Le tribunal judiciaire du Puy-en-Velay (Haute-Loire) a récemment signé trois conventions judiciaires d'intérêt public (CJIP) environnementales (1). Une première en la matière. Les CJIP sont issues de la loi dite II de 2016 (2). Elles ont ensuite été étendues à la lutte contre la fraude fiscale par la , puis aux infractions environnementales (3) en décembre 2020. Elles sont codifiées aux articles et du Code de procédure pénale.
Ces conventions sont susceptibles de s'appliquer aux entreprises du bâtiment et des travaux publics qui seraient suspectées d'avoir commis des délits portant atteinte à l'environnement, comme la pollution d'un cours d'eau, la destruction d'espèces protégées ou encore l'abandon de déchets, sanctionnés respectivement par les articles , et du Code de l'environnement.
De l'intérêt d'une justice négociée…
Plus précisément, la CJIP constitue un accord de justice négociée, intervenant avant tout engagement des poursuites, par lequel, sur proposition du parquet, une personne morale de droit privé ou de droit public reconnaît avoir commis des faits délictueux, consent à verser une amende d'intérêt public, à réparer le préjudice écologique occasionné et à suivre un programme de mise en conformité d'une durée maximale de trois ans, sans pour autant reconnaître sa culpabilité (à la différence d'un jugement).
Eviter un procès. L'intérêt d'un tel dispositif pour l'entreprise mise en cause est d'éviter de se soumettre à une enquête, voire à une instruction longue et coûteuse, lesquelles sont généralement suivies d'un procès, potentiellement médiatisé, à l'issue incertaine.
La CJIP se distingue des autres formes de justice négociée, en particulier de la transaction () en ce qu'elle implique, pour la personne morale mise en cause, l'adoption d'une démarche proche de l'« auto-accusation » : l'entreprise doit notamment participer, de manière volontaire, à la démonstration des faits et coopérer activement avec les autorités de poursuite à l'établissement de la vérité.
…en matière environnementale
Si plusieurs CJIP ont déjà été signées en matière d'atteinte à la probité et de fraude fiscale, le dispositif n'avait pas encore été appliqué en matière environnementale. C'est chose faite avec ces trois premières CJIP « environnementales » conclues fin 2021, début 2022. Plusieurs points communs peuvent être relevés : - elles portent sur des faits similaires de déversement de substances nuisibles dans un cours d'eau, ayant entraîné une atteinte à la faune, lesquels ne présentent pas de complexité particulière. Les services enquêteurs ont rapidement élucidé les faits et identifié leurs auteurs ; - les amendes d'intérêt public prononcées sont faibles (respectivement de 1 000, 3 000 et 5 000 euros) comparées au montant potentiel prévu qui peut atteindre jusqu'à 30 % du chiffre d'affaires ou du budget moyen annuel des trois derniers exercices de l'entreprise mise en cause ; - comme de coutume dans les affaires de droit pénal environnemental, des associations de défense de l'environnement ont été associées à la procédure, et ont obtenu une indemnisation de leur préjudice (2 159 euros au titre du premier accord ; 23 688 euros et 18 237 euros pour les deux associations parties au second contrat ; deux fois 3 000 euros dans le troisième accord) ; - au regard de la « simplicité » des faits commis, le programme de mise en conformité imposé par le ministère public porte sur une durée relativement importante : trente mois, sous la supervision des services compétents du ministère chargé de l'environnement. Cette mise en conformité apparaît longue alors que les mesures techniques envisagées présentent un caractère concret et rapidement réalisable. L'une d'entre elles porte par exemple sur l'installation d'un portique.
Les premiers enseignements à tirer
Alors que cet outil procédural a, jusque-là, été utilisé pour des affaires à fort potentiel médiatique, portant sur des infractions complexes (fraude fiscale, corruption, abus de biens sociaux, escroquerie en bande organisée), les premières conventions signées en matière environnementale résultent de la commission de délits relativement simples, ne dépassant pas le cadre local, par des entreprises de taille plus modeste.
Efficacité. Par ailleurs, l'efficacité avec laquelle ces conventions ont été conclues relativise sérieusement les critiques initialement formulées par les associations de défense de l'environnement. Les CJIP ont en effet permis d'élucider les faits dans des délais courts, d'identifier et de sanctionner rapidement leur(s) auteur(s) tout en assurant une prompte réparation de l'atteinte portée à l'écosystème.
Il en ira peut-être différemment lorsque des conventions seront envisagées pour des faits plus graves portant une atteinte durable à l'environnement ou à la santé publique, ce type de dossiers étant généralement à l'origine d'une forte mobilisation des élus, de l'administration, des riverains et/ou d'associations.
Volonté, sincérité. Deux considérations qui animent de manière récurrente les débats relatifs à la justice négociée se poseront alors avec acuité. D'une part, les autorités de poursuite et les parties concernées accorderont une attention particulière au degré de volonté de l'entreprise mise en cause de coopérer activement à la révélation des circonstances ayant entraîné la commission de l'infraction ainsi qu'à la sincérité de sa démarche d'amendement sur le long terme. Cette dernière reposera notamment sur le lancement d'une enquête interne, son engagement dans un programme ambitieux de mise en conformité ou encore sur le remplacement de l'équipe dirigeante à l'origine des faits.
Inquiétude des dirigeants, personnes physiques. D'autre part, le sort réservé aux personnes physiques, dans le cadre de la négociation de ce type de convention, demeurera au centre des préoccupations. Rappelons que seule une personne morale peut conclure une CJIP. Ainsi, un dirigeant, mis en cause personnellement pour les mêmes faits que ceux commis par son entreprise ne peut pas négocier la peine qu'il encourt avec le parquet. Naît alors généralement, dans son esprit, la nécessité d'opérer un équilibre entre les révélations qu'il consentira à faire pour parvenir à la signature d'un accord par son entreprise et la crainte de voir ces mêmes éléments utilisés par le ministère public dans le cadre des poursuites que ce dernier exercera contre lui, hors cadre de la CJIP.
Au regard de la place centrale que prennent les considérations environnementales dans la vie des affaires, les entreprises du BTP seraient bien inspirées de suivre l'usage que les juridictions commencent à faire de cet outil de justice négociée.