L'enquête
L'enquête menée a mis e n évidence les énormes différences entre les pays de l 'Union e n matière de garanties, de responsabilités et d'assurance construction.
Dans un certain nombre de pays, il n'existe actuellement aucune obligation d'assurance pour les architectes, en particulier en Allemagne, au Danemark, en Espagne, en Finlande, en Grèce, en Irlande, en Italie, en Lettonie, en Lituanie, à Malte, aux Pays-Bas, au Portugal, en Roumanie, au Royaume-Uni et en Suède. Encore qu'en l'absence d'obligation il y a souvent une assurance de souscrite. Les garanties couvertes peuvent varier. Le plus souvent lorsqu'il y a une obligation d'assurance un contrôle est exercé soit par l'État soit par la chambre d'enregistrement. Il n'existe parfois pas d'obligation d'assurance pour les autres intervenants dont parfois les entreprises de construction. Dans certains pays il est possible de limiter contractuellement les responsabilités, dans d'autres non, comme la France. Des risques de condamnationin solidum existent y compris dans des pays où il n'y pas d'obligation d'assurance, cependant ce régime est minoritaire en Europe. Les durées des responsabilités sont très changeantes. Dans de nombreux pays la durée de responsabilité est bien plus courte. Si elles peuvent aller jusqu'à 10 ans en France, en Belgique, en Grèce, en Italie, au Luxembourg ou aux Pays Bas, par ailleurs la nature des responsabilités courant sur une telle durée est variable. En France elle relève du régime de la recherche de responsabilité. En Allemagne, la garantie quinquennale est contractuelle et portée par les entreprises, la responsabilité des architectes est uniquement de nature civile. Dans les pays anglo-saxons, où n'existe pas d'obligation d'assurance pour les constructeurs, elle est souvent remplacée par une responsabilité des choses directement souscrite par le maître d'ouvrage, mais parfois aussi par des garanties imposées dans le cadre du contrat.
De nombreuses sources d'iniquité, d'inefficacité et d'incertitudes ont été mises en évidences, dans différents pays, en particulier en matière :
- de délais de réclamations ;
- de responsabilités relatives aux erreurs réelles ;
- de répartition des responsabilités entre les parties ;
- de transfert ou de maintien des couvertures en cas de modification d'assureur.
Dans un tel contexte, il était extrêmement difficile d'arriver à un consensus pour proposer un système commun en matière de garanties, de responsabilités et d'assurance. Les représentants des pays où n'existe pas d'obligation d'assurance ont souvent conscience qu'une telle obligation apporte des garanties aux consommateurs mais aussi aux architectes et qu'une évolution doit être envisagée.
Les enjeux
Les enjeux d'une convergence sont importants pour les architectes.
D'un pays à l'autre, les taux de cotisation s'inscrivent dans des rapports de un à dix, certes avec des différences de risques. Les divergences des systèmes existants freinent les possibilités de prestations à l'export, en particulier à destination de pays où les régimes de responsabilités et d'obligations d'assurances s ont plus contraignants. Les assureurs des pays d'origine des prestataires ne sont pas toujours disposés à proposer des extensions de garanties ou alors à des prix prohibitifs créant des distorsions de concurrence parfois considérables. Les architectes exerçant à partir d'un pays à garanties longues ne se voient, de leur côté, pas toujours proposer des réductions de cotisation en rapport avec la baisse de responsabilité.
Les différences de régime de responsabilités et garanties qui existent également pour les entreprises font par ailleurs courir des risques aux architectes en cas de présence sur leurs chantiers d'entreprises étrangères insuffisamment couvertes ou dont les garanties sont difficiles à mettre en œuvre. Le règlement « Rome II »1 , permet aux entreprises de proposer à leurs clients la législation de leur pays d'origine. Il appartient aux architectes de se prémunir contractuellement des risques d'une telle situation qui conduit souvent, en cas de difficulté à mettre les garanties en œuvre, à une condamnation in solidum au dépend de l'architecte dans les pays où cette possibilité existe. L'étendue réelle des garanties apportées par une assurance étrangère est parfois difficile à apprécier. Ce qui constitue un risque supplémentaire pour les architectes.
Dans le cadre de l'enquête menée par le CAE, le système de responsabilité, garanties et assurance français a fait l'objet d'une attention particulière. Il est aujourd'hui celui en Europe qui s'applique sur la durée la plus longue et avec l'étendue de garantie la plus élevée. À ce titre, il pouvait constituer un point de convergence ambitieux à même d'apporter les garanties les plus étendues aux consommateurs. C'était le point de vue défendu par Alain Vivier, ancien président de la Mutuelle des architectes français (MAF), qui, à mes côtés, était l'un des représentants français dans ce groupe de travail. Cette ambition n'a pas résisté à l'analyse critique de nos confrères étrangers. Les critiques exprimées ont porté sur : - une durée de responsabilité jugée trop longue ; - l'importance des garanties, mais surtout l'ambiguïté de leur étendue pour les maîtres d'ouvrage, souvent entretenues par les constructeurs ; - le risque de condamnations in solidum que nos confrères des autres pays européens jugent contraire au droit communautaire ;
- le principe de présomption de responsabilité, alors même que le système français est basé sur la recherche de responsabilité, ce qui conduit à la fois à la lourdeur de gestion et de coût d'expertise sans prémunir les constructeurs de devoir assumer une responsabilité au titre de la présomption. Cela constitue une double peine. Le principe de présomption de responsabilité semble, là encore, en contradiction avec le droit européen ;
- le fait qu'à travers des garanties longues et rassurantes, ou faussement rassurantes, le système de garantie-responsabilité français déresponsabilise le maître d'ouvrage par rapport au choix des intervenants et des solutions techniques mises en œuvre ;
- le système de garantie-responsabilité français a un caractère terriblement sinistrogène et coûteux par rapport aux situations connues dans les autres pays européens du fait du cumul de la durée de la responsabilité, de l'ambiguïté de la garantie, de la déresponsabilisation du maître d'ouvrage ; - le système de garantie-responsabilité français a un coût environ quatre fois supérieur à la moyenne européenne.
Le groupe de travail du CAE est néanmoins parvenu à formaliser une proposition de convergence, qui a été largement adoptée en janvier 2016 par l'Assemblée générale du CAE et portant sur un certain nombre de principes, dont : - une durée de garantie obligatoire des constructeurs d'un maximum de cinq ans, couverte par une assurance ;
- la responsabilité des constructeurs se limitant aux conséquences de leurs seuls actes et négligences et non à des circonstances imprévues ou erreurs d'autres intervenants ;
- la recherche de la certitude et de la rapidité des réclamations et une meilleure précision des délais pour éviter des litiges inutiles ;
- l'impossibilité de condamnations in solidum, d'où l'obligation d'être assuré de façon adaptée pour l'ensemble des intervenants. Cela pouvant conduire à une assurance unique ;
- la suppression de la présomption de responsabilité res ipsa loquitur, là où elle existe et en particulier dans certains pays où le plus souvent un défaut de construction est toujours supposé être le résultat d'une faute de l'architecte. L'inversion de la charge de la preuve ne devrait être possible que dans des cas exceptionnels ; - la possibilité pour le maître d'ouvrage de souscrire des garanties supplémentaires en fonction de ses besoins en particulier en ce qui concerne la durée.
Cette dernière proposition a pu être analysée, en France, comme une responsabilité dommage ouvrage étendue. En réalité il ne s'agit pas de cela puisque cette responsabilité est une garantie d'assistance et de préfinancement. Il s'agirait plutôt d'une assurance de chose à l'anglo-saxonne, qui pourrait être adossée à la responsabilité dommage ouvrage souscrite par le maître d'ouvrage lorsqu'elle existe.
En outre le CAE dénonce la tendance des tribunaux de certains États de l'Union européenne à chercher avant tout un coupable qui soit assuré. « Les tribunaux ne devraient pas faire usage de l'assurance responsabilités des architectes pour pallier des défauts dans les dispositions sociales » 2 !
Si elles émanent du CAE, ces propositions ont pour vocation à être étendues à l'ensemble des constructeurs pour harmoniser le régime de responsabilité, de garanties et d'assurance. Ce qui semble évident en France ne l'est pas forcément dans tous les pays européens où les systèmes de responsabilité, leur portée et leur durée peuvent varier entre les architectes et les autres intervenants de l'acte de bâtir.
Ces propositions formalisées sont appelées à être défendues par le CAE auprès de la Commission européenne et des parlementaires européens. Au regard de la longueur habituelle des procédures, il faudra probablement attendre quelques années pour espérer les voir déboucher sur un Règlement ou plus probablement une Directive européenne et encore un peu plus de temps pour les voir appliquer dans l'ensemble des pays de l'Union européenne.
Elles ont l'avantage d'exister. Elles doivent alimenter nos réflexions. Elles auraient avantage à être reprises par les organisations représentatives européennes des autres professions de la construction.
1 Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II »).
2 Selon le CAE dans le cadre de ses propositions sur la convergence de l'assurance construction.

