Le réemploi du bâti existant est un pilier central pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Pourtant, les bâtiments vacants persistent et les constructions neuves continuent. Ce paradoxe n’est pas soutenable. Chaque année en France, 25 000 hectares disparaissent sous le bitume, l’équivalent d’un département tous les dix ans. L’urgence n’est pas seulement de moins construire. Il s’agit de questionner les besoins, et construire autrement. Nous avons besoin de redéfinir le «nouveau» et le «neuf» pour adapter nos villes, accueillir de nouveaux habitants, inventer les lieux de demain. Persister à construire comme hier, c’est ignorer les ressources présentes : structures vacantes, matériaux dormants, sols minéralisés. C’est aussi faire l’impasse sur l’urgence écologique, sociale et urbaine.
Réinvestir, repenser, renouveler
Le vrai renouveau, c’est celui des usages. Transformer sans démolir, parce que rénover un logement émet jusqu’à cinq fois moins de dioxyde de carbone que le reconstruire. Réinvestir le déjà-là, alors que près de 700 hectares de friches ont déjà été identifiés en Île-de-France. Faire entrer la nature en ville, partout, tout le temps, parce qu’une rue arborée peut faire baisser la température jusqu’à 5°C en période de canicule. Ramener l’agriculture et les industries dans notre quotidien, pour réduire les 9000 kilomètres parcourus chaque année par un Français pour se nourrir et aller travailler. Repenser nos infrastructures et nos services pour activer des usages sobres, des mobilités neutres en carbone, car éviter les trajets courts en voiture pourrait réduire d’un tiers l’empreinte carbone liée aux transports.
Renouveau des usages
C’est mettre l’ingéniosité et l’expertise urbaine et architecturale au service d’une frugalité active : construire des modes de vie durable, avec justesse. La transformation de la gare de London Bridge illustre cette approche : en réutilisant les viaducs en briques existants pour les circulations et les commerces, elle renforce les mobilités durables et reconnecte les quartiers nord et sud pour la première fois, tout en valorisant patrimoine et contexte. Ce renouveau des usages n’est pas un horizon figé, mais un mouvement constant, inséparable de celui de la ville. Il n’y a pas de modèle unique, seulement des équilibres à retrouver, des formes à adapter. La ville de demain ne sera jamais parfaite, mais elle peut être plus juste, si elle évolue avec ses usages, et non contre eux.
Composer avec les systèmes locaux
Nous détenons des leviers puissants dans la diversification des matériaux et les dynamiques de territoire : réduire la part du trio béton-acier-verre, enrichir la palette de solutions locales et bas carbone, adapter les réponses aux régions, aux climats, aux cultures constructives. Cela impose un changement culturel et philosophique profond : apprendre à aimer ce qui est déjà là, voir la beauté
dans la simplicité, la densité bien pensée, la robustesse, la flexibilité. Réconcilier durabilité et désirabilité. Faire de la ville de demain un projet accessible, lisible, désirable. Nous avons collectivement la capacité à repenser nos systèmes : produire moins de déchets, consommer moins de ressources, refermer les boucles. Le secteur du bâtiment génère chaque année 46 millions de tonnes de déchets en France, dont plus de 30 millions en Ile-de-France, à plus de 90% issus de terres excavées. Et pourtant, moins de 1% des matériaux sont aujourd’hui réemployés, alors que près de 40% des matériaux de démolition pourraient déjà l’être si une filière adaptée existait. La valorisation matière progresse, mais le réemploi direct reste marginal. Créer des systèmes circulaires est indispensable pour rendre nos villes plus résilientes. Il faut apprendre à penser en cycles, et non en lignes droites, pour les matériaux, les bâtiments, les usages.
Répondre à la demande
Ce changement n’aura lieu qu’avec une filière formée, outillée, accompagnée. Alors que seuls 15% des professionnels sont aujourd’hui formés au réemploi, il faut structurer les compétences, encourager les filières, valoriser les savoir-faire anciens autant que les innovations techniques dans une dynamique collective. L’introduction de la RE2020 en 2022 en France a marqué un tournant. Cette nouvelle réglementation, plus exigeante, porte une ambition forte sur les enjeux carbone et énergétiques, et place la préservation des ressources au cœur de la conception. Au-delà des contraintes imposées, c’est une dynamique de transformation et d’intérêt collectif. Réparer, déconstruire, adapter, reconfigurer : ces gestes doivent devenir aussi légitimes que celui de construire. Il faut nourrir une culture du projet faite d’essais, d’humilité et d’agilité. Ce mouvement s’étend aussi à l’international. Notamment, l'International Living Future Institute (ILFI) ouvre la voie en allant au-delà de la conception durable pour s'engager et créer une communauté mondiale de personnes qui mettent en avant la conception régénératrice pour transformer l'industrie du bâtiment, grâce à d'ambitieux programmes de formation, d'éducation et de certification.
Vers un avenir résilient et durable
Construire aujourd’hui, c’est bâtir mieux, plus lentement, plus durablement. C’est investir notre intelligence collective là où elle est utile : pour adapter nos villes à un monde post-carbone, et non attendre des citoyens qu’ils changent sans environnement adapté. Il faut faire moins, différemment, mieux. Et c’est notre responsabilité collective de le faire. En mobilisant ce que nous avons déjà (matières, sols, savoirs, talents), pour rendre la résilience désirable, et l’économie circulaire enviable.