Jurisprudence

Exécution des marchés publics : six mois de jurisprudence

Notre sélection des décisions les plus instructives rendues au cours du second semestre 2022.

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Impacts de la réception sur le règlement financier du marché, responsabilité décennale du contrôleur technique, modération des pénalités de retard… La jurisprudence des six derniers mois a été riche d'enseignements relatifs à l'exécution des contrats publics.

Effets de la réception

Obligations financières. La réception n'en finit pas d'alimenter la chronique ! Une fois de plus, le Conseil d'Etat a été amené à se prononcer sur ses effets au titre des obligations financières nées de l'exécution du marché. Si l'on sait que la réception issue de l' met un terme aux relations contractuelles entre le maître d'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne les prestations indissociables de la réalisation de l'ouvrage et constitue le point de départ des garanties légales (décennale et biennale), il en est différemment pour le règlement financier du marché. Cette distinction avait déjà été évoquée précédemment concernant la maîtrise d'œuvre ().

Cette fois, le Conseil d'Etat annule la décision par laquelle la cour administrative d'appel (CAA) de Bordeaux avait jugé, bien que le décompte général et définitif ne fût pas intervenu, que la responsabilité contractuelle du mandataire solidaire du groupement de maîtrise d'œuvre ne pouvait plus être recherchée à compter de la date de fin de sa mission. La Haute juridiction administrative estime en effet que seule l'intervention du décompte général et définitif du marché a pour conséquence d'interdire au maître d'ouvrage toute réclamation à cet égard. Elle ajoute que la fin des relations contractuelles est sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché, qui lient le mandataire au titre de l'engagement solidaire qu'il a contracté (CE, 7e -2e ch. réunies, 10 octobre 2022, n° 455188, mentionné dans les tables du Recueil).

Il en est de même de l'application des formules de révision des prix, lesquelles peuvent s'appliquer malgré la réception ().

Manœuvres frauduleuses. Amenées également à se prononcer sur les effets de la réception, les CAA de Paris et Marseille ont aussi rappelé que celle-ci, lorsqu'elle est prononcée sans réserve, met fin aux rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et les constructeurs sauf dans le cas où la réception n'aurait été acquise à l'entrepreneur qu'à la suite de manœuvres frauduleuses ou dolosives de sa part. Sur ce point, il appartient au maître d'ouvrage de démontrer en quoi la réception aurait été prononcée à la suite de manœuvres frauduleuses, démonstration qui, en l'espèce, n'a pas été retenue par les juges ( et ).

Absence de réception. En revanche, en l'absence de réception, seule la responsabilité contractuelle des intervenants est susceptible d'être recherchée, à l'exclusion de leur garantie décennale. S'agissant du délai pour agir dont dispose alors le maître d'ouvrage, la CAA de Marseille rappelle qu'en application de l', l'action se prescrit par cinq ans « à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».

En l'espèce, la CAA a jugé que le maître d'ouvrage a connu les faits lui permettant d'exercer son action en responsabilité contractuelle à la date de la remise du rapport d'expertise. Il disposait donc, à partir du dépôt du document, de cinq ans pour agir au fond, ce qu'il n'a pas fait, la cour déclarant ainsi sa demande prescrite ().

Responsabilité décennale

Contrôleur technique. Il est établi que, le contrôleur technique étant lié par contrat au maître d'ouvrage, sa responsabilité décennale est, en application de l', susceptible d'être engagée au titre de dommages de nature décennale affectant l'ouvrage sur lequel il est intervenu ().

En 2022, la CAA de Marseille rappelle une nouvelle fois le principe selon lequel les contrôleurs techniques qui participent à la construction de l'ouvrage et sont liés au maître d'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage sont au nombre des débiteurs de la garantie décennale, sauf si, compte tenu de leurs missions, le désordre ne peut leur être imputable. La cour précise à ce titre que l'alinéa 2 de l' (aujourd'hui L. 125-2) régit uniquement les relations entre le contrôleur technique et les constructeurs. Selon cet article, « le contrôleur technique n'est tenu vis-à-vis des constructeurs à supporter la réparation de dommages qu'à concurrence de la part de responsabilité susceptible d'être mise à sa charge dans les limites des missions définies par le contrat le liant au maître d'ouvrage ». Cette disposition est donc sans influence sur l'application du régime de la garantie décennale au bénéfice du maître d'ouvrage.

En l'espèce, la cour retient la responsabilité décennale d'un contrôleur technique car son contrat comprenait la mission de prévenir les désordres « susceptibles de compromettre la solidité de la construction achevée ». Peu importe en outre, poursuivent les juges, que les désordres n'auraient pas été perceptibles lors des visites ponctuelles du chantier ().

Désordres futurs. Dans le cadre de marchés privés, pour que la garantie décennale s'applique et que le désordre soit indemnisable, il faut que celui-ci ait été dénoncé dans le délai de garantie et qu'il se manifeste obligatoirement de manière certaine dans le délai décennal ( ; ). Pour le juge administratif, la solution est légèrement différente car, selon lui, il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans (notamment ).

Dans un arrêt relatif à l'édification d'un centre aquatique, la CAA de Nancy rappelle de nouveau cette position et confirme également que la responsabilité décennale du constructeur peut être recherchée pour des dommages survenus sur des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination. Cependant, s'agissant de certains désordres, bien que dénoncés dans le délai de garantie, la cour a rejeté l'application de la garantie décennale au motif que le « caractère certain que ces désordres finiront à terme par rendre l'ouvrage impropre à sa destination n'est pas suffisamment établi par la communauté de communes. Dans ces conditions et en l'absence d'autres éléments, les désordres affectant l'atelier technique ne peuvent être regardés comme présentant un caractère décennal » ().

En l'absence de réception, seule la responsabilité contractuelle des intervenants est susceptible d'être recherchée.

Retards

Intempéries. En cas d'intempéries en cours d'exécution, empêchant effectivement d'effectuer les travaux, l' 2009 (repris à l'article 18.2.3 du CCAG 2021) permet, sous certaines conditions, de prolonger leur exécution d'une durée égale au nombre de journées d'intempéries réellement constaté.

En l'espèce, un titulaire qui s'est vu retenir sur le solde de son marché des pénalités de retard correspondant à 93 jours les a contestés, en se prévalant de 79 jours d'intempéries, reconnaissant par ailleurs être responsable de 14 jours de retard. La CAA de Toulouse a confirmé la décision rendue en première instance, laquelle avait rejeté la demande du titulaire. En effet, la CAA a jugé que la société n'a jamais établi avoir « averti le maître d'ouvrage des difficultés d'exécution du chantier ni avoir sollicité auprès du maître d'ouvrage, à l'occasion notamment des réunions de chantier, la constatation contradictoire des difficultés rencontrées dans l'exécution des travaux, en vue de l'édiction par ce dernier des ordres de service prévus par les stipulations précitées. Dans ces conditions, la société appelante ne peut être regardée ni comme ayant demandé en temps utile la constatation des difficultés alléguées ni comme justifiant de ce que les travaux litigieux ont été effectivement entravés par les phénomènes météorologiques invoqués ». En conséquence, il est reproché à l'entreprise de ne pas avoir informé le maître d'ouvrage, en cours de chantier, des difficultés rencontrées du fait des intempéries. Fournir postérieurement un relevé météorologique ne suffit pas à démonter l'existence d'un lien de causalité entre les intempéries et les retards ().

Modération des pénalités de retard. S'agissant du montant des pénalités de retard, il est désormais acquis que, si le juge du contrat doit, en principe, appliquer les clauses relatives aux pénalités dont sont convenues les parties, il peut, à titre exceptionnel modérer les pénalités de retard résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif, eu égard au montant du contrat et compte tenu de l'ampleur du retard constaté dans l'exécution des prestations (, publié au Recueil ; , publié au Recueil).

Il appartient à celui qui sollicite la modération des pénalités de fournir au juge tous les éléments relatifs notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent, selon lui, un caractère manifestement excessif. A ce titre, une chronique précédente (1) rapportait que des pénalités de retard représentant 63 % du montant du marché avaient été jugées excessives ().

Dans une affaire tranchée par la CAA de Bordeaux en 2022, si le litige portait sur un marché à bons de commande ayant pour objet l'acquisition et la mise en œuvre d'une solution dédiée à la gestion de la petite enfance et non sur un marché de travaux, le principe du pouvoir d'appréciation du juge est identique.

Avant d'envisager, de modérer les pénalités de retard, le juge tient compte des carences du titulaire, de l'ampleur du retard, et de la durée d'indisponibilité de certaines fonctionnalités.

La CAA a ainsi jugé que le montant des pénalités atteignant 330 % du montant du marché sollicité par l'acheteur était disproportionné. En revanche, la cour a jugé qu'en raison, d'une part, des carences du titulaire, lequel était tenu, en vertu du cahier des clauses administratives particulières, à une obli-gation de résultat, et d'autre part, de l'ampleur du retard constaté et de la durée d'indisponibilité de certaines fonctionnalités - pendant plus de 400 jours pour certaines -, il y avait lieu de fixer le montant des pénalités de retard à hauteur de 80 % du montant du marché ().

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Mémoire en réclamation

Résiliation pour démarrage tardif. Un maître d'ouvrage a confié l'exécution de travaux de dragage à une entreprise. L'ordre de service de démarrer les travaux se faisant attendre, le titulaire a demandé la résiliation de son marché en se prévalant des dispositions de l' 2009 (reprises à l'article 50.2.1 du CCAG 2021). En effet, cet article dispose que « dans le cas où le marché prévoit que les travaux doivent commencer sur ordre de service intervenant après la notification du marché, si cet ordre de service n'a pas été notifié dans le délai fixé par le marché ou, à défaut d'un tel délai, dans les six mois suivant la notification du marché, le titulaire peut [...] demander, par écrit, la résiliation du marché ». Se prévalant de ce texte, le titulaire a également sollicité le versement d'une indemnité au titre des frais et investissement, ce qui lui a été refusé par le maître d'ouvrage. C'est dans ces conditions que le juge administratif a été saisi. Les juges du fond ont fait droit à la demande du titulaire.

Le Conseil d'Etat (2), saisi par le maître d'ouvrage, a d'abord examiné la recevabilité des demandes du titulaire fondée sur les dispositions de l'article 46.2.1 afin de savoir si cet article dispensait finalement le titulaire de l'envoi préalable d'un mémoire en réclamation. Or, pour le Conseil d'Etat, il résulte des stipulations de l'article 50.1.1 du CCAG que, « lorsqu'intervient, au cours de l'exécution d'un marché, un différend entre le titulaire et l'acheteur, résultant d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de ce dernier et faisant apparaître le désaccord, le titulaire doit présenter, dans le délai qu'elles prescrivent, un mémoire en réclamation, à peine d'irrecevabilité de la saisine du juge du contrat ». En conséquence, le titulaire aurait dû adresser préalablement à la saisine un mémoire en réclamation, le non-respect de cette obligation ayant pour conséquence de rendre irrecevable la saisine du juge du contrat.

Le Conseil d'Etat a toutefois « sauvé » le titulaire en retenant que les juges du fond avaient pu valablement estimer que le titulaire « avait adressé au maître d'œuvre une copie de sa réclamation au maître d'ouvrage, laquelle répondait aux conditions prévues par l', pour écarter la fin de non- recevoir tirée du défaut de transmission d'un mémoire en réclamation par le titulaire avant la saisine du juge » (, mentionné dans les tables du Recueil).

(1) Publiée dans « Le Moniteur » du 1er octobre 2021, p. 74. (2) Lire également « Résiliation à l'initiative du titulaire pour OS tardif, mode d'emploi », par Julien Bosquet, « Le Moniteur », 24 mars 2023, p. 74.

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