Droit de l'urbanisme : une porte d'entrée vers la réversibilité

Créé pour assurer la durabilité des ouvrages olympiques après les Jeux, le permis à double état paraît difficilement duplicable tel quel. Mais il ouvre le champ des possibles.

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Ouvrages olympiques
Ouvrages olympiques

Garantir un héritage durable des Jeux dans le cadre d'un projet urbain préalablement défini. Tel était l'un des engagements forts de la candidature parisienne. Le permis de construire à double état, créé par la loi olympique du 26 mars 2018 et son décret du 26 juin 2018, est le dispositif juridique novateur devant permettre d'y répondre. Par un seul et même arrêté, l'administration a autorisé un état provisoire, nécessaire à la réalisation et au bon déroulé des Jeux, et un état définitif de la construction. Un outil particulièrement souple parce qu'il offre la possibilité de déroger aux règles d'urbanisme (implantation, volumétrie…) durant la phase provisoire. Mais surtout, le dispositif permet de sécuriser « l'état définitif de la construction, en évitant de dédoubler les procédures d'instruction et d'ouvrir des délais de recours contentieux pour chacune des autorisations sollicitées », explique Jessica Haustant, juriste urbanisme, aménagement et environnement à la Solidéo. Loïc Madeline, directeur général délégué pour l'Ile-de-France de Sogeprom, qui réalise, en copromotion avec Demathieu Bard Immobilier, le village des médias destiné à loger les journalistes et techniciens pendant les Jeux, y voit un intérêt fiscal. « Sans le permis à double état, les acquéreurs en phase héritage n'auraient pas pu bénéficier de la fiscalité liée aux logements neufs, relevant d'une TVA réduite. »

« Outil performant ». Le village des athlètes est le site d'expérimentation principal du dispositif. Vingt-quatre permis à double état ont été instruits par les services de la préfecture de Seine-Saint-Denis, « sans compter les nombreux permis modificatifs », note Céline Baron, adjointe à la cheffe du service urbanisme et construction durable de la direction régionale et interdépartementale de l'environnement, de l'aménagement et des transports (Drieat) d'Ile-de-France. Destinés à accueillir des chambres pour les athlètes durant les Jeux, les immeubles muteront en logements familiaux et en bureaux en phase héritage.

Icade Promotion a mis en œuvre ce nouveau système pour ses trois opérations situées à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) : un pour du tertiaire et deux pour des logements. Jeanne-Claire Delahaye, sa secrétaire générale, le décrit comme un « outil performant », même s'il a nécessité « un travail forcément plus conséquent et plus lourd en termes de temps passé sur les études et au moment de l'établissement et de la complétude de chaque dossier ». Les porteurs de projet doivent en effet faire apparaître les deux destinations et les deux plans en indiquant les travaux qui conduiront à la transformation de l'état initial provisoire vers l'état définitif. « Il n'y a qu'un seul dossier mais c'est un peu comme si on déposait deux permis », témoigne-t-elle.

Malgré la lourdeur de la documentation à fournir, les permis ont été délivrés en cinq mois. La Drieat, qui a instruit les dossiers en pleine crise sanitaire liée au Covid, n'a pas eu de renfort particulier pour tenir les délais mais a entrepris « une préparation des équipes en amont. Nous avons aussi délocalisé le reste des dossiers dans d'autres unités départementales pour nous concentrer sur les permis à double état », souligne André Couble, directeur adjoint de l'unité départementale de Seine-Saint-Denis. Et surtout, « nous avons mené un travail partagé avec les collectivités territoriales, la Solidéo et les maîtres d'ouvrage pour valider en amont les projets et les choix de programmation ». Ce qui n'a pas rendu l'instruction plus simple pour autant puisqu'« au moment du dépôt des dossiers, il a fallu vérifier la conformité des règles tant pour la phase jeux que pour la phase héritage ».

Evolution des normes. La question que les acteurs se posent désormais est celle de sa généralisation au-delà de l'évènement sportif. Pour Anne Noël, directrice de l'urbanisme réglementaire à Plaine Commune (Seine-Saint-Denis), « si le dispositif a bien fonctionné, c'est parce que l'histoire était écrite. Les deux états de la construction étaient bien circonscrits dès le dépôt de la demande initiale. Mais il est rare d'avoir un calendrier aussi précis. Et puis délivrer un permis bureau aujourd'hui et prévoir de le transformer en logement dans cinq ou dix ans est potentiellement compliqué. Les normes peuvent avoir évolué entre-temps. » S'il n'est pas duplicable en l'état, l'outil représente néanmoins « une base de réflexion à l'instauration d'un permis unique qui autoriserait par avance, et sans référence à un état provisoire ou à un état définitif, deux destinations d'une même construction », affirme Jessica Haustant. Il a d'ailleurs séduit et inspiré les parlementaires : une proposition de loi, examinée début mars et visant à faciliter la transformation de bureaux en logements, prévoit de créer un permis de construire à destinations successives.

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