Près de sept ans après l’effondrement de deux immeubles aux n° 63 et 65 de la rue d’Aubagne à Marseille provoquant la mort de huit personnes, le jugement du tribunal correctionnel était très attendu. Il aura fallu près de trois heures à son président, Pascal Gand, pour lire son délibéré prononcé, ce 7 juillet, six mois après le procès, dans une salle comble. A l’issue, sur les 16 prévenus, 10 ont été condamnés. Parmi ceux-là, Julien Ruas, adjoint au maire de Marseille en charge notamment du logement insalubre sous la municipalité de Jean-Claude Gaudin (LR) de 1995 à 2020, et Xavier Cachard, ancien conseiller régional LR de la région Provence-Alpes Côte d’Azur.
Absence de stratégie
Le premier a été condamné pour « infractions non intentionnelles » et « négligence » à une peine d’emprisonnement de deux ans assortie d’un sursis et à l’interdiction d’exercer une fonction publique pendant cinq ans. Le tribunal lui reproche l’absence de stratégie dans l’éradication de l’habitat indigne et la mobilisation de seulement 350 000 euros du budget de 6,5 millions d’euros du budget disponible pour lutter contre le fléau. Citant Christian Nicol - membre du Haut comité pour le Logement des défavorisés qui, en 2015, révélait l’ampleur du phénomène dans la cité phocéenne dans un rapport sur la requalification de l’habitat privé à Marseille commandé par le ministère du Logement -, le président du tribunal correctionnel considère que Julien Ruas avait « une connaissance précise de l’état de l’insalubrité à Marseille, et notamment à Noailles », quartier populaire, théâtre du drame survenu le 5 novembre 2018.
Xavier Cachard, lui, est condamné à quatre ans de prison, dont deux avec sursis. Le reliquat de sa peine sera effectué sous bracelet électronique. Il devra, par ailleurs, payer une amende de 10 000 euros. Quant à la SARL Soyorem, dont il était associé majoritaire, elle devra verser 10 000 euros. L’ancien conseiller régional écope de la peine la plus sévère. Copropriétaire de l’immeuble du n° 65 mais aussi avocat du syndic, le cabinet Liautard, il était nécessairement informé, a estimé le tribunal. Pourtant, il a adopté « une stratégie d’obstruction de réalisation des travaux nécessaires », avec une « emprise manifeste sur les décisions et les votes », sans parler de son « indifférence déplorable » sur l’état du logement qu’il louait, a asséné le président du tribunal correctionnel de Marseille.
« Négligences »
Deux autres copropriétaires du n° 65, un fils et son père associés au sein de la SCI Amsa, sont chacun condamnés à de la prison ferme, sous bracelet électronique, pour « mise en danger » et « désintérêt total » malgré « la succession des signalements ». Le président du tribunal correctionnel a ainsi énuméré les nombreux travaux - liés aux risques d’effondrement du plafond et du plancher, aux fils électriques apparents, aux déficit de chauffage, aux moisissures, aux punaises de lits – que la SCI aurait dû entreprendre dans le logement loué à une famille comorienne.
Quant à Richard Carta, l’architecte-expert judiciaire mandaté, en octobre 2018, un mois avant le drame, pour vérifier la stabilité du mur mitoyen entre le n° 63 et le n° 65, est, lui, condamné à deux ans de prison avec sursis et interdiction définitive d’exercer cette profession. Lui est notamment reproché d’avoir « bâclé » son rapport, rédigé à la veille de congés.
Parmi les autres mis en cause figurent le cabinet Liautard, syndic de l’immeuble au n° 65 et son gestionnaire, Jean-François Valentin. Ils ont été reconnus coupables « de fautes caractérisées d’imprudences et de négligences » dans leurs missions alors qu’ils avaient « connaissance des risques structurels et désordres ». En tout, le cabinet, en liquidation judiciaire, doit payer une amende de 108 700 euros. Jean-François Valentin, condamné à trois ans de prison avec sursis et une amende de 10 000 euros, ne pourra plus exercer la profession de gestionnaire de copropriété.
Relaxes
En revanche, la société d’économie mixte Marseille Habitat, propriétaire du n° 63, vide en attendant sa remise en état, ainsi que la propriétaire d’un appartement dans le n° 65 ont été relaxés. Pour Francis Vernède, directeur régional de la fondation pour le Logement, la relaxe de la propriétaire parce qu’elle « a réalisé de menus travaux et a assisté aux assemblées générales de copropriété », le laisse perplexe. « Ne serait-ce que symboliquement, il faut avertir les propriétaires de biens qu’ils ont une obligation sur sa qualité, sa tenue et son entretien. Depuis Marseille, on aurait pu envoyer un message aux propriétaires en disant, attention, vos responsabilités sont réelles. Participer aux assemblées générales, répondre à des mails, ce n’est pas induire des travaux et faire bouger les choses. Ils ont fait une partie du travail dans l’appartement qu’ils ont loué. Mais, quand il y a des problèmes de structure, un coup de peinture ou rétablir une cloison ne suffit pas. Dans le drame de la rue d’Aubagne, la course à la rentabilité a fait défaut à huit personnes et au millier des personnes évacuées à Marseille », a-t-il déclaré au Moniteur.
Photographie complète
Emmanuel Daoud, avocat au barreau de Paris et de la fondation pour le Logement et de la famille d’une victime, tempère ces propos. « Toute la chaîne des responsabilités a été examinée et tout le monde a été déclaré coupable. Les sanctions prononcées sont sévères avec des interdictions d’exercer pour cinq ans voire définitives. On a une photographie complète de tous ceux qui sont en capacité de décider, y compris les experts judiciaires qui sont mandatés dans le cadre d’un péril. Ils doivent prendre des décisions et, le cas échéant, avoir le courage d’ordonner l’évacuation immédiate pour sauver les habitants d’immeubles en péril », estime-t-il. « Les signaux sont forts. L’élu de la ville aurait pu prendre six mois avec sursis pour négligence. Or, il a pris deux ans avec sursis. Le tribunal s’adresse aux élus en charge de la ville et de l’urbanisme », poursuit-il
Même satisfaction du côté de Jorge Mendes, avocat de la Ville de Marseille, qui s’était constituée partie civile pour atteinte à son image. « C’est un jugement assez mesuré qui a marqué les erreurs, les fautes et négligences ainsi que les responsabilités de chacun. Ce sont des homicides involontaires. Rappelons-le. C’est déjà sévère de condamner à des peines de prison avec bracelet électronique », pointe-t-il. De plus, pour Jorge Mendes, « juger un adjoint au maire pour négligence, c’est un regard nouveau sur la lutte contre l’habitat indigne. Il est aujourd’hui pénalement responsable de ses négligences, notamment sur les travaux d’office. C’est un point de départ historique », rappelle-t-il.
Seize personnes morales et physiques jugées
Pour rappel, seize personnes morales et physiques ont été jugées, pour différents délits, notamment homicide involontaire par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité, un délit punissable de cinq ans de prison maximum, et soumission de personnes vulnérables dont au moins un mineur à des conditions d’hébergement indigne, des faits qui peuvent valoir jusqu’à dix ans d’emprisonnement.
Durant les débats lors du procès qui s’est tenue du 7 novembre au 18 décembre 2024, les prévenus avaient contesté en bloc, les avocats plaidant des relaxes en cascade.