Entreprise défaillante et réception des travaux : les précautions à prendre

Le maître d’ouvrage qui se trouve confronté à un abandon de chantier doit se montrer particulièrement vigilant dans l’appréhension de l’ouvrage inachevé, afin de ne pas se trouver privé de tout recours en cas de désordres.

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Abandon de chantier

Il est fréquent que l’abandon de chantier se cumule avec une disparition de l’entrepreneur défaillant, ce qui privera le maître d’ouvrage de toute perspective de reprise des désordres et d’achèvement des travaux. Le maître d’ouvrage doit donc s’assurer de pouvoir disposer, à tout le moins, de la garantie de l’assureur de responsabilité décennale de l’entrepreneur défaillant, pour les désordres de nature décennale qui se révèleraient postérieurement à l’abandon de chantier.

Le bénéfice de cette garantie suppose que le maître d’ouvrage procède à la réception des travaux inachevés lors de l’abandon de chantier, ce qui n’est malheureusement pas systématique. Conformément à l’article 1792-6 du Code civil, la réception est l’acte par lequel le maître d’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves. La possibilité de réceptionner des travaux inachevés est désormais bien admise par la jurisprudence, qui considère que l’achèvement de l’ouvrage n’est pas une condition de la réception (Cass. civ. 3e, 27 avril 2011, n°10-10643 ; Cass. civ. 3e, 7 juillet 2015, n°14-17115).

La réception de l’ouvrage inachevé peut, bien entendu, être expresse, et donner lieu à la rédaction d’un procès-verbal de réception, avec ou sans réserves. Dans ce cas, le maître d’ouvrage devra prendre le soin de faire figurer les parties inachevées au titre des réserves, afin de pouvoir obtenir l’achèvement de l’ouvrage par l’entrepreneur défaillant, dans le cadre de la garantie de parfait achèvement, si tant est que ce dernier n’ait pas disparu.

Réception tacite

La réception peut également être tacite, dès lors que la volonté non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage inachevé se trouve établie. En général, la jurisprudence considère que cette volonté est manifeste en présence des deux critères suivants : la prise de possession de l’ouvrage et le paiement des travaux exécutés par le maître d’ouvrage (Cass. civ. 3e, 11 février 1998, n°96-13142 ; Cass. civ. 3e, 27 avril 2011, n°10-10643).

Toutefois, il a déjà été admis l’existence d’une réception tacite d’un ouvrage inachevé du seul fait que :

- le maître d’ouvrage avait mis fin au contrat avec l’entrepreneur, et fait dresser un constat des parties d’ouvrage exécutées (CA St Denis de la Réunion, 23 janvier 2015, n°15/44, 13/01227) ;

- le maître d’ouvrage avait mis fin au contrat avec l’entrepreneur, et repris le chantier pour achever la construction (Cass. civ. 3e, 24 octobre 1990, n°89-14945) ;

- le maître d’ouvrage avait adressé à l’entrepreneur défaillant une mise en demeure, indiquant qu’à défaut de reprendre le chantier sous quinzaine, il ferait constater par un huissier l’abandon de chantier (Cass. civ. 3e, 30 juin 2016, n°15-17789).

En revanche, l’existence d’une réception tacite d’un ouvrage inachevé a été refusée dans les cas suivants, où les faits ont été jugés insuffisants pour établir la volonté non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage en l’état :

- le maître d’ouvrage avait mis fin au contrat avec l’entrepreneur, et sollicité une expertise aux fins d’évaluation du prix des travaux exécutés (Cass. civ. 3e, 21 septembre 2011, n°10-20638) ;

- le maître d’ouvrage et l’entrepreneur s’étaient entendus pour qu’une autre entreprise achève l’ouvrage, mettant ainsi fin d’un commun accord à leur relation contractuelle (Cass. civ. 3e, 19 mai 2016, n°15-17129).

Ainsi, l’état de la jurisprudence actuelle ne permet pas de dégager des critères clairs et précis des cas dans lesquels l’existence d’une réception tacite serait retenue, ce qui doit appeler le maître d’ouvrage à la plus grande vigilance.

Le maître d’ouvrage, confronté à un abandon de chantier et à la disparition de l’entrepreneur, doit impérativement prendre toutes les précautions pour caractériser sa volonté non équivoque de recevoir l’ouvrage inachevé. Les enjeux sont majeurs, car à défaut de réception, il se trouvera privé de tout recours en cas de désordres, ne pouvant rechercher ni l’entrepreneur disparu, ni son assureur de responsabilité décennale.

La prudence impose donc de privilégier la réception expresse de l’ouvrage, avec rédaction d’un procès-verbal de réception, avec ou sans réserves, qui sera opposable à l’entrepreneur défaillant, même non présent, dès lors que ce dernier aura été dûment convoqué aux opérations de réception et de relevé des parties d’ouvrage exécutées.

A défaut, le maître d’ouvrage serait contraint d’introduire une procédure judiciaire pour faire constater l’existence d’une réception tacite, dont il a été démontré que l’issue serait pour le moins incertaine, sans compter les délais et coûts afférents à cette procédure.

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