Heureux secteur que celui du BTP. Ses entreprises, dopées par le cycle favorable que connaît la construction, dégagent depuis plusieurs années des bénéfices… et s’interrogent sur la meilleure façon de les utiliser.
L’option qui s’offre le plus naturellement au chef d’entreprise est de profiter d’un résultat positif pour son propre compte, soit en se distribuant des dividendes, soit en se versant une prime de fin d’année, soit en mettant en place des systèmes de rémunération différée (contrat de retraite entreprise, PEE, assurance-vie…). L’objectif est, ici, de réaliser une optimisation fiscale en tenant compte des modifications légales intervenues en 2005 (voir l’interview de Jean-Jacques Baylacq ci-contre). Traditionnellement, les dirigeants du BTP sont réputés pour se réserver une part non négligeable des bénéfices. Depuis la crise des années 1990, les choses semblent avoir changé : « La nouvelle génération de dirigeants a un profil de gestionnaire qui les conduit à privilégier les fonds propres et la solidité financière de l’entreprise », affirme André Cadrot, directeur délégué de BTP Banque.
Prévoir la trésorerie. La prudence est de mise aujourd’hui. « La part des dividendes que nous nous versons – en général moins d’un tiers des bénéfices – reste modeste, estime Yvon Sanchez, directeur général de l’entreprise perpignanaise TP 66. Je suis sûr que c’est cette attitude raisonnable, répétée sur 20 ans, qui permet à l’entreprise d’avoir aujourd’hui une si bonne santé financière. »
La distribution de primes ou de dividendes doit être d’autant plus mesurée que, dans le BTP, les incidents de paiement sont fréquents. « Il faut toujours faire attention, car le chiffre d’affaires représente des sommes facturées et non réglées. Le résultat qui en découle n’est donc pas toujours dans les caisses. En résumé, l’argent distribué peut n’être que virtuel », prévient Hervé Puteaux, expert-comptable (cabinet JPA). La part entre ce qui est réservé au dirigeant et ce qui doit venir « gonfler » les fonds propres doit, également, être décidée en fonction de l’année à venir. « Les bénéfices doivent d’abord servir à financer l’écart entre les délais de paiement des fournisseurs et ceux des clients, car on ne peut pas compter uniquement sur les découverts et escomptes octroyés par la banque », note Hervé Puteaux. André Cadrot souligne qu’une bonne année est l’occasion de se constituer un « trésor de guerre » pour préparer des jours moins roses : « Le cycle positif d’activité que traverse le BTP ne durera pas éternellement. Les entreprises doivent se servir des bénéfices pour renforcer leur assise financière. On ne sait jamais de quoi demain sera fait. » Renforcer les fonds propres permet, aussi, de faciliter ses relations avec sa banque. « J’accorderais plus facilement à une entreprise une caution personnelle et solidaire en remplacement d’une retenue de garantie dans le cadre d’un contrat de sous-traitance, si celle-ci a un niveau de capitalisation satisfaisant », admet André Cadrot.
Investir pour l’avenir. Pour une jeune entreprise, ce renforcement des fonds propres est même une condition de sa survie. Vincent Guérin, créateur de MG Design, PME spécialisée dans la réalisation de maquettes virtuelles, l’a bien compris. « Les 45 787 euros de résultat net dégagés en 2004 ont presque en totalité été réinvestis dans nos fonds propres, explique-t-il. Les sept associés de la SARL n’ont pas touché de bénéfices et se contentent de leur salaire. C’est un passage obligé pour une entreprise lancée voilà moins de trois ans. Les choses pourront évoluer d’ici à quelques années. »
L’investissement est un dernier axe à ne pas négliger. « La génération des dirigeants des années 1960 avait la fâcheuse habitude de mettre presque tout le bénéfice disponible dans la trésorerie de l’entreprise. Or, il ne sert à rien d’avoir trop d’argent dans les caisses. Une bonne année doit aussi servir à renouveler le matériel ou à mettre en place des dispositifs salariaux pour fidéliser un personnel de qualité, que l’on sait très rare dans le BTP… », prévient Hervé Puteaux. Comme le rappelle André Cadrot, « les entrepreneurs n’ont pas vocation à être des gestionnaires de patrimoine ». Il existe mille autres possibilités d’investissement : un nouveau siège social, la reprise d’une entreprise, l’export, la prise de parts dans une entreprise innovante, la recherche et développement… Les experts sont formels : l’avenir se prépare durant les « bonnes années » et non lorsque la conjoncture est mauvaise.