Jurisprudence

Droit de préemption : panorama des décisions rendues en 2023

De la DIA au contentieux, les règles permettant aux collectivités d'acquérir un bien pour réaliser un projet d'intérêt général sont affinées.

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Preemption
Preemption
Urbanisme
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2023/03/01N°462877
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2023/06/30N°464324
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2023/06/30N°468543
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2023/10/13N°468694
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2008/03/07N°288371
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2023/12/15N°470167
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2023/03/01N°462648

Au cours de l'année 2023, les juges administratifs ont eu l'occasion de préciser le corpus juridique en matière de préemption.

Déclaration d'intention d'aliéner (DIA)

mars 2023, au visa des articles et du Code de l'urbanisme (C. urb.), le Conseil d'Etat énonce que le titulaire du droit de préemption sur un bien ne peut l'exercer si la déclaration d'intention d'aliéner (DIA) a été faite par une personne qui, à la date de cette déclaration, n'était pas propriétaire du bien (, mentionné aux tables du recueil Lebon).

Indivisibilité de la préemption. A la fin de ce même mois de mars, la cour administrative d'appel (CAA) de Lyon a jugé qu'une décision de préemption, qui porte sur une vente unique ayant pour objet deux ou plusieurs unités foncières distinctes dont certaines seulement sont comprises dans le périmètre du droit de préemption urbain (DPU), présente un caractère indivisible, nonobstant les possibilités de préemption partielle ouvertes par l'.

En pareil cas, il appartient au titulaire du droit de préemption de considérer la DIA déposée comme irrecevable dès lors qu'elle porte sur une parcelle qui n'entre pas dans le périmètre du DPU et d'inviter le(s) vendeur(s) à déposer une nouvelle déclaration sur la ou les seules unités foncières comprises dans ce périmètre ().

Mise en œuvre d'une politique locale de l'habitat

Lot séparé du terrain d'assiette de la construction. Par un arrêt du 30 juin 2023, la Haute juridiction administrative a admis qu'une décision de préemption peut porter sur un lot de copropriété en sous-sol dédié à la réalisation d'aires de stationnement, même si ce lot est séparé de 230 mètres du terrain d'assiette de la construction. En effet, ledit lot, qui participe à la réalisation d'un programme de construction (en l'occurrence, sept logements sociaux sur douze), a par nature pour objet la mise en œuvre d'une politique locale de l'habitat, alors même qu'il ne concourt pas à la mise en œuvre d'un programme local de l'habitat (PLH) ou d'un programme d'orientations et d'actions d'un plan local d'urbanisme intercommunal tenant lieu de PLH (, mentionné aux Tables).

Par une autre décision rendue le même jour, le Conseil d'Etat a jugé qu'un projet dont l'objet de la préemption doit permettre la réalisation d'une quarantaine de logements, dont la moitié à caractère social, vise par nature la mise en œuvre d'une politique locale de l'habitat. En effet, selon le juge administratif, un tel projet présente le caractère d'une action ou d'une opération d'aménagement par lui-même, eu égard à son ampleur et à sa consistance.

. En outre, cet arrêt précise qu'un tel projet répond à un intérêt général suffisant même si la part de logements locatifs sociaux représente d'ores et déjà 40 % des résidences principales de la commune et qu'elle atteint donc les objectifs fixés par la . Ces derniers constituent des seuils à atteindre et non des plafonds, précisent les juges du Palais-Royal (, mentionné aux Tables).

Ukraine. Par un arrêt du 13 octobre 2023 et par application d'une décision d'exécution du Conseil de l'Union européenne du 4 mars 2022 prise pour faire face à la forte pression migratoire exercée au fur et à mesure du conflit en Ukraine, le Conseil d'Etat a admis que l'hébergement de personnes déplacées en provenance d'Ukraine, en tant qu'elles bénéficient d'une

protection temporaire, peut être regardé comme s'inscrivant dans une politique locale de l'habitat et être constitutive d'une action ou d'une opération d'aménagement au sens de l'. La commune pouvait donc légalement exercer son droit de préemption sur deux lots d'un immeuble afin de disposer d'une solution d'hébergement supplémentaire pour les familles déplacées.

En outre, la réalité du projet est justifiée par la circonstance que la commune avait, avec le centre communal d'action sociale, engagé une démarche d'ensemble visant à l'hébergement de personnes déplacées en provenance d'Ukraine, se traduisant notamment par l'accompagnement de 785 personnes pour permettre leur hébergement dans le secteur privé, l'hébergement de 92 personnes dans des locaux relevant du patrimoine immobilier de la commune, ou encore la transformation de la maison des associations en centre et foyer pour l'accueil de ces personnes (, mentionné aux Tables).

   Le titulaire du droit de préemption commercial doit justifier de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement

Droit de préemption commercial

Réalité du projet. En fin d'année dernière, le Conseil d'Etat s'est prononcé sur le point de savoir si le titulaire du droit de préemption commercial devait justifier de la réalité d'un projet répondant aux objectifs de l', à l'instar du droit de préemption urbain (voir sur ce point, , publié au recueil Lebon).

La question est inédite. Le Conseil d'Etat estime, aux visas des articles , et du Code de l'urbanisme, que le titulaire du droit de préemption commercial doit bien justifier de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code précité, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien - en l'occurrence le fonds artisanal ou commercial ou le bail commercial -, répondre à un intérêt général suffisant (, mentionné aux Tables).

Contentieux

mars 2023, la Haute juridiction a précisé que si dans le cadre d'une contestation d'un acte réglementaire par voie d'exception, la légalité des règles fixées par cet acte, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n'en va pas de même des conditions d'édiction de cet acte. Ainsi, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne peuvent être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même. En l'espèce, l'invocation par voie d'exception d'un vice de procédure entachant la délibération de l'organe délibérant d'une collectivité ayant délégué l'exercice du droit de préemption à une autre collectivité est inopérante, alors même qu'à la date à laquelle le moyen a été soulevé, le délai de recours contre cette délibération n'était pas expiré (, mentionné aux Tables).

Qualité pour agir. Par un arrêt du 16 novembre 2023, la CAA de Paris a été amenée à se prononcer sur la distinction entre un acte de disposition et un acte de conservation à l'occasion d'un recours en annulation introduit par l'un des propriétaires indivis (agissant à titre personnel) d'un bien ayant fait l'objet de l'exercice d'un DPU. En effet, en vertu des dispositions de l', tout indivisaire peut prendre les actes nécessaires à la conservation des biens indivis. En revanche, le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte de disposition de sorte qu'un indivisaire agissant seul n'aurait pas qualité à agir pour ce type d'acte.

La cour retient que le recours fait par un indivisaire agissant à titre personnel ne peut être regardé comme un acte de conservation car ladite action aurait pour effet de remettre en cause la décision des indivisaires de conclure la promesse de vente préalable à la DIA, qui est un acte de disposition ().

Ce qu'il faut retenir

  • La collectivité titulaire du droit de préemption ne peut l'exercer si la déclaration d'intention d'aliéner (DIA) a été faite par une personne qui, à la date de cette déclaration, n'est pas propriétaire du bien.
  • Une préemption peut être engagée pour la réalisation de logements sociaux alors même que la commune a déjà atteint les objectifs fixés par la loi SRU. Ceux-ci constituent des seuils à atteindre et non des plafonds.
  • Comme en matière de droit de préemption urbain, le titulaire du droit de préemption commercial doit justifier de la réalité d'un projet et faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.
  • Un propriétaire indivis agissant à titre personnel n'a pas qualité à agir à l'encontre d'une décision de préemption.
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