Jurisprudence

Droit de préemption : pas de contestation au-delà d’un délai raisonnable pour l’acquéreur évincé

Le Conseil d’Etat a apporté en fin d’année 2019 des précisions intéressantes sur les conséquences d’une absence de notification d’une décision de préemption à l’un de ses destinataires.

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Le Conseil d'Etat apporte des précisions sur les conséquences de l'absence de notification de la décision de préemption à l'acquéreur évincé.
Urbanisme
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2002/05/15N°230015
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2019/12/16N°419220

Les décisions de préemption doivent répondre à un formalisme exigeant et nourrissent de ce fait une jurisprudence abondante. Nouvelle illustration avec un arrêt du 16 décembre 2019 dans lequel la Haute juridiction administrative vient affirmer que l’acquéreur évincé d’un immeuble préempté peut contester la décision… mais pas ad vitam aeternam. Les Sages appliquent dans cette affaire les principes de la jurisprudence « Czabaj ».

Le maire d’une commune avait décidé de préempter un immeuble pour l’acquisition duquel des particuliers, qui n’avaient pas été notifiés de cette décision, avaient conclu une promesse de vente. Quelques années plus tard, ces derniers ont demandé et obtenu du tribunal administratif l’annulation de la décision de préemption. La commune a fait appel et le jugement du TA a été annulé, la cour administrative d’appel (CAA) ayant estimé le recours tardif. Les acquéreurs évincés ont alors porté l’affaire devant le Conseil d’Etat qui a donné raison aux magistrats de la CAA.

Acquéreur évincé, destinataire de la décision de préemption

Les Sages commencent par rappeler les délais de recours contentieux qui sont ouverts aux requérants contre une décision administrative : deux mois à compter de la notification ou de la publication de la décision litigieuse (art. R. 421-1 du Code de justice administrative, dans sa version applicable au moment des faits). Et d’ajouter que ces délais ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés dans la notification de la décision avec l’indication des voies et délais de recours (article R. 421-5 du CJA). Le Conseil d’Etat énonce ensuite que l’acquéreur évincé figure bien au nombre des personnes destinataires de la décision de préemption auxquelles cette décision doit être notifiée (1), à l’instar du propriétaire, du mandataire ou de l’adjudicataire en cas de vente par adjudication.

Mais si la notification au propriétaire est une condition de la légalité de la décision de préemption (voir par exemple CE, 15 mai 2002, n° 230015, publié au recueil Lebon), il en va différemment s’agissant de l’acquéreur évincé. Confirmant ainsi la position de la CAA de Versailles en 2017 (2), le Conseil d’Etat déclare que l’absence de notification de la décision à l’acquéreur évincé rend inopposable, à son encontre, le délai de recours. 

Sécurité juridique

Ce dernier peut-il alors contester indéfiniment la décision de préemption ? Non, (r)assure la Haute juridiction administrative, appliquant ici les considérants de sa jurisprudence "Czabaj" du 16 juillet 2016 : « Le principe de sécurité juridique […] fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ». […] Le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale […], ce délai ne saurait […] excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.

Dans l’affaire jugée le 16 décembre 2019, les requérants avaient demandé par écrit à la commune des informations sur l’état d’avancement du projet pour lequel le droit de préemption avait été exercé, prouvant ainsi leur connaissance de la décision de préemption. Suffisant, estime le Conseil d’Etat pour qui « la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que, si le délai de recours de deux mois […] n'était pas opposable [aux requérants], la lettre du 18 mars 2013 était en revanche de nature à établir qu'à cette dernière date ils avaient connaissance de la décision de préemption ». Elle a donc pu en déduire que le recours, « enregistré au tribunal administratif de Montreuil le 17 avril 2015, était tardif pour avoir été présenté au-delà du délai raisonnable dans lequel il pouvait être exercé ».

CE, 16 décembre 2019, n° 419220, mentionné aux tables du recueil Lebon

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