Garantie de bonne fin, le mot est lancé, mais qui l'a lancé' et pourquoi ? Le document d'orientation de la réforme du Code des marchés publics d'avril 1999 n'en définit réellement ni l'objet ni la forme. (...) Or, qui dit garantie, dit risque. De quel risque s'agit-il ?
Si tout le monde s'entend sur le concept de risque de non exécution du marché, nul n'est capable, de manière scientifique, d'en apprécier la fréquence et l'importance. La réalité' c'est qu'aucun besoin n'avait été exprimé' par les maîtres d'ouvrage publics, avant qu'ils ne soient atteints par le chant des sirènes ou l'attrait de la nouveauté..., et que la survenance de ce risque reste un épiphénomène.
Aujourd'hui, chaque maître d'ouvrage public assume individuellement cette part de risque. Pourquoi, demain, le faire assumer par l'entreprise, ou plutôt par la collectivité des entreprises qui voudront accéder à la commande publique ? Car, c'est bien, de manière disproportionnée, de mutualisation dont il est question. Comment comprendre que pour un objectif de protection juridique, à la réalité impalpable, il puisse être question d'impliquer lourdement les acteurs économiques de toute une profession ?
Les marchés publics sont des contrats
Il faut d'ailleurs, à ce stade, rappeler que les marchés publics sont des contrats. En tant que tels, ils présupposent un cadre de confiance et doivent viser à un équilibre entre les parties. Celui-ci est quelque peu faussé par le caractère exorbitant de la réglementation administrative. La réforme envisagée viendrait encore aggraver ce déséquilibre au profit d'acheteurs publics, dont on nous dit qu'ils seraient « demandeurs de sécurité renforcée ».
C'est oublier qu'à l'heure actuelle, les acheteurs publics disposent déjà des moyens de leur sécurité. Celle-ci réside dans le respect d'un véritable pouvoir d'appréciation, dans la liberté qu'ils ont de recourir à des critères de sélection appropriés, complétés par la prise en compte de certifications ou de qualifications professionnelles. Ces mécanismes sont de nature à offrir la garantie de conformité de l'entreprise et de son offre aux exigences spécifiées.
Le document d'orientation voit, dans la garantie de bonne fin, l'équivalent d'une « préqualification apportée par tierce partie ». Ces deux notions ne sont-elles pas antinomiques ? Il serait plus naturel de penser, en effet, que là où existe la sécurité d'une préqualification, il n'est plus nécessaire de recourir à la sécurité d'une garantie. Sauf à considérer que l'objectif poursuivi serait celui d'une garantie totale et absolue pour l'acheteur public : est-ce bien réaliste et responsable, surtout lorsqu'il est si aisé d'analyser les effets prévisibles d'un tel mécanisme ?
Un mécanisme qui peut être une source d'exclusion
Si les chefs d'entreprises sont inquiets aujourd'hui, c'est parce qu'ils ont compris qu'à terme un tel mécanisme ne peut qu'être source d'exclusion. En effet, dans son récent entretien, publié dans le no 4985 du 11 juin 1999 du « Moniteur » (page 14), le ministre de l'Economie et des Finances nous dit que « pour accorder sa garantie, l'organisme garant vérifiera non seulement que l'entreprise a les qualifications requises, mais également que sa solidité financière ne fait pas de doute ». Cela signifie clairement qu'une garantie de bonne fin ne sera pas délivrée en fonction d'une offre et d'un marché' mais en fonction du bulletin de santé de l'entreprise. Bonne chance aux quelques heureux élus, qui contribueront ainsi à la stabilisation du marché de la garantie de bonne fin !
La grande majorité des entreprises devront donc choisir entre deux maux, l'exclusion ou le poids financier excessif d'une garantie supplémentaire qui, de plus, est variable d'une entreprise à l'autre. Et, si l'entreprise s'entête malgré tout à soumissionner les marchés publics et accepte ce coût, elle devra encore choisir : soit ne pas le répercuter et réduire sa marge, soit le répercuter et contribuer ainsi à la réduction générale des enveloppes de travaux à réaliser. Savez-vous que déjà certains chefs d'entreprises, ayant à délivrer des garanties contractuelles d'achèvement, se sont trouvés contraints d'apporter au garant des contregaranties sur les réserves disponibles de l'entreprise, voire à défaut, sur leurs biens personnels ?
A trop vouloir sécuriser le maître d'ouvrage... et l'entreprise, c'est finalement cette dernière qui encourt le plus grand risque et qui en sortira fragilisée. (...) Le maître d'ouvrage serait en partie déresponsabilisé' car la présélection des entreprises lui échapperait ; le danger existerait, qu'il soit déchargé du contrôle d'exécution des marchés par des garants soucieux de limiter leur propre risque ; et quid de la mission des maîtres d'oeuvre dans un tel contexte ? Enfin, l'inclinaison naturelle vers les prix les plus bas serait non pas freinée mais encouragée, puisque le maître de l'ouvrage verrait disparaître, par la voie de la garantie de bonne fin, le risque que lui ferait courir le choix d'une offre aberrante.
L'intervention du tiers garant n'est pas non plus sans susciter de larges interrogations. Comment serait-il à même de répondre à tous ces enjeux : appréciation technique des offres, analyse financière des entreprises, respect de la confidentialité alors qu'il aurait connaissance des offres avant même les maîtres d'ouvrage ? Comment s'accommoderait-il de certains liens économiques privilégiés avec certaines entreprises ? Comment concilierait-il ces enjeux avec ses propres objectifs économiques de rentabilité ?
La multiplication des garanties
La tendance actuelle vers la sécurisation maximale de l'acheteur public et la multiplication des garanties à délivrer par les entreprises vient contredire les volontés de simplification exprimées et les idées affichées d'ouverture de la commande publique aux PME. (...) Ne paraît-il pas préférable de favoriser un environnement des entreprises leur permettant d'exécuter correctement leur marché, comme la pratique de prix corrects, de paiements à bonne date, le versement d'avances, la meilleure organisation des chantiers, ou encore la fixation réaliste de délais d'exécution. C'est au travers de la préservation de l'entreprise et de sa vitalité que s'instaurera une garantie réelle de la qualité des ouvrages.