Face aux spécialistes de la menuiserie, le négoce ne veut pas rester sur le carreau

Alors que le marché de la rénovation reste flat et que celui du neuf connaît un net ralentissement, juillet 2018 marquera la fin du crédit d'impôt sur les menuiseries extérieures. Anticipant une baisse de l'activité, les enseignes spécialisées et les réseaux de distribution des fenêtriers peaufinent leur stratégie : recrutement, plan média, nouveau concept… Quant au négoce, il fourbit ses armes.

Mais est-il en mesure de tirer son épingle du jeu ?

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Inutile de tourner autour du pot : le négoce ne pèse plus guère aujourd'hui sur le marché de la menuiserie. Plusieurs raisons l'expliquent. Guillaume Vandevelle, responsable de l'animation et du réseau Caséo, en distingue deux. La première a trait à l'évolution du mode de consommation en secteur diffus : « Tryba et K par K ont profondément métamorphosé le métier en s'adressant aux particuliers avec le déploiement de showrooms, d'espaces conseils et en faisant appel à la publicité. On ne vend plus une fenêtre à un comptoir - ce constat s'applique aussi pour le sanitaire et le carrelage. Avec le temps, le client final a fini par ne plus voir le négoce comme un spécialiste. » La seconde concerne la perte des constructeurs des maisons individuelles (CMiste) sur le marché du neuf, alors que ceux-ci génèrent plus d'un tiers de l'activité. « Les CMistes ont changé de fournisseurs. Ils sont passés du négoce aux industriels dans un premier temps, puis aux enseignes spécialisées comme la nôtre aujourd'hui. » En termes de part de marché, les estimations fournies par les acteurs interrogés attribuent au négoce environ 10 % de l'activité. C'est même « moins de 10 % chez les généralistes », lâche Catherine Vosfelt, directrice de marché menuiserie de Point. P. Pascal Minard, responsable du développement du réseau Batiman, précise : « Après quinze ans de repli, la part de marché des négoces s'est stabilisée. » Mais la consolidation est toute relative : elle s'appuie essentiellement sur le regain du marché.

Un nouveau souffle. En effet, les volumes de ventes ont retrouvé le chemin de la croissance depuis deux ans, après une demi-douzaine d'années de baisse ininterrompue (- 16,2 % entre 2008 et 2015, selon Xerfi). Cela concerne les ventes de fenêtres (hors fenêtres de toit) : + 3 % en 2016, + 4 % en 2017 (source : TBC Innovations). Les ventes de volets suivent la même tendance : + 5 à 6 % en 2017 pour les modèles roulants ; + 1 à 2 % pour les battants (source : MSI). Cela vaut également pour la menuiserie intérieure, comme le rapporte Cécile Pierre-Louis, cheffe de marché menuiserie de Dispano : « D'après les retours d'industriels, ce segment a progressé de 4 à 5 % en 2017. »

Cette embellie est principalement le fruit de la relance observée sur le logement, « plus particulièrement de la demande des constructeurs de maisons individuelles », note Patrick Rutar, directeur de marché clients professionnels de Lapeyre. En 2017, le marché des fenêtres posées dans le neuf a donc enregistré « une belle croissance, à plus de 10 % », selon les données de TBC Innovations. Quant à la rénovation, qui constitue le premier débouché du marché en France (environ les deux tiers), « elle peine à décoller », selon Patrick Rutar.

Les spécialistes flambent. Pourtant, après « un début d'année tendu », l'activité s'est terminée sur les chapeaux de roues, portée, à partir du second semestre, par l'annonce de la diminution du crédit d'impôt pour la transition énergétique (Cite) sur la menuiserie extérieure (fenêtre, porte, volets isolants… ) au 1er janvier 2018 puis de son arrêt programmé au 1er juillet. « L'effet d'aubaine a joué », constate Catherine Volsfelt. Malgré tout, sa croissance peine à passer la barre du 1 %. Ce sursaut a profité pleinement aux enseignes spécialisées.

Surfant sur leur double positionnement (CMistes et diffus), ces dernières affichent des croissances des ventes supérieures au marché pour 2017 : + 18 % pour Univerture ; + 15 % pour Caséo à périmètre constant ; ou encore + 13 % pour Batiman. Ces résultats montrent aussi l'impuissance, ou du moins les limites, du négoce de bois et matériaux à trouver une stratégie gagnante face à ces concurrents.

Le négoce se cherche une réponse. Mais cette fois, il n'est pas question de céder du terrain une nouvelle fois. Face au dynamisme des enseignes spécialisées (Batiman, Caséo, Komilfo, Univerture… ) et du poids acquis par plusieurs réseaux des fenêtriers (Tryba, K par K, L orenove… ), certains grossistes indépendants réagissent.

Deux stratégies se dessinent actuellement - en attendant la présentation du nouveau concept de BigMat prévue pendant ce deuxième trimestre 2018. La première consiste à rejoindre un réseau spécialisé. Ainsi, Batiman a accueilli plusieurs adhérents du groupement Sylvalliance comme Armengol, Bailly-Quaireau, Barillet, Houdard…

De son côté, Univerture a attiré Junet Bois. Quant à Caséo, il compte 14 négoces sur ses 48 adhérents. « Ils viennent de chez Gedimat, de Tout Faire, de Nebopan ou encore de Starmat », note Guillaume Vandevelle.

Ligne & Lumière en force. La seconde option consiste à s'adosser au concept Ligne & Lumière, élaboré par Menuiserie Multi-Enseignes (une société détenue à 60 % par Tout Faire et 40 % par la centrale CMEM) pour reprendre des parts de marché aux enseignes spécialisées et aux fenêtriers. Le concept a séduit un grand nombre de négoces, dont des affiliés de Tout Faire Matériaux, de Nebopan, de Matnor, de Starmat, de BigMat, de Tanguy Matériaux, de Sylvalliance, de Batiland, de Mat Plus comme de France Matériaux. Les réseaux intégrés ne sont pas en reste, tels Partedis ou Balitrand. Trois ans après son lancement, Ligne & Lumière est implanté dans plus de 130 points de vente, ce qui fait de ce label le premier acteur français des négoces spécialisés en menuiserie. Un vrai succès d'adhésion.

Est-il réellement à même d'aider le négoce à tirer son épingle du jeu ? À en croire Thierry Chambost, le président de Chambost (enseigne de bois-panneaux et dérivés, membre de Sylvalliance), qui a déployé Ligne & Lumière dans ses 4 agences dès 2014, la réponse est évidente : « Le concept génère de nombreuses synergies : au niveau des achats, de l'approche client, de l'expérience fourniture et pose, de l'accès à certains industriels… Surtout, il donne un élan interne autour d'un projet. Les résultats sont là : notre activité menuiserie affiche une croissance à deux chiffres et une hausse des marges. »

Plans d'ouvertures. Face à l'émergence de cette nouvelle concurrence, la réponse des principaux acteurs du marché ne s'est pas fait attendre. Les réseaux de fenêtriers ont décidé de densifier encore un peu plus leur parc. Ainsi, Lorenove a ouvert 10 nouvelles concessions en 2017, portant son réseau à 66 Espaces Conseil. L'industriel chartrois projette même d'atteindre la barre des 100 showrooms dans les cinq ans. De même, Tryba, forte de 310 agences, a réalisé 12 ouvertures en 2017 et lancé un nouveau concept de magasins en novembre. Pour 2018, elle table sur 20 nouveaux établissements et la rénovation de près de 50 Espaces Conseil.

Les réseaux spécialisés ne sont pas en reste. Après l'inauguration d'un magasin à Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne) en janvier puis d'un suivant à Valenciennes (Nord) en avril, Caséo table toujours sur un réseau de 100 points de vente en 2020.

Quant à Batiman, il va recruter 5 nouveaux partenaires. Mais sa priorité actuelle reste bien de développer sa notoriété. « Dans un contexte de forte concurrence, explique Pascal Minard, notre but est maintenant de travailler sur la visibilité de l'enseigne auprès du grand public. » Bref, la bagarre s'annonce rude.

Fin du Cite, le négoce épargné. Toutefois, une même question taraude tous les intervenants : comment le marché va-t-il réagir à la fin du Cite ? « Nous avons du mal à y voir clair », confirme Patrick Rutar. Malgré tout, certains n'hésitent pas à se risquer à quelques pronostics et prévisions. Selon la société d'études marketing MSI, le neuf constituera « le principal moteur de développement du marché » en 2018-2019, tandis que la sortie de la menuiserie extérieure du dispositif de crédit d'impôt se traduira par une baisse sensible - mais temporaire - de la demande de rénovation.

Ces deux secteurs, qui obéissent à des logiques bien distinctes, connaîtront donc des évolutions contrastées. Au global, MSI parie que « le marché s'établira en légère baisse en 2018 », le temps que la demande de rénovation retrouve davantage de vigueur. Quant à la menuiserie intérieure, « il n'y a pas de raisons que le marché se retourne, estime Cécile Pierre-Louis. Malgré un début d'année morose, je table sur une croissance de 3 à 4 %. » En termes de circuits de distribution, pas de doute pour Catherine Volsfelt, les premières victimes seront les menuisiers poseurs indépendants (MPI), les grandes surfaces de bricolage et les réseaux de fenêtriers. « Ils subiront l'impact le plus fort, parce que le dynamisme de leur business est très fiscal-dépendant. » Quant au négoce, il devrait être épargné. « Nous constatons que l'activité de nos clients RGE dépend assez peu des aides fiscales. Par contre, elle est sensible à celle des CMistes. Alors, si elle diminue… »

Une tendance plutôt favorable. En attendant, les premières tendances pour 2018 sont encore favorables aux spécialistes. Exemple, chez Batiman, «nous avons enregistré une hausse de notre activité de 12 % », annonce Pascal Minard. Pour le négoce, cela semble toujours aussi difficile, surtout sur la menuiserie intérieure. Selon Cécile Pierre-Louis, « tout comme les GSB, il est à la traîne ».

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