Décryptage

Immobilier : en 2023, les métiers contraints de se réinventer

S'ils veulent s'adapter à une conjoncture difficile, promoteurs, banquiers et investisseurs doivent revoir en profondeur leurs habitudes et leurs priorités.

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
Le 8 décembre dernier se tenait, lors du Simi, la conférence « L’immobilier au défi de l’inflation, de la hausse des taux et du changement climatique ».

La salle de 200 places était pleine à craquer. Preuve que le sujet passionne les professionnels venus assister à la conférence « L'immobilier au défi de l'inflation, de la hausse des taux et du changement climatique », organisée par l'Institut de l'épargne immobilière et foncière (IEIF) lors du Salon de l'immobilier d'entreprise (Simi) à Paris le 8 décembre. Le public l'aura compris : cette année, il faut tout changer.

Le promoteur dans un étau

Débusquer le foncier. En 2023, année qui pourrait être marquée par la poursuite de la remontée des taux, les promoteurs feront le dos rond et joueront gros à chaque (re) négociation de foncier. « Sur cette marge de manœuvre, c'est l'inconnu, confie Béatrice Lièvre-Théry, directrice générale de Sogeprom. Surtout que l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN) ne devrait pas aider car ce qui est rare est cher. » Seule éclaircie au tableau, d'après elle : « Nous n'avons pas de stock de logements alors que la demande est là : il y a des besoins de nouveaux types de bureaux, de bâtiments pour se distraire… ». En continuant la démolition-reconstruction émettrice de gaz à effet de serre ? « Demain, l'acte de démolir sera moins toléré, mais technologiquement, le faire à des prix acceptables nous est difficile. Nous sommes en train d'apprendre à marche forcée », avoue-t-elle.

S'adapter à la RE 2020. Autre défi, la sécurisation des approvisionnements de matériaux répondant aux enjeux climatiques : « Toute la chaîne ne s'est pas préparée à la RE 2020, qui est pourtant arrivée avec deux années de retard, reconnaît Béatrice Lièvre-Théry. Il faudra au moins une bonne année pour que les filières bois, béton bas carbone et des nouveaux systèmes de chauffage performants soient en capacité de répondre à la demande croissante et que les promoteurs changent leurs méthodes de conception, dans l'optique de construire des immeubles moins consommateurs de matières. Nous devons aussi apprendre à allier différents matériaux biosourcés car nous ne pourrons pas construire tout en bois, après des années de tout-béton, assez confortables au fond. »

Réduire ses marges. Entre la hausse du coût de construction et le surcoût lié à la RE 2020, les marges des promoteurs fondent comme neige au soleil. « Nous sommes obligés de revoir la conception des projets, quitte à choisir des matériaux moins nobles, pour rentrer dans les prix. Nous pouvons renégocier le prix de vente mais c'est rare. Donc, soit le projet est abandonné, soit le promoteur accepte une baisse de sa marge », poursuit la dirigeante.

Réapprendre le risque. Le pic inflationniste est attendu en 2023, les secousses ne sont donc pas près de s'arrêter. « Nous avions oublié que le métier de promoteur était risqué. Pendant dix ans, les prix immobiliers ont fortement augmenté. Les investisseurs et les particuliers ont profité des taux bas pour doper leur pouvoir d'achat immobilier, sur fond d'inflation faible [longtemps inférieure à 2 % contre 6 % actuellement, NDLR]. Les hausses du coût de construction étaient tout à fait supportables », rappelle-t-elle. Et aujourd'hui, l'effet ciseaux fait mal. « La remontée des taux impacte le prix de sortie pour les investisseurs et la capacité d'endettement des particuliers », résume Béatrice Lièvre-Théry. Et de conclure : « En tant que chef d'orchestre, nous devons faire jouer ensemble de plus en plus de musiciens, alors que la partition est de plus en plus difficile. »

Le banquier encore plus exigeant

Collecter des données environnementales. En parallèle, la montée en puissance des critères extra- financiers, dits « ESG » pour environnement, société et gouvernance, fait bouger les lignes au sein des banques. « Nous allons demander à nos clients [promoteurs, gestionnaires…, NDLR] de plus en plus de données liées à la performance énergétique notamment, explique Olivier Colonna d'Istria, président de la banque Socfim (BPCE) et de l'Institut du financement des professionnels de l'immobilier (IFPImm). Dans le neuf, nous savons faire, mais dans l'ancien, nous apprenons. Les données dont nous avons besoin pour prouver que les professionnels accompagnés vont dans la bonne direction sont à stabiliser. »

Sélectionner ses clients. « Malgré une remontée des taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE) qui pourraient atteindre 3 % en 2023 », selon l'économiste Denis Ferrand, et une potentielle vague de projets reportés voire abandonnés, Olivier Colonna d'Istria ne s'attend pas à un resserrement du crédit. « Certes, la BCE resserre le robinet, mais il y a de la liquidité, et les banques européennes n'ont jamais été aussi solides », résume-t-il. Toutefois, le financement coûtera plus cher, et les banques seront aussi plus sélectives. Le professionnel qui a commencé à « transformer son métier » part avantagé, précise-t-il.

Repositionner ses investissements. Enfin, en matière d'investissement, les classes d'actifs peu perturbées par une menace de récession comme l'immobilier de santé ou le coliving continueront d'être plébiscitées en 2023. « Encore faut-il entrer au bon prix », rappelle le banquier. Et puisque les dents creuses se raréfient, la transformation de l'existant, en particulier des centres commerciaux et leur parking, est un levier à actionner de toute urgence. « Plutôt que subir une décote, les opérateurs et les propriétaires pourraient réfléchir à un repositionnement de leurs fonciers déjà artificialisés. Mais cela prend du temps, car ils ont besoin de se doter de nouvelles compétences », souligne-t-il.

L'investisseur en quête de valeurs sûres

Privilégier la centralité. En 2023, Swiss Life Asset Managers compte investir dans les mêmes classes d'actifs et de localisations : « Le bureau à Paris et la première couronne du croissant ouest [où les loyers sont les plus élevés, NDLR], l'hôtellerie, qui permet de se protéger contre la hausse des prix, et les résidences gérées, comme l'immobilier de santé », annonce Frédéric Bôl, son président en France. Et la logistique, qui a connu un gros coup de frein en 2022 après les performances historiques de 2020 et 2021 ? « C'est le secteur qui a le plus pâti de la hausse des taux. Nous resterons prudents. » Quid du bureau, fragilisé par le développement du télétravail ? « Sur le long terme, la distorsion va s'accroître entre marchés de périphérie et marchés performants, car centraux, desservis par les transports, avec un accès facile aux commerces, et qui plaisent aux utilisateurs », commente Delphine Mutterer, directrice de l'investissement de la société de conseil en immobilier Catella. Les bureaux situés loin de Paris, où l'offre est plus forte que la demande, souffriront encore « des restitutions de surfaces », anticipe-t-elle.

Verdir son parc. A court terme, l'étincelle pourrait venir du verdissement des immeubles. « Cela favoriserait une accélération des transactions. Dans les prochains mois, il faudra que le marché bascule vers d'autres créations de marges pour financer ce verdissement, dont le coût pourra aussi générer des friches tertiaires, qu'il faudra transformer avec le concours de plusieurs acteurs », imagine-t-elle. Aux investisseurs qui ont massivement parié sur le bureau d'accepter de « perdre de l'argent » pour participer à la reconstruction de la ville sur la ville. « Il n'y aura pas du logement partout. Il faut aussi regarder le potentiel des locaux d'activités avec de petites cellules aux abords des grandes villes », insiste-t-elle.

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 31938_1862531_k2_k1_4307485.jpg PHOTO - 31938_1862531_k2_k1_4307485.jpg

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 31938_1862531_k4_k1_4307486.jpg PHOTO - 31938_1862531_k4_k1_4307486.jpg

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 31938_1862531_k5_k1_4307487.jpg PHOTO - 31938_1862531_k5_k1_4307487.jpg
Abonnés
Baromètre de la construction
Retrouvez au même endroit tous les chiffres pour appréhender le marché de la construction d’aujourd'hui
Je découvreOpens in new window
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires