Ententes et abus
Echanges d'informations entre concurrents. Une nouvelle affaire de concertation dans le cadre d'appels d'offres publics a été sanctionnée par l'Autorité de la concurrence (ADLC), et de façon particulièrement sévère. Elle concernait des marchés de démantèlement passés par le Commissariat à l'énergie atomique pour le site nucléaire de Marcoule (Gard). Fait assez rare en matière de marchés publics, l'affaire a été révélée par l'une des entreprises concernées via une demande de clémence lui donnant, en l'occurrence, le bénéfice d'une immunité d'amende.
Les pratiques consistaient en des échanges d'informations entre concurrents avant, pendant et hors accord-cadre pour se répartir les offres. Comme dans un certain nombre d'affaires de cette nature, les entreprises ont fait observer que les pratiques étaient connues et mêmes encouragées par l'entité adjudicatrice. Une nouvelle fois, l'argument est balayé : à partir du moment où elles n'ont pas été contraintes, celles-ci doivent assumer l'entière responsabilité des faits.
Fait assez rare également, l'ADLC retient une infraction unique complexe et continue pour les agissements avant et
pendant la mise en œuvre de l'accord-cadre, ce qui lui permet de sanctionner les entreprises ayant approuvé le plan d'ensemble pour toutes les manifestations de la pratique, y compris celles auxquelles elles n'ont pas pris part.
La sévérité de l'Autorité se constate aussi au niveau des amendes : elles atteignent au total plus de 31 M€. Sa décision est la première à affirmer l'applicabilité du nouveau communiqué sanctions (2021) aux faits antérieurs à son adoption ; ainsi que l'applicabilité immédiate de la suppression du plafond d'amende de 750 000 € (pour chacun des auteurs) qui s'appliquait jusqu'en 2020 dans le cadre de la procédure simplifiée à un tour de contradictoire. Cette décision fait l'objet d'un recours devant la cour d'appel de Paris.
ADLC, décision n° 23-D-08 du 7 septembre 2023.
Réserves sur le nouveau dispositif de suivi de l'évolution des coûts des matériaux de construction. L'Autorité a été saisie par le ministre de l'Economie d'une demande d'avis concernant un dispositif expérimental de suivi de l'évolution des coûts pour les matériaux de construction, proposé dans le prolongement des Assises du BTP. Il devait consister pour l'Insee à recueillir, auprès de producteurs volontaires, la structure de leurs coûts par catégories de matériaux de construction déterminées, afin de calculer et publier des index permettant aux professionnels de la filière d'être éclairés sur les courbes de ces prix.
L'ADLC a recommandé des ajustements du dispositif, notamment afin d'éviter que les entreprises puissent, à la lecture de l'index, déduire les coûts de leurs concurrents. Il pourrait en effet résulter du caractère volontaire de la participation au dispositif que peu d'acteurs fournissent les données et puissent donc être identifiés. L'Autorité invite également le gouvernement à évoluer progressivement vers un dispositif doté d'un caractère impératif qui aurait plus de sens en termes de représentativité et soulèverait moins de difficultés au titre du droit de la concurrence.
ADLC, avis n° 23-A-06 du 30 mai 2023, publié le 5 juillet 2023.
Devis truqués. La DGCCRF a détecté et traité - par la voie de la transaction - des pratiques d'entente au moyen d'échanges d'informations et de devis de couverture en région Paca entre quatre sociétés dans le secteur des travaux de plomberie, semble-t-il dans le cadre de marchés privés.
L'enquête avait révélé que le maître d'œuvre coordonnant les travaux sollicitait la remise de devis truqués et que les trois entreprises augmentaient artificiellement leurs prix, de manière que l'offre de celle désignée pour remporter le marché apparaisse comme la plus compétitive. Les faits, qui remontent à 2018, ont donné lieu à des amendes pour un total de 23 700 euros.
DGCCRF, communiqué de presse du 11 octobre 2023.
Concentrations
La CJUE encadre le pouvoir d'interdire les investissements d'entreprises établies dans l'UE. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) était saisie d'une question préjudicielle afin de dire si un Etat membre peut interdire l'acquisition d'une carrière de graviers, sable et argile en Hongrie par une autre société hongroise détenue par une société allemande, elle-même détenue par des sociétés établies hors de l'Union mais contrôlées de manière ultime par un ressortissant irlandais, au motif que cette opération constituerait un investissement étranger susceptible de porter atteinte à la sécurité d'approvisionnement en matières premières ayant une importance stratégique pour le secteur de la construction dans la région concernée.
La CJUE a répondu par la négative : la liberté d'établissement dont bénéficient les sociétés de l'Union s'oppose à un tel mécanisme de filtrage des investissements étrangers. En effet, l'objectif poursuivi ne relève pas d'un « intérêt fondamental de la société », comme c'est le cas pour la sécurité d'approvisionnement des secteurs du pétrole, des télécommunications et de l'énergie, pour justifier une telle restriction à la liberté d'établissement. A l'heure où les mécanismes de contrôle des investissements étrangers se multiplient, cette précision était la bienvenue.
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Enquêtes
Protection des lanceurs d'alerte : relancer l'attractivité des programmes de clémence. Le faible nombre de décisions de cartel importantes ces derniers mois a conduit les autorités de concurrence européennes à s'interroger sur une potentielle baisse des demandes de clémence ainsi que sur ses causes. La plupart affirment que le nombre et l'intérêt des demandes de clémence n'auraient pas diminué ; mais, à toutes fins utiles, elles sont nombreuses à compléter leur arsenal en renforçant leur attractivité à l'égard des éventuels lanceurs d'alerte.
L'Autorité de la concurrence a ainsi actualisé le 15 décembre dernier son communiqué clémence et mis en conformité ses procédures avec la visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte (garantie de confidentialité, protection contre les représailles, irresponsabilité civile et pénale). Ce faisant, elle a émis un signal très clair à l'égard des entreprises : si vous ne venez pas à nous sur la base d'une demande de clémence, l'un de vos salariés pourrait bien le faire avant vous - auquel cas aucune réduction d'amende ne sera accordée. La Commission européenne en a fait de même quelques semaines plus tard avec le lancement d'un système de dénonciation encrypté garantissant l'anonymat des lanceurs d'alerte.
Lien vers le guichet de signalement avec le statut lanceur d'alerte de l'Autorité de la concurrence : www. autoritedelaconcur-rence.fr/fr/fr/contact-guichet/signalement-statut-lanceur-alerte
Lien vers celui de la Commission européenne : https://com-petition-policy.ec.europa.eu/index/whistleblower_en
Les dispositions pour la protection des avis des juristes d'entreprises invalidées. Le Conseil constitutionnel a censuré pour cause de cavalier législatif la nouvelle disposition introduite dans la loi d'orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 pour établir la confidentialité des avis des juristes d'entreprise hors procédures pénales et fiscales. L'extension du « legal privilege » au profit des juristes d'entreprises est demandée de longue date compte tenu de leur implication dans la conformité au quotidien et de la nécessité de pouvoir intervenir et mener à bien leur mission sans que leurs écrits puissent être retenus à l'encontre de leur société. Cette disposition pourrait être réintroduite dans un projet de loi à venir.
Cons. constit., 16 novembre 2023, n° 2023-855 DC.
A suivre
Evolution des pouvoirs d'enquête à la lumière de la digitalisation de l'économie. Le cadre procédural actuel pour l'application des règles de concurrence de l'UE est énoncé dans le , adopté il y a maintenant plus de vingt ans. Le processus de sa révision a été ouvert en 2023, et la Commission européenne a organisé un atelier en octobre pour contribuer à son évaluation sur plusieurs thèmes, dont celui de l'adaptation des outils d'enquête de Bruxelles à la lumière de la digitalisation de l'économie. Les autres thèmes clés dans le processus en cours incluent l'accès au dossier, l'intervention des tiers dans les procédures, les mesures provisoires, les amendes ou encore la coopération au sein du Réseau européen de la concurrence (REC). Un document de travail, exposant les résultats de cette évaluation, est prévu pour le deuxième trimestre 2024.
Lien vers les informations relatives à l'atelier (workshop) de la Commission : https://competition-policy.ec.europa.eu/antitrust-and-cartels/legislation/regulation-12003_en