Environnement : la loi d'accélération des EnR n'aura pas la peau des espèces protégées

La présomption d'intérêt public majeur reconnue aux projets ne facilitera pas l'octroi des dérogations.

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Afin de limiter les risques de contentieux portés contre les projets d'énergies « vertes », la relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, dite « EnR », assouplit l'une des conditions d'octroi de la dérogation au titre des espèces protégées. Cette mesure, très encadrée, ne donne toutefois pas carte blanche aux opérateurs.

Mise en balance du projet avec d'autres intérêts

Rappelons que les projets de production d'EnR comportant un risque suffisamment caractérisé de destruction d'espèces de faune ou de flore protégées doivent donner lieu à l'obtention d'une dérogation prévue par l', en principe délivrée par le préfet du département (voir , publié au recueil Lebon). Cette dérogation ne peut être accordée que si trois conditions sont réunies : absence d'autre solution satisfaisante ; maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ; et démonstration que le projet répond à une raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM).

Lorsqu'il est saisi d'un recours contre une telle dérogation, le juge administratif vérifie, dans un premier temps, si le projet répond, en fonction de ses caractéristiques propres et du besoin essentiel et indispensable qu'il permet de satisfaire, à un intérêt public majeur susceptible d'être mis en balance avec l'objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore.

Réduction et compensation. Dans un second temps, en présence d'un tel intérêt, il prend en considération les atteintes portées par le projet aux espèces protégées, en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues par le pétitionnaire (, mentionné aux Tables).

La condition liée à une RIIPM a parfois fait obstacle à la réalisation de projets de production d'EnR, notamment lorsque la puissance totale de ces installations ne permettait pas de couvrir des besoins importants en matière de consommation électrique ou de contribuer de façon déterminante aux objectifs nationaux de développement des EnR. Le Conseil d'Etat a ainsi rappelé, à l'occasion de recours contre des projets d'éoliennes en mer, que l'intérêt public majeur s'appréciait notamment au regard de la puissance des installations et de leur contribution aux objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) (, mentionné aux Tables).

Une présomption simple d'intérêt public majeur

La loi EnR assouplit la condition tenant à l'existence d'une RIIPM, en posant le principe selon lequel les projets d'installation de production d'EnR ou de stockage d'énergie dans le système électrique, y compris leurs ouvrages de raccordement aux réseaux de transport et de distribution d'énergie, « sont réputés répondre à une raison impérative d'intérêt public majeur, au sens du c) du 4° du I de l' » (nouvel ). Cette disposition avait été déférée, en vain, au Conseil constitutionnel (CC, 9 mars 2023, décision 2023-848 DC).

Intérêt limité. L'instauration de cette présomption n'aura a priori qu'un intérêt limité pour les projets d'EnR soumis à l'obligation d'obtenir une dérogation espèces protégées. En effet, d'une part, il ne s'agit que d'une présomption simple, susceptible d'être renversée en présence de forts enjeux de conservation de ces espèces sur un secteur donné ou lorsque les dommages ne pourront pas être prévenus, réduits ou compensés de manière satisfaisante par le pétitionnaire.

L'intérêt public majeur s'apprécie notamment au regard de la puissance des installations.

D'autre part, et surtout, cette présomption ne s'appliquera pas à tous les projets de production d'EnR mais seulement à ceux qui répondront à des « conditions définies par décret en Conseil d'Etat ». Les conditions prévues par ce décret devront tenir compte du type de source d'énergie renouvelable, de la puissance prévisionnelle de l'installation projetée et de la contribution globale attendue des installations de puissance similaire à la réalisation de certains objectifs fixés par la PPE.

Petits projets. Sous réserve des seuils de puissance qui seront retenus par le pouvoir réglementaire, cette présomption pourrait donc ne pas jouer pour les « petits » projets, alors que c'est précisément pour ces derniers que la preuve d'une RIIPM s'avérera déterminante en cas de contentieux.

Quant à l'intérêt de cette présomption pour les projets supérieurs aux seuils, il est aussi à relativiser dans la mesure où la jurisprudence reconnaissait déjà que l'intérêt public majeur de ces projets s'apprécie au regard de la puissance des installations et de leur contribution aux objectifs de la PPE (, précité).

Autres conditions

En tout état de cause, et comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 mars, les projets d'EnR continueront à devoir réunir les deux autres conditions d'octroi de la dérogation au titre des espèces protégées, à savoir l'absence de solution alternative satisfaisante et le maintien dans un état de conservation favorable des populations d'espèces protégées dans leur aire de répartition naturelle.

Absence de solution alternative. En ce qui concerne l'absence de solution alternative satisfaisante, la loi précise que « l'existence d'une zone d'accélération définie à l'article L. 141-5-3 du [Code de l'énergie] ne constitue pas en tant que telle une autre solution satisfaisante au sens du 4° du I de l' ».

En outre, le respect de cette condition peut être problématique, en particulier lorsque des études ont pu conclure au caractère satisfaisant d'une solution alternative, qui a finalement été ignorée par le maître d'ouvrage. Dans ce cas, la dérogation ne pourra pas légalement être délivrée.

Maintien des espèces dans un état de conservation favorable. Quant aux modalités de contrôle par l'autorité administrative de la deuxième condition, elles ont été récemment précisées par le Conseil d'Etat. Selon la Haute juridiction, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, « de déterminer, dans un premier temps, l'état de conservation des populations des espèces concernées et, dans un deuxième temps, les impacts géographiques et démographiques que les dérogations envisagées sont susceptibles de produire sur celui-ci » (, mentionné aux Tables). Cette condition ne sera pas considérée comme remplie lorsque le dossier de demande de dérogation est lacunaire à cet égard. C'est notamment le cas lorsque les données figurant dans le dossier sont insuffisamment documentées et évaluées, notamment si le porteur de projet a apporté des modifications aux mesures compensatoires envisagées postérieurement à l'avis émis par le Conseil national de la protection de la nature, sans nouvelle consultation de cette autorité.

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