Il est de plus en plus difficile de regrouper des salariés pour les envoyer en stage de formation. Là réside probablement l'une des origines de la formation intra, c'est-à-dire une formation conçue pour une entreprise et qui peut être dispensée sur site. Ce ne sont plus les salariés qui vont en centre de formation, mais les formateurs qui se rendent en entreprise. La tendance n'est pas nouvelle, mais les entreprises sont plus nombreuses à faire appel à des formateurs extérieurs qui vont former les compagnons sur les chantiers. « Les formations intra ont toujours existé, explique Jacques Leroy, secrétaire général de l'Aref Bretagne. Aujourd'hui, elles se développent car les entreprises doivent gérer plus finement leur compétence, faire face à l'évolution des métiers. Les formations classiques sont insuffisantes pour aider les entreprises dans cette démarche ».
Des formations sur mesure
Pour Valérie Plazzi, directeur général de Saint-Eloi Electric, « le mérite de la formation intra est de répondre à un besoin spécifique de l'entreprise ». Cela suppose un lourd travail en amont de la part du formateur, « une analyse fine des besoins de l'entreprise pour pouvoir ajuster l'offre et la demande de formation », explique Catherine Augais, conseiller formation à l'Aref Poitou-Charentes. « Les formations intra exigent une meilleure préparation car elles doivent répondre à une demande précise », analyse Jean-François Delahaye, secrétaire général de l'Aref Ile-de-France. Un avis que partage Jean-Marie Donche, formateur au CPAB, organisme de formation de Montpellier spécialisé dans la formation intra (elle représente 95 % de l'activité). Son domaine de prédilection est la préparation de chantier. Il décrit ainsi sa tâche en amont de la formation : « Avec l'entreprise, nous définissons les besoins, puis l'entreprise établit un cahier des charges. Lorsqu'elle a défini ses options et ses objectifs, nous montons un plan de formation sur mesure. Nous faisons toujours une évaluation au début et en fin de parcours de formation. L'intérêt de la formation intra est double : nous touchons toute la hiérarchie de l'entreprise. L'encadrement de chantier est toujours associé. Surtout, nous répondons strictement à la demande de l'entreprise et n'apportons que les compléments de formation qui lui sont indispensables ». Cette individualisation des formations ne va pas sans heurts. « Les organismes de formation peinent à s'adapter à nos demandes», constate Richard Baran, DRH de Quillery. Finies les formations catalogues, «le formateur doit pouvoir s'adapter, renchérit Jacques Leroy, secrétaire général de l'Aref Bretagne. Seuls font de la formation intra ceux qui ont gardé un lien étroit avec le monde du travail» ou, comme l'explique Michel Fugier, son homologue de l'Aref Paca, qui «ont une capacité à se fondre sur un chantier» .
Diversité des formations intra
De leur côté, les entreprises trouvent intérêt au développement des formations sur site. «Financièrement, c'est source d'économie», relève un responsable de formation. «Qualitativement, ajoute Frédéric Laneuville, responsable formation chez Quillery, cela permet un meilleur retour sur investissement de la formation. Nous pouvons mesurer plus facilement les effets de la formation» . Pour autant, les entreprises conservent une attitude pragmatique et continuent d'envoyer leurs salariés en stage. «La formation intra représente 40 % des actions de formation de nos ouvriers» , explique Richard Baran, DRH de Quillery. Le choix entre formation intra et stage de formation dépend du but à atteindre. «Nous privilégions la formation intra lorsque la formation revêt une dimension collective, touchant à l'organisation du travail. S'il s'agit d'acquérir un nouveau savoir-faire, la formation en centre reste adaptée» . Quillery Saint-Maur dispense depuis trois ans de la formation sur site sur des savoir-faire propres à l'entreprise. «Nous avons formé des salariés au coffrage traditionnel. Réalisé en atelier, le coffrage est ensuite mis en place par les stagiaires sur un chantier réel de l'entreprise. Les salariés pouvaient ainsi suivre de A à Z le processus» , explique Jean-Luc Ellart, ingénieur sécurité. 30 personnes ont ainsi été formées. Chacune a été évaluée et positionnée. «L'intérêt pour l'entreprise est d'associer le chef de chantier qui suit le stagiaire et de former les compagnons sur notre matériel» . Dans le même esprit, l'entreprise a formé dix compagnons à la polyvalence. «En partant d'un plan, l'ouvrier devait définir son besoin en matériel, le commander et réaliser l'ouvrage (de petites maçonneries) par équipes de trois. Chaque équipe était responsable de son contrôle et devait rédiger un plan particulier de sécurité et de protection de la santé (PPSPS). L'objectif était de rendre les compagnons autonomes, pour pouvoir les employer à 100 %» , rappelle Jean-Luc Ellart. Chaque formation est réalisée sur un chantier réel. «Cela suppose une préparation plus lourde en amont : choisir le chantier, le type d'ouvrage, penser la formation pour qu'elle pénalise le moins possible la production. Nous privilégions la formation intra pour toute action spécifique à nos métiers, mais systématiquement avec l'aide d'un organisme extérieur».
Derrière le vocable formation intra, il se cache en réalité une multiplicité d'actions de formation, variées dans leur forme et leur contenu. Le groupe Sophiane (filiale génie climatique et isolation thermique du groupe SGE) développe, depuis cinq ans, des formations métiers dispensées par des intervenants extérieurs et internes à l'entreprise. «Ce sont des formations intra car elles sont totalement adaptées à notre activité et ne concernent que les salariés du groupe» , explique Cédric Fassone, responsable formation du groupe Sophiane. Conçue à partir de cinq modules de deux jours, la formation est dispensée à l'extérieur de l'entreprise (dans un hôtel) et s'étale sur six mois. Elle est conçue par des opérationnels de l'entreprise à partir d'exemples réels. Deux populations sont visées : une formation de chargés d'affaires, ouverte tant aux salariés des bureaux d'études qu'aux chargés d'affaires en poste, et une formation chef de chantier (qui va du chef d'équipe au chef de chantier en poste).
Des outils spécifiques BTP
Dourmap, entreprise bretonne d'équipement électrique de 100 salariés, a bâti une formation sur mesure de responsables d'équipes et conduite de travaux. «Nous avons une clientèle très disparate. Nous avons formé sept chefs de chantier pour les former à l'interface entre le chantier et les chargés d'affaires, et les amener progressivement à avoir une fonction de conducteur de travaux, explique Jean-Paul Tixier, P-DG de l'entreprise. Nous avons bâti un outil de validation et de suivi de la formation. Les responsables d'affaires ont eu un rôle de tutorat. Ils suivaient, sur site, l'application de la formation.»
Le BTP a développé de longue date des modalités propres de formation intra. Deux principaux dispositifs existent : la formation intégrée au travail (Fit) et le formateur tournant.
La Fit existe depuis une dizaine d'année dans le BTP. «C'est une formation qui a comme moteur les projets de l'entreprise ou un problème dans son organisation. La Fit répond à la question dans sa globalité. Là réside tout son intérêt» , estime Jacques Leroy, secrétaire général de l'Aref Bretagne, pionnière en la matière.
Cardinal, entreprise bretonne de gros oeuvre de 225 salariés, a utilisé la Fit. Parce que les formations «sur catalogue» lui semblent manquer de réalisme, Yvon Cardinal, P-DG de l'entreprise, a opté pour cette formule. «Par rapport aux formations en centre spécialisé, les Fit offrent l'avantage d'intéresser les compagnons, de répondre véritablement à leurs besoins puisqu'ils travaillent sur des choses concrètes. De surcroît, elles permettent de ne pas passer à la trappe les questions de productivité» , résume Yvon Cardinal dont l'entreprise est basée à Maure de Bretagne (35). Si pendant des années, l'entreprise a fait de la formation «à l'intuition» , elle est aujourd'hui engagée dans un processus de pointage des compétences des quelque 190 personnes de production et de l'encadrement de chantier. En septembre dernier, un responsable de formation a été recruté, et, depuis, chaque salarié doit remplir un long questionnaire d'évaluation de plusieurs pages. «Notre objectif est d'évaluer au plus juste leurs besoins, mais aussi la capacité des uns et des autres à donner de l'information» , poursuit le P-DG. Cette cartographie de l'entreprise doit déboucher sur un plan d'actions, actuellement en cours de finition.
L'autre outil est le formateur tournant. «Sa spécificité, explique Jacques Leroy, est d'aller en entreprise et de former sur le lieu de production» le plus souvent «pour des actions ponctuelles et techniques» , complète Michel Fugier de l'Aref Paca.
Le BTP, sous l'égide du groupe GFC-Aref, a conçu une véritable méthodologie du formateur tournant. Jean-François Delahaye, de l'Aref Ile-de-France, nous en explique les rouages : «Le formateur tournant travaille à partir d'une demande de l'entreprise, il rencontre le chef d'entreprise et la hiérarchie pour s'imprégner de l'organisation de l'entreprise. Puis il identifie avec l'entreprise un chantier qui se prête à la formation et propose une action validée par son client. Durant l'action de formation, il implique la hiérarchie. Surtout, il ne se substitue pas au chef d'équipe ou au chef de chantier. Il n'est qu'un conseil extérieur et ne supplée pas la hiérarchie» . Homme d'expérience, entre 35 et 50 ans, le formateur tournant doit être un très bon praticien du chantier et avoir suffisamment de recul pour être un contrepoint aux habitudes du chantier. Diplomate, il doit savoir communiquer. «Nos formateurs tournants sont toujours des hommes et jamais les organismes qui les emploient, rappelle Jean-François Delahaye. Jean Paul Bou, délégué à la sécurité de Spie Fondation (450 salariés), a fait appel aux services de Francis Villecroze, formateur tournant spécialisé dans la conduite d'engins (voir page précédente). « Nos salariés sont dispersés sur toute la France. Le dispositif formateur tournant est souple d'utilisation. Il permet de former nos salariés sur notre matériel et en situation réelle de travail. Notre objectif était de vérifier la capacité à la conduite en sécurité de nos conducteurs. A l'issue de la journée de formation, il passait leur Caces ». Dans l'entreprise de BTP Scanzi, 45 salariés, l'intra représente la moitié des actions de formation. Trois formations avec un formateur tournant ont déjà été effectuées (2 en TP et 1 en bâtiment). Christine Scanzi, Directeur administratif et financier, explique sa démarche : « Ce dispositif nous permet de former collectivement, sans perturber le déroulement de nos chantiers. De plus, elle s'adapte parfaitement bien au personnel de chantier. Tant sur notre activité bâtiment que sur notre activité travaux publics, nos besoins concernaient des questions d'organisation de chantier. Au total, 15 personnes, du compagnon au chef de chantier ont été formées. Nous attendons d'avoir un chantier significatif, qui nous servira de base de travail, pour lancer une nouvelle formation. Notre démarche de certification engendrera de nouvelles actions ».
PHOTO : Ci-contre, le formateur en situation de formation sur un chantier BDW, à Selestat.