Depuis quelques années, les doubles cursus ingénieur-architecte, et architecte-ingénieur remportent un succès grandissant auprès d’élèves motivés. Si leurs demandes étaient isolées au départ, elles sont aujourd’hui nombreuses car ces doubles profils sont attendus sur le marché du travail. Ecoles d’ingénieurs et écoles nationales d’architecture signent des conventions, optant pour le même fonctionnement : permettre à leurs élèves d’obtenir deux diplômes, après seulement sept ans d’études – dont deux années de « classes préparatoires » – en intégrant dès la première année du programme une deuxième formation.
Le premier partenariat institué entre deux écoles a été favorisé par la proximité géographique et la volonté de l’Etat. En effet, pour satisfaire ses besoins en urbanisme, aménagement, constructions publiques et logement, le ministère de l’Equipement a installé la nouvelle école d’architecture de Lyon à Vaulx-en-Velin, en 1987, sur le même campus que l’Ecole nationale de travaux publics de l’Etat (ENTPE). Dès 1989, ces écoles mettaient en place un double cursus aboutissant à l’obtention de deux diplômes d’architecte et d’ingénieur. L’Institut national des sciences appliquées de Lyon (Insa), puis l’Ecole centrale de Lyon (ECL) ont rejoint cette collaboration.
Un double cursuspour deux diplômes. Ce partenariat a d’abord concerné les élèves ingénieurs, qui ont ajouté trois années d’études d’architecture – aujourd’hui ramenées à deux – à leurs trois années d’écoles d’ingénieurs, pour obtenir un diplôme d’ingénieur/architecte. « Commencer des études d’architecture le plus tôt possible permet un meilleur métissage », explique Jean Chaudonneret, responsable des études à l’ENTPE. Dès leur première année d’école, ces élèves suivent 150 heures de cours d’architecture chaque année. S’ils sont dispensés de quelques heures, l’effort et la motivation sont importants pour maintenir un rythme d’études soutenu pendant trois ans. Lorsque ces trois années d’architecture sont validées, les jeunes ingénieurs peuvent alors être admis en cycle master d’architecture, et obtenir deux ans après un diplôme d’architecte d’Etat. Chaque année, une petite trentaine d’élèves répartis sur les trois écoles suit ce double parcours. Face à l’engouement des élèves pour cette option architecture, les écoles ont dû mettre en place une sélection plus drastique.
À partir de 1996-1997, la démarche inverse a été proposée à une douzaine d’élèves de l’école d’architecture de Lyon. A partir de leur troisième année d’école, ils ont suivi également 150 heures de cours au sein de l’une des trois écoles d’ingénieurs. Leurs trois années validées, ces étudiants ont pu ensuite intégrer les écoles d’ingénieurs pour suivre les deux dernières années de formation, et obtenir le diplôme d’ingénieur d’une des trois écoles partenaires : ECL, ENTPE ou Insa de Lyon, avec un cœur commun centré sur le bâti et l’aménagement.
D’autres écoles ont pris modèle sur ce double cursus, telles l’école d’architecture et l’Insa de Toulouse, ou l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris La Villette (ENSAPLV), en partenariat avec l’Ecole spéciale des travaux publics du bâtiment et de l’industrie (ESTP).
Des cours adaptés au niveau des élèves, ingénieurs et architectes. L’ENSAPLV et l’ESTP ont lancé un programme intitulé « bicursus » en octobre 2006. Sur le même principe que leurs consœurs, elles proposent d’acquérir, au niveau bac 7, le diplôme d’ingénieur ESTP en spécialité bâtiment, et celui d’architecte diplômé d’Etat ENSAPLV. La formation débute « dès la première année pour transmettre au plus tôt une double culture et une double formation ». Le cursus s’adapte au niveau d’études des étudiants de chaque école. L’ESTP dispense des cours de sciences aux étudiants architectes, pour compléter leur formation scientifique et technique. Et les élèves ingénieurs s’initient à l’architecture au sein de l’ENSAPLV. Les élèves des établissements forment une classe spécifique durant une partie du cursus, dans les groupes d’enseignements au sein de l’école d’architecture.
Après les trois premières années de cette double formation, les élèves ingénieurs obtiennent la licence en architecture et suivent ensuite le cycle master d’architecture à l’ENSAPLV. Ils terminent leurs études d’ingénieur et d’architecte par un travail de fin d’études.
Les étudiants de l’école d’architecture acquièrent, quant à eux, le niveau « admis sur titre » en deuxième année de l’ESTP, en option bâtiment, grâce aux enseignements suivis à l’ESTP pendant leur cycle licence et master d’architecte. Ils suivent ensuite les deux dernières années de l’ESTP, qu’ils terminent également par le travail de fin d’études. Ce projet de fin d’études, commun aux deux établissements, aborde les problématiques de la maîtrise d’œuvre, de la conception à la réalisation.
Démarrée en 2000, la collaboration entre l’Ecole des ponts et l’Ecole d’architecture de la ville et des territoires de Marne-la-Vallée (EAVT) se décline en plusieurs paliers. Premier palier, certains cours sont ouverts aux étudiants de l’école partenaire. Deuxième marche, un « séminaire annuel d’initiation au design » rassemble, durant une semaine, les élèves de première année des Ponts et de troisième année de l’EAVT pour concevoir et réaliser des objets techniques. Troisième étape, une formation commune, « structures et architecture », est ouverte, après sélection, aux étudiants du cycle master de chaque école. Outre les spécificités propres aux parcours d’ingénieur et d’architecte, cette formation comporte des exercices, cours et séminaires communs, suivis dans les mêmes conditions, ou selon des modalités adaptées au public de l’autre école. A la fin de ce cycle de deux ans, les étudiants obtiennent en complément de leur diplôme d’ingénieur, ou d’architecte, un certificat de validation cosigné par les directeurs des deux écoles. Enfin, pour ceux ayant réussi cette formation, l’Ecole des ponts et l’EAVT ouvrent la possibilité de s’inscrire en deuxième cycle dans l’autre école pour l’obtention du double diplôme d’ingénieur architecte et d’architecte ingénieur.
Des passerellesentre les écoles. L’école publique d’ingénieurs et d’architectes de Strasbourg, aujourd’hui membre du réseau des Insa, propose un parcours spécifique, puisqu’elle réunit depuis plus de cent ans les deux formations en un même site, et s’organise autour de quatre spécialités : génie civil, génie climatique et énergétique, topographie et architecture. Les élèves architectes y sont recrutés après un concours national d’entrée de niveau bac 1 (année de classe préparatoire ou équivalente). Au cours de leur formation, des projets communs lient les élèves ingénieurs et les élèves architectes (construction passive, lotissements…). En 2002, les étudiants en architecture ont pu ajouter une formation d’ingénieur, en option génie civil ou génie climatique et énergétique : deux élèves par an ont opté pour la démarche, en moyenne. « Dans notre école à taille humaine (promotion de 48 étudiants architectes), nous souhaitons que les ingénieurs et les architectes prennent l’habitude de travailler ensemble, pour accueillir le point de vue de l’autre », explique Louis Piccon, responsable du double cursus.
Depuis la rentrée 2007, l’école propose un parcours aux élèves ingénieurs, à partir de leur troisième année : six étudiants vont suivre pendant leurs trois dernières années d’école d’ingénieur, 450 heures de formation à l’architecture, ou cinq modules de 90 heures pendant cinq semestres. Cette évolution favorise les passerelles entre les écoles. Un ingénieur de l’Insa de Toulouse, formé avec l’école d’architecture de Toulouse, a ainsi été admis à Strasbourg.
Une réponse au besoindu marché. Aujourd’hui, la plupart des écoles d’ingénieurs et d’architecture envisagent de lancer ces nouveaux cursus. Pour répondre à la demande de professionnels qui recherchent « des profils à la croisée de l’architecture et du secteur du BTP », l’école lilloise des hautes études d’ingénieurs (HEI), vient de créer, à la rentrée 2007, un nouveau domaine d’étude, intitulé « bâtiment, aménagement et architecture ». Faisant d’une pierre deux coups et s’ouvrant vers l’Europe, HEI a signé une convention avec l’école d’architecture de Saint-Luc, à Tournai en Belgique, pour l’enseignement de ce domaine. L’école d’architecture de Nantes et l’école centrale de Nantes ouvriront, en septembre 2008, la première année de formation du double diplôme ingénieur-architecte. Enfin, si l’Icam de Lille ne propose pas de double cursus, l’institut a confié ses cours de « formation humaine » à un architecte, qui propose à ces élèves ingénieurs généralistes une ouverture du regard et le sens de l’esthétique dans un projet.
Coordonnateur pédagogique du double cursus à Lyon, Suzanne Monnot estime que ces doubles profils sont de « puissants vecteurs de diffusion de la culture architecturale ». « Affectés souvent à des postes d’intermédiaires entre maîtrise d’œuvre et maîtrise d’ouvrage, les doubles diplômés savent reconnaître et mettre en valeur le travail des architectes, dit-elle. L’ouverture européenne conduit à aller dans ce sens, les formations étant moins distinctes chez nos voisins, voire parfois confondues. » Les doubles cursus permettent en effet aux élèves d’étudier au sein d’écoles européennes mêlant parfois les deux cultures : depuis trois ans, l’ESTP a signé un accord avec l’école polytechnique de Milan.
En fin de parcours, les doubles diplômés choisissent l’un ou l’autre domaine, dans des cabinets d’architectes ou des bureaux d’études, spécialisés dans l’intégration paysagère des ouvrages d’art, la programmation d’équipements publics, etc. Appréciant de continuer à « jongler entre les deux métiers », ils favorisent le dialogue entre collègues. Tous sont recrutés dès l’obtention de leur deuxième diplôme.