La date de référence représente une règle essentielle d’évaluation des immeubles en droit de l’expropriation. En déterminant la date à laquelle doivent être appréciées les dispositions d’urbanisme applicables, l’état des réseaux et l’usage effectif des immeubles expropriés, la date de référence tend en effet à « assurer l'équilibre entre les intérêts des expropriés, indemnisés de leur préjudice certain, et ceux des expropriants, protégés de la spéculation foncière sur les biens concernés par le projet après l'annonce de l'expropriation » (Cass. 3ème civ., 21 octobre 2010, n° 10-40038, publié au Bulletin).
Il a déjà été évoqué à quel point le mécanisme de la date de référence faisait l’objet d’attentions particulières et régulières de la part du législateur, et encore dernièrement à l’occasion de la promulgation de la loi Elan du 23 novembre 2018. Rappelons que ce texte a prévu une date de référence particulière pour les immeubles expropriés situés en périmètre de ZAC. Laquelle correspond à la date de publication de l’acte de création de la ZAC, dès lors que celle-ci est antérieure d'au moins un an à la date d'ouverture de l'enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique (DUP).
« Expropriation pour revendre »
Cette nouvelle règle propre à la ZAC, fixée à l’article L. 322-2 du Code de l’expropriation, semble avoir ému une partie de la doctrine qui en appelait alors au dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à son encontre, dénonçant son application dans le cadre de ce qu’il dénomme « une expropriation pour revendre » (voir D. Labetoulle, « L’expropriation pour revendre : les liaisons dangereuses des zones d’aménagement concerté », RFDA 2020, p. 291).
Par deux arrêts rendus le 1er avril 2021 (n° 21-40004 et n° 20-17133 et n° 20-17134), la Cour de cassation a considéré que le dernier alinéa de l’article L. 322-2 précité - qui interdit au juge de l’expropriation fixant le montant de l'indemnité due à l'exproprié de tenir compte des changements de valeur subis par le bien lorsqu'ils sont « provoqués par l'annonce des travaux ou des opérations dont la déclaration d'utilité publique est demandée » par l'expropriant -, revêtait un caractère sérieux en ce qu’elle portait sur l’hypothèse alléguée d’ « expropriation pour revendre », et l’a renvoyée au Conseil Constitutionnel, qui a rendu sa décision le 21 juin 2021.
Juste et préalable indemnité
Pour les requérants, ces dispositions « ne permettraient pas au juge de l'expropriation d'accorder une juste et intégrale indemnité dès lors qu'elles lui imposent d'évaluer ce bien en considération de son seul usage effectif à une date située très en amont de celle à laquelle il fixe le montant de l'indemnité, sans lui permettre de tenir compte du prix auquel l'expropriant entend vendre le bien, dans des conditions déjà connues et lui permettant de réaliser une plus-value substantielle certaine ». Elles seraient donc susceptibles de porter atteinte à l’exigence selon laquelle nul ne peut être privé de sa propriété que sous la condition d’une juste et préalable indemnité.
Utilité publique
En réponse, le juge suprême rappelle tout d’abord que « l’expropriation d’un bien ne peut être prononcée qu’à la condition qu’elle réponde à une utilité publique préalablement et formellement constatée, sous le contrôle du juge administratif », et qu’ « en interdisant au juge de l'expropriation, lorsqu'il fixe le montant de l'indemnité due à l'exproprié, de tenir compte des changements de valeur subis par le bien exproprié depuis la date de référence lorsqu'ils sont provoqués par l'annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d'utilité publique est demandée par l'expropriant, les dispositions contestées visent à protéger ce dernier contre la hausse de la valeur vénale du bien résultant des perspectives ouvertes par ces travaux ou opérations ».
Il énonce en outre que « la hausse de la valeur vénale du bien exproprié résultant, le cas échéant », de « l’annonce des travaux ou des opérations dont la déclaration d’utilité publique est demandée par l’expropriant », « n’a pas vocation à être prise en compte dans le calcul de l’indemnité due à l’exproprié, alors même que l’expropriant entend céder le bien à un prix déjà déterminé et incluant cette hausse ».
Les Sages précisent que « le législateur a ainsi entendu éviter que la réalisation d’un projet d’utilité publique soit compromise par une telle hausse de la valeur vénale du bien exproprié, au détriment du bon usage des deniers publics ».
Evolution du marché de l’immobilier
Enfin, le Conseil constitutionnel rappelle que, « pour assurer la réparation intégrale du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation, le juge peut tenir compte des changements de valeur subis par le bien exproprié depuis la date de référence à la suite de circonstances autres que celles prévues au dernier alinéa de l’article L. 322-2 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique », et notamment « l’évolution du marché de l’immobilier ».
Conseil constitutionnel, décision n° 2021-915/916 QPC du 11 juin 2021