bien sûr de tendre vers zéro. Tous nos collaborateurs sont sensibilisés à la question. Chaque matin, 28 500 salariés de Spie partent au travail. Ma première responsabilité est qu'ils rentrent chez eux le soir en bonne santé.