Raccourcir les délais de procédure et sécuriser le contentieux au bénéfice de certains projets agricoles. Tel est l'objectif du portant adaptation de la procédure contentieuse relative aux ouvrages hydrauliques agricoles, aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) en matière d'élevage et aux autorisations environnementales. Une fois de plus, les règles contentieuses en matière d'environnement s'en trouvent complexifiées.
Accélérer et sécuriser les contentieux, encore et toujours…
Ce décret s'inscrit dans le prolongement des précédents textes législatifs et réglementaires visant à accélérer ou sécuriser le contentieux pour certains projets que les pouvoirs publics souhaitent encourager. On citera notamment :
- le qui a donné compétence aux cours administratives d'appel (CAA) pour connaître en premier et dernier ressort des décisions relatives aux éoliennes terrestres ;
- le qui a consacré un régime contentieux spécifique pour certaines installations d'énergies renouvelables (EnR) comprenant notamment un délai de recours contentieux de deux mois contre les décisions relatives à ces projets, l'absence de prorogation du délai de recours contentieux par l'exercice d'un recours administratif et l'obligation pour le juge de statuer dans un délai de dix mois à compter de l'enregistrement de la requête sous peine de dessaisissement automatique au profit de la CAA ou du Conseil d'Etat ;
- la relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, dite « Aper », et son décret d'application n° 2023-1103 du 27 novembre 2023 qui ont institué une obligation de notification de tout recours dirigé contre une autorisation environnementale à son auteur et à son bénéficiaire ;
- la relative à l'industrie verte qui a réformé l'instruction de l'autorisation environnementale et certaines règles contentieuses afférentes.
… y compris pour certains projets agricoles
A compter du 1er septembre prochain, le décret du 10 mai 2024 précité prévoit que les décisions relatives à certains ouvrages et installations agricoles feront l'objet de règles contentieuses particulières.
Décisions et projets visés. Les décisions visées - y compris leur refus - sont les suivantes : autorisation environnementale ; enregistrement et récépissé de déclaration ICPE ; absence d'opposition à déclaration au titre de la loi sur l'eau (Iota) ou arrêté de prescription applicable le cas échéant ; autorisation de défrichement ; dérogation espèces protégées ; permis de construire, d'aménager, de démolir ; décision de non-opposition à déclaration préalable au titre du Code de l'urbanisme ; absence d'opposition Natura 2000 ; autorisation au titre des abords des monuments historiques ; autorisation de travaux dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable et prescriptions archéologiques. Sont également visés les prorogations, transferts, modifications ou les décisions complétant les prescriptions de ces autorisations.
Sont concernés par ce contentieux spécifique les projets d'ouvrages hydrauliques agricoles soumis à la loi sur l'eau (Iota), comprenant notamment les controversées mégabassines, et certaines installations d'élevage.
Suppression de l'appel et jugement en dix mois. Le décret supprime la voie de l'appel pour les litiges concernant ces décisions. Les tribunaux administratifs seront compétents en premier et dernier ressort pour connaître des recours dirigés contre les installations d'élevage (nouvel [CJA]). Les litiges afférents aux ouvrages hydrauliques agricoles - comme les mégabassines - seront jugés exclusivement par le tribunal administratif de Paris (nouvel ). Le juge devra statuer dans un délai de dix mois (). Contrairement aux projets d'EnR visés par le décret du 29 octobre 2022 précité, le non-respect de ce délai n'aura pas pour effet de le dessaisir automatiquement au profit du Conseil d'Etat.
Notification, cristallisation. Autres mesures instaurées : la notification, à peine d'irrecevabilité, du recours au bénéficiaire et à l'auteur de la décision ainsi que la cristallisation automatique des moyens. Celle-ci interdit de soulever de nouveaux arguments passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense.
Réduction des délais de recours pour tous les projets. Par ailleurs, pour l'ensemble des projets et pas seulement pour les projets agricoles visés, le décret réduit de quatre à deux mois le délai de recours contentieux des tiers en matière d'autorisation environnementale et concernant l'ensemble des autres décisions en matière d'ICPE et de Iota (décisions portant enregistrement ou preuves de dépôt ou récépissés de déclaration notamment).
L'exercice d'un recours administratif dans ce délai aura pour effet, s'il est régulièrement notifié au bénéficiaire de la décision, d'interrompre le délai de recours contentieux.
Une régression du droit de l'environnement
Le décret marque une nouvelle réduction du délai de recours contentieux à l'encontre de décisions relatives aux ICPE et aux Iota. Il sera passé de quatre ans jusqu'en 2010 à deux mois à compter du 1er septembre 2024. La suppression du double degré de juridiction pour les ouvrages hydrauliques et les installations agricoles interroge en raison des risques non négligeables qu'ils présentent pour l'environnement et des fortes oppositions locales qu'ils suscitent.

Critiques des juridictions. Le Syndicat de la juridiction administrative (SJA) a vivement critiqué la suppression de la voie de l'appel et « la multiplication de règles contentieuses spéciales » (1). De son côté, l'Union syndicale des magistrats administratifs (USMA) a évoqué une « atteinte inacceptable aux règles de compétence territoriale des tribunaux administratifs et au principe du double degré de juridiction » (2).
Pour le SJA, « si le pouvoir politique estime que les délais de jugement sont trop longs, la seule solution réside dans l'augmentation des moyens alloués à la justice administrative ».
Ces nouvelles dispositions auront cependant peu de chances d'être censurées en cas de recours devant le Conseil d'Etat. En effet, par un arrêt du 12 avril 2024, la Haute juridiction a rejeté l'action engagée par la Conférence des bâtonniers de France à l'encontre du qui prévoyait des dispositions similaires pour les installations de production d'énergie renouvelable. Elle a jugé que le principe de non-régression en matière environnementale ne pouvait pas être utilisé pour contester des dispositions aménageant le régime contentieux applicable aux décisions visées par le décret attaqué (, mentionné aux tables du recueil Lebon).
Dispositions législatives. A noter que le projet de loi d'orientation en faveur de la souveraineté alimentaire et agricole et du renouvellement des générations en agriculture - dont l 'issue est incertaine compte tenu de la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin - comprend également des dispositions spécifiques visant à accélérer la prise de décision des juridictions en cas de contentieux contre des projets d'ouvrages hydrauliques agricoles et d'installations d'élevage. A l'instar des mesures existantes pour le contentieux des autorisations d'urbanisme, le texte prévoit un aménagement des règles du référé-suspension (présomption d'urgence, délai d'un mois imparti au juge pour statuer…).
(1) SJA, avis, 12 mars 2024. (2) Compte rendu de l'USMA, 12 mars 2024.