Comment relever le défi gouvernemental « Eco Energie Tertiaire » (anciennement appelé « décret tertiaire ») sans connaître toutes les règles du jeu ? C’est le dilemme auxquels sont confrontés « environ la moitié des assujettis à ce dispositif », pointe Franck Charton, délégué général de Perifem.
Leader du collectif des organismes professionnels insatisfaits*, l’association des commerçants et centres commerciaux a envoyé, le 17 mai, un courrier de relance au Conseil d’Etat concernant deux recours contentieux, « instruits mais sans date de séance de jugement », relève Franck Charton.
Deux recours, aucune réponse
Le premier remonte à juillet 2021. Il porte sur l’impossible modulation des objectifs selon les spécificités de chaque métier, faute de disposer de sa valeur absolue de référence (exprimée en kWh/m².an à viser d’ici à 2030) et de ses indicateurs d’intensité d’usage. « Par exemple, le nombre de meubles frigorifiques et de fours à pains, qui pèsent 50% de la facture énergétique d’un supermarché », illustre Franck Charton. Sans ces deux éléments clés, l’assujetti risque de se donner des « objectifs erronés », ajoute-t-il.
Le deuxième recours date de novembre 2021. Il vise un nouveau report d’un an de la date limite de déclaration sur la plateforme Operat, pilotée par l’Ademe. Les propriétaires et locataires de bureaux, entrepôts et autres bâtiments dit « tertiaires » de plus de 1 000 m², ont jusqu’au 30 septembre 2022 pour communiquer les données de consommations énergétiques de 2020 et 2021 ainsi que l’année de référence, à choisir entre 2010 et 2019.
Le but est, in fine, de réduire ses consommations d’au moins 40% d’ici à 2030, 50% d’ici à 2040 et 60% d’ici à 2050. Cette règlementation peut inciter les propriétaires de commerces, écoles ou hôtels à toucher au bâti, avec travaux de rénovation énergétique à la clé.
Contrairement aux bureaux, aux services publics ou encore aux écoles, les aéroports, gares, hôpitaux, supermarchés, piscines… ne connaissent toujours pas leur valeur absolue. Celle-ci devait apparaître dans le projet d’arrêté dit « valeur absolue II », mis en ligne début janvier, avec trois mois de retard. Mais tel ne fût pas le cas.
« Inertie réglementaire »
Cet arrêté, du 13 avril 2022, « modifiant l’arrêté du 10 avril 2020 relatif aux obligations d’actions de réduction des consommations d’énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire », a été publié le 24 avril 2022. L’arrêté valeur absolue III est attendu par la SNCF, les commerçants, les hôteliers et les autres assujettis en manque de visibilité.
Problème : à quatre mois de l’échéance Operat, aucune date de publication n’est annoncée. Et les groupes de travail autour de la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP), à la manœuvre pour fixer la valeur absolue de chaque secteur d’activité, n’ont toujours pas repris.
« Seule une décision du Conseil d’État dans les plus brefs délais semble désormais de nature à mettre fin à cette situation impossible ainsi qu’à l’inertie réglementaire dont les services du Ministre de la transition écologique font preuve jusqu’à présent », conclut l’avocate de Perifem dans le courrier adressé au Conseil d’Etat. Le ministère pointé du doigt « attend la décision juridique » pour communiquer, fait savoir son service de presse.
Les requérants disposent de deux mois après la publication du texte officiel visé pour envoyer un recours au Conseil d’Etat. L’institution, chargée de donner son avis sur la légalité des projets de lois et de décrets, ne dispose d’aucun délai de réponse. « En moyenne, il est d’un an », estime Anne-Andréa Vilerio, avocate en droit public.