Enquête

Fibre optique: le grand méli-mélo du raccordement au client

La cascade de sous-traitances qui caractérise l’installation finale du très haut débit chez le particulier entraîne une autre accumulation, celle des mécontentements qui remontent à des élus impuissants. Pour en sortir, les professionnels de l’installation électrique ont les solutions : la limitation de cette sous-traitance à deux rangs et la qualification des entreprises intervenantes.

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Les raccordements défectueux de fibre optique se sont multipliés dernièrement.

Dites Stoc et le sang des élus locaux ne fera qu’un tour. La « sous-traitance d’opérateur commercial » désigne le mode opératoire par lequel ce dernier (Orange, SFR, Free, Bouygues Télécom, etc.) confie à une entreprise extérieure le soin de raccorder les derniers mètres de fibre optique au client particulier

Or, ce soin fait justement défaut, à en juger par les remontées des mécontentements. Celles-ci ont pris de l’ampleur ces derniers mois. « Festival d’équipements fracturés ouverts aux quatre vents, de câbles emmêlés comme des plats de nouille et de clients débranchés à tort : le mode Stoc a tout ravagé sur son passage » tonne l’Avicca, l’Association des Villes et Collectivités pour les Communications électroniques et l’Audiovisuel.

Le syndicat mixte Doubs THD en charge du déploiement du réseau dans ce département estime que « les trois-quarts des points techniques (shelters, armoires, boîtiers de branchement) nécessitent des reprises coûteuses de plusieurs millions d’euros ». « Les problèmes ne se rencontrent que sur ces derniers mètres, il est inadmissible que cette phase finale vienne entraver le bon déploiement que nous avons veillé à garantir par ailleurs », s’indigne à son tour Franck Leroy, vice-président en charge du très haut débit de la région Grand Est. Cet élu relève notamment les surcoûts des réparations des sous-répartiteurs optiques dégradés par les interventions défectueuses.

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Franck Leroy, vice-président de la région Grand Est Franck Leroy, vice-président de la région Grand Est (Jean-luc Stadler, Jean-luc Stadl)

« Il est inadmissible que cette phase finale vienne entraver le bon déploiement que nous avons veillé à garantir par ailleurs », dénonce Franck Leroy, vice-président de la région Grand Est. © Jean-Luc Stadler/Région Grand Est

Si les collectivités montent tant au créneau, c’est qu’elles ont investi massivement dans l’amont du raccordement final (200 millions d’euros dans le Doubs, près de 2 milliards d’euros en Grand Est), pour constituer un réseau d’initiative publique (RIP) dans les zones, majoritaires en France(1), où l’initiative privée ne s’est pas aventurée. De plus, les élus, les maires en premier lieu, deviennent le réceptacle des remontrances du citoyen courroucé, sans y être pour rien. La collectivité ne se trouve qu’au bout d’une chaîne aux maillons multiples : initiatrice du réseau d’initiative publique (RIP), elle en confie le déploiement à un opérateur d’infrastructure OI), tel Altitude Infrastructure dans le Doubs ou les groupements Losange et Rosace menés par NGE dans le Grand Est. Les entreprises de TP mandatées par ces OI interviennent jusqu’au nœud de raccordement optique puis au sous-répartiteur optique (ou point de mutualisation) situé en général à quelques centaines de mètres du logement.

Déploiement à marche forcée

C’est à ce stade que le relais est pris par l’OC choisi par l’usager. « Et que les problèmes commencent », dénonce Franck Leroy. Le déploiement à marche forcée du très haut débit (objectif national de 100 % de couverture en 2022 et en 2025 en fibre) génère de tels besoins en un temps court qu’il aboutit pour les OC à recruter des prestataires en catastrophe sans se montrer très regardants sur leurs compétences, et en pratiquant des sous-traitances en cascade.

Que faire ? Bien qu’il soit fustigé et relève de pratiques de fait sans obligation légale ou réglementaire, le « mode Stoc » ne semble pas être remis en cause compte tenu de l’ampleur des besoins. Les industriels du numérique, dont les OI, regroupés dans la fédération Infranum ont d’ailleurs beau jeu de relever que si les élus avaient souhaité étaler le déploiement sur quelques années de plus, le problème se poserait en termes moins aigus. Doubs THD lance une expérimentation du raccordement sans Stoc dans une commune, directement par son OI Altitude Infrastructure, mais « cela reste de l’ordre du symbolique, du signal envoyé », reconnaît son directeur général Jean-Louis Chauvin.

Le salut par Qualifélec ?

Les élus en appellent à l’autorité régulatrice du secteur, l’Arcep, pour taper du poing sur la table… ce que celle-ci se montre prudente à faire. Elle reconnaît certes, auprès du « Moniteur », l’existence de « difficultés importantes » sur le sujet sur le raccordement au foyer qui est érigé en « axe prioritaire » du mandat de sa nouvelle présidente depuis janvier Laure de La Raudière et a donné lieu jusqu’à début mars à une consultation des acteurs pour inviter ceux-ci à lister les points de dysfonctionnement.

Infranum, de son côté, a proposé, le 4 mars, un « nouveau contrat » Stoc fixant quelques pratiques vertueuses comme la prise de photo avant et après l’intervention, un procédé d’identification par les OI de toute dégradation, un contrat-cadre sur la reprise des malfaçons, des audits et des sanctions jusqu’à l’exclusion d’un sous-traitant.

Peu crédible selon les élus. Les professionnels de l’installation électrique, réunis dans la Fédération française des intégrateurs électriciens (FFIE) manifestent également leur scepticisme. Ils brandissent deux solutions pour sortir de la crise par le haut : restreindre à deux rangs l’ampleur de la sous-traitance et exiger une qualification des entreprises intervenantes. Celle-ci consisterait en la qualification Qualifélec existante, éventuellement complétée d’une mention fibre spécifique. « Nous travaillons ce point avec l’organisme, dans l’espoir de pouvoir déboucher dans les prochains mois sur une proposition bien structurée », expose Adel Guediri, ingénieur courants faibles à la FFIE. « Intégrer cette qualification dans les CCTP [cahier des clauses techniques particulières, NDLR] constituerait le moyen le plus efficace », appuie Philippe Ceschia, entrepreneur dans l’installation électrique et administrateur de la FFIE.

Il pourrait déclencher également le cercle vertueux qui semble indispensable à cet installateur, celui qui agrégerait les architectes et bureaux d’études pour en faire des alliés dans le réflexe à faire appel à des professionnels reconnus. Et plutôt que des auto-entrepreneurs inscrits sans vérification de compétences sur une plate-forme pour les travaux, pourquoi ne pas faire appel à ces installateurs, s’interroge Philippe Ceschia. « Nous intervenons déjà dans le déploiement de la fibre jusqu’aux portes des logements, par la préparation des colonnes montantes, le montage des goulottes et la pose des gaines techniques, voire le précâblage. Nous sommes parfaitement en mesure de mener le travail jusqu’au bout ».

(1) Les RIP devraient couvrir 33 000 communes l’an prochain et représenter alors 46 % des branchements FFTH (fiber to the home), contre 37 % pour les zones « AMII » (agglomérations) et 17 % pour les zones « très denses » dans les plus grandes métropoles, selon une projection Arcep-Infranum-Ernst & Young.

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