Jurisprudence

Droit de la concurrence : l'essentiel du premier semestre 2023

Sélection des décisions pertinentes et des évolutions des textes applicables.

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Concurrence
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Ententes et abus

Ententes dans le cadre d'appels d'offres. Le semestre a fourni de nouvelles illustrations de la différence en matière de sanction des pratiques anticoncurrentielles entre transaction (avec la DGCCRF, pour des micropratiques locales) et procédure complète (devant l'Autorité de la concurrence).

Du côté de la DGCCRF, une entente matérialisée par le dépôt d'une offre de couverture en réponse à un appel d'offres de rénovation de bâtiments de l'université de Tours en 2020 a été assez rapidement clôturée en mars 2023 par une transaction avec les deux sociétés pour un total de 11 900 euros, sans plus de précisions publiées sur le fond de l'affaire et le rôle de chacune.

Du côté de l'Autorité, des ententes sur plusieurs appels d'offres de rénovation et de restauration de couvertures et de charpentes pour les bâtiments du patrimoine dans les Hauts-de-France entre 2013 et 2016 ont donné lieu, sept à dix ans de procédure plus tard, à des sanctions cumulées de 174 000 euros et une décision d'une quarantaine de pages décrivant dans un grand détail les faits imputés aux entreprises.

On ignore pour quelle raison la DGCCRF n'a pas utilisé la transaction dans cette dernière affaire, qui concernait également de petites entreprises. Il est possible qu'elle ait estimé le plafond de transaction (150 000 euros ou 5 % du chiffre d'affaires si cela est inférieur) insuffisant au regard des indices d'entente mis au jour sur six appels d'offres distincts. En définitive, l'Autorité de la concurrence n'a retenu de concertation que pour deux des appels d'offres concernés, et les sanctions prononcées sont restées dans les limites du plafond de transaction. La procédure aura cependant été beaucoup plus longue et les infractions publiquement établies.

Parmi les apports de la décision de l'Autorité, on pourra relever une situation assez fréquemment rencontrée dans la pratique quotidienne des entreprises du BTP qui résulte directement du maintien de l'ignorance des règles de concurrence par le Code de la commande publique. En l'occurrence, avant le lancement de l'appel d'offres, un cotraitant du maître d'œuvre avait consulté l'une des entreprises futures soumissionnaires sur la pertinence de son estimation du montant du marché… Au cours de la procédure, le maître d'œuvre n'a pas manqué de soutenir que son action était directement prévue par l'article R. 2111-1 du code précité (relatif au sourcing), qui ne comporte aucune restriction. L'Autorité a rappelé l'autonomie du droit de la concurrence par rapport aux règles de la commande publique et le fait qu'un maître d'œuvre ne doit pas s'entendre avec un soumissionnaire en le favorisant par rapport aux autres sur une telle base. En définitive, ce grief a toutefois été rejeté pour insuffisance de preuve.

Communication de la DGCCRF relative aux pratiques anticoncurrentielles relevées dans le secteur de la rénovation de bâtiment, 14 mars 2023.

Décision de l'Autorité de concurrence, 23-D-06, 14 juin 2023, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la rénovation et de la restauration de couvertures et de charpentes pour les bâtiments du patrimoine public ou privé dans la région des Hauts-de-France.

Révision des règlements d'exemption applicables aux accords horizontaux. La Commission européenne a achevé le 1er juin la révision des règlements d'exemption applicables aux accords dits « horizontaux entre concurrents » (1), ainsi que des lignes directrices sur les restrictions horizontales. Deux parties nouvelles intéresseront plus directement le secteur du BTP.

   Des opérations de visite et saisie diligentées sous peine de sanctions doivent reposer sur des indices suffisants.

Tout d'abord, une section sur les risques de concurrence susceptibles de surgir de groupements de soumissionnaires figure désormais dans la partie sur les accords de commercialisation en commun au sein des lignes directrices. Cette nouvelle section est un signe de plus de la nécessité de convenir de toute forme de groupement (accords de sous-traitance compris) dans le respect des règles de concurrence.

Ensuite, une partie complète a été ajoutée sur les accords de durabilité. Elle énonce les principes d'appréciation que la Commission entend appliquer, en complément de ceux énoncés au titre du type d'accord concerné, lorsque l'accord entre concurrents poursuit un objectif de développement durable. Ces types d'accords sont en effet plus fréquents aujourd'hui et s'ils bénéficient d'une approche a priori favorable, ils ne doivent pas embarquer d'effets restrictifs.

Directive dommages : le Conseil d'Etat s'aligne sur la jurisprudence européenne. A l'occasion d'une demande indemnitaire liée à l'affaire du cartel des revêtements de sols, le Conseil d'Etat a rendu un arrêt alignant sa jurisprudence sur celle de la Cour de Justice de l'UE (CJUE) concernant l'application dans le temps de la directive dommages 2014/104/UE du 26 novembre 2014. Ainsi, les règles issues de cette directive s'appliquent aux actions indemnitaires introduites depuis son entrée en vigueur quand bien même elles portent sur des pratiques anticoncurrentielles antérieures, pour autant qu'elles n'étaient pas prescrites en vertu des règles applicables antérieurement. En l'occurrence, cela permet à une action non prescrite sur la base du délai antérieur de prescription (dix ans) de se poursuivre alors que le nouveau délai est de cinq ans.

Cette affaire est également l'occasion pour le Conseil d'Etat de juger recevable l'action contre l'auteur de l'infraction même lorsque le demandeur n'a pas directement acquis les produits concernés auprès de celui-ci. En l'espèce, ces produits avaient été acquis par le demandeur auprès d'un sous-traitant lequel s'est lui-même approvisionné auprès d'un des participants à l'entente. Dans ce contexte, le demandeur a pu demander la condamnation solidaire des trois sociétés auteures des pratiques anticoncurrentielles.

CE, 7e -2e chambres réunies, 1ᵉʳjuin 2023, n° 468098, mentionné dans les tables du Recueil.

Enquêtes

Nullité des actes d'enquête pour défaut d'indices suffisants justifiant les inspections diligentées par la Commission. La CJUE a prononcé l'annulation totale des décisions d'inspection adoptées par la Commission dans l'affaire dite des « French Supermarkets », au motif que les présomptions énoncées dans ces décisions n'étaient pas étayées par des indices suffisants de pratique anticoncurrentielle.

L'arrêt rappelle avec force une règle qui vaut également dans les procédures de visite et saisies françaises : des opérations diligentées sous peine de sanctions doivent reposer sur des indices suffisants. En l'occurrence, la Commission n'avait présenté que des notes internes résumant sur un même modèle les enseignements d'entretiens menés avec des fournisseurs plusieurs mois auparavant, en l'absence de tout procès-verbal ou enregistrement de ces entretiens.

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À suivre…

Entrée en vigueur du règlement sur les subventions étrangères. Les dispositions générales du règlement sur les subventions étrangères de décembre 2022 prévoyant des procédures de notification obligatoires en matière de concentrations et de participation à des marchés publics en Europe sont entrées en application le 12 juillet 2023. Les procédures de notification ne sont, elles, devenues obligatoires que depuis le 12 octobre.

Ce règlement laisse perplexe à bien des égards dans la mesure où ses seuils sont bas et reposent sur des concepts qui demeurent flous. Ainsi, toutes les « contributions étrangères » reçues par l'opérateur - par exemple, celui qui entend soumissionner à un contrat public d'un montant de 250 M€ ou plus-doivent être intégrées dans le calcul et non plus seulement les subventions au sens strict, ce qui peut inclure les rémunérations perçues. Toutes les sociétés réalisant des concentrations et participant à des appels d'offres y seront soumises, y compris les sociétés principalement actives en Europe. Elles doivent donc se tenir prêtes à déterminer si certains de leurs projets nécessiteront une notification préalable à ce titre, ce qui suppose de suivre l'ampleur des contributions étrangères qu'elles ont perçues hors d'Europe au cours des trois dernières années.

du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur.

(1) Les règlements d'exemption par catégorie permettent aux entreprises de connaître les conditions auxquelles certains accords remplissent en principe les conditions d'exemption au regard des règles de concurrence.

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