Jurisprudence

Eolien et risque incendie : une jurisprudence à géométrie variable

Par un arrêt récent, le Conseil d'Etat a retenu que l'implantation d'un projet éolien – en l'occurrence celui du pays de Sommières dans le département du Gard – ne pouvait être autorisée dans une zone à risque élevé d'incendie, alors même que des mesures compensatoires étaient prévues au sol. Une interprétation contraire à celle de la cour administrative d'appel de Marseille, qui s'était prononcée dans un arrêt remarqué – littéralement balayé par la Haute juridiction. 

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Pales d'éolienne au sol
Environnement
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2015/12/23N°386044

Ne pas souffler sur les braises. La ligne motrice du Conseil d'Etat pourrait paraître évidente dans l'opération de justification du refus d'autoriser la construction du parc éolien du pays de Sommières (1). Comprenant au total 16 éoliennes d'une hauteur de 125 mètres, le projet visé devait s'implanter sur les communes de Crespian, de Combas, et de Montmirat, dans le département du Gard, une zone ayant déjà connu des incendies, et qui présente de ce point de vue un risque de niveau "élevé à très élevé".

Après avoir essuyé le refus du préfet du Gard d'accorder les permis de construire des éoliennes en cause, les sociétés porteuses du projet ont demandé au tribunal administratif (TA) de Nîmes l'annulation pour excès de pouvoir des arrêtés préfectoraux du 10 novembre 2009 formalisant ce refus. Et le TA de Nîmes n'est pas revenu sur la décision du préfet, rejetant les demandes des sociétés d'éoliennes dans un jugement du 8 novembre 2012.%%/MEDIA:1043829%%

Mais contre toute attente, la cour administrative d'appel (CAA) de Marseille a annulé ce jugement, faisant droit aux demandes des entreprises d'éoliennes, en exigeant du préfet qu'il réexamine les demandes de permis dans les deux mois suivant la notification de son arrêt du 26 septembre 2014. Pour justifier cette annulation, la CAA de Marseille retient que "le préfet a fait une appréciation erronée de l'atteinte que les projets en cause étaient de nature à porter à la sécurité publique" au regard de l'article R. 111-2 du Code de l'urbanisme.

En effet, la CAA estimait que l'implantation des éoliennes, "choisie en fonction des préconisations de l'étude du risque incendie de l'Office national des forêts (...) permettrait l'utilisation par les avions de lutte contre l'incendie de plusieurs axes de largage sur le site concerné (...), que les projets avaient intégré les recommandations de cette étude (...) par le déplacement ou la suppression de certaines (éoliennes) ainsi que par le renforcement des moyens de défense au sol, grâce notamment à la mise en place de citernes, à l'intégration de pistes d'accès techniques au réseau de défense contre l'incendie et à des opérations de débroussaillement".

Un contrôle concret de l'appréciation du risque ... propre à chaque juridiction

Ce faisant, la CAA s'est approprié les éléments concrets du dossier pour finalement livrer sa propre analyse du risque, sommant ainsi le préfet de revoir sa copie. Mais c'était sans compter l'intervention du ministre du Logement, qui a aussitôt saisi le Conseil d'Etat.

Et pour justifier l'annulation de l'arrêt de la CAA de Marseille, le Conseil d'Etat se livre à son tour à sa propre analyse des faits, jugeant que la zone concernée par ces projets éoliens, qui a déjà connu des incendies, « se caractérise par un niveau de risque d'incendie de forêt qualifié de globalement 'élevé à très élevé' par l'étude de l'ONF, susceptible d'être aggravé lors des travaux de maintenance des éoliennes, et que l'intervention des moyens aériens de lutte contre les feux de forêt ne pourra être assurée dans un rayon de 600 mètres autour de chacune des éoliennes, eu égard à leur hauteur, de 120 mètres en bout de pales, alors que la hauteur de largage des avions bombardiers d'eau varie entre 30 et 60 mètres au-dessus de la végétation ».

Dans la même idée, le Conseil d'Etat va puiser dans les plans annexés à l'étude de l'ONF et les observations de la base d'avions de sécurité civile de Marignane pour retenir que « le couloir aérien ménagé pour les secours au sol demeurerait insuffisant », et qu'il ne ressort pas du dossier que « les mesures tenant au débroussaillement, à l'entretien des accès au sol ou à la mise en place de citernes soient de nature à compenser efficacement les perturbations induites dans la lutte contre les incendies par la présence des éoliennes ». La Haute juridiction estime ainsi que la CAA de Marseille a « dénaturé les pièces du dossier ».

Une solution qui, d'un point de vue pragmatique, semble satisfaisante, mais qui, sur le plan juridique, complexifie considérablement la donne pour les sociétés porteuses de projets en matière d'énergie renouvelable. Leur sécurité juridique – et donc leur développement – pourrait en effet être fortement compromise en l'absence d'unification de la jurisprudence en la matière...

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