Jurisprudence

Domaine public (1/2) Concession domaniale et DSP : où est la frontière ?

La frontière entre délégation de service public et occupation du domaine public n’est pas toujours aisée à définir. La question est pourtant importante car les concessions domaniales ne sont pas soumises à des règles de passation déterminées et elles restent exclues de la procédure du référé précontractuel. Cette semaine, Gilles Le Chatelier présente l’état de la question. La semaine prochaine, Jean-Marc Peyrical reviendra sur les évolutions récentes, notamment avec l’affaire de la Croix-Catelan.

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DESSIN - Regl OUV 72 cointe.eps
Marchés publics
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2005/11/04N°247299
Conseil d'Etat (CE)Décision du 1999/03/26N°202260

Depuis que la du 29 janvier 1993 a prévu la mise en concurrence préalable obligatoire pour la passation des contrats de délégation de service public, la question de la distinction entre ces conventions et les concessions domaniales se pose fréquemment au juge administratif. Les différences de régime juridique sont en effet importantes : d’une part, les contrats portant titres d’occupation du domaine public peuvent le plus souvent continuer à être attribués sans mise en concurrence préalable ; d’autre part, les délégations de service public se voient appliquer la procédure contentieuse du référé précontractuel, comme les marchés publics et, plus récemment, les contrats de partenariat issus de l’ordonnance du 17 juin 2004.

Application du référé précontractuel

L’affaire ici commentée résulte d’une question d’applicabilité des dispositions de l’ (CJA). Le port autonome de Marseille avait décidé, le 10 juillet 2003, de lancer une procédure d’appel à projets pour l’aménagement dit des « terrasses du port ». Ce projet comportait la réalisation, sur le domaine public du port autonome, d’une terrasse au-dessus du terminal voyageurs de la gare maritime, afin d’offrir aux passagers la vue sur l’ensemble des installations portuaires, l’aménagement d’un étage intermédiaire destiné à accueillir des espaces commerciaux et la construction de parkings souterrains. Le 2 juin 2005, le port autonome, à l’issue de la procédure de mise en concurrence, a retenu l’offre présentée par la société Foruminvest France.

La société Unibail Management, qui avait également présenté une offre, a alors saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Marseille, sur le fondement de l’, aux fins d’annulation de la procédure de passation du contrat. Le juge des référés de Marseille a rejeté cette demande, estimant qu’il s’agissait de l’attribution d’une concession domaniale, n’entrant donc pas dans le champ d’application de la procédure de référé précontractuel. La société Unibail s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat.

Retour sur l’arrêt « Ville de Paris »

La distinction entre les deux types de contrats n’est pas toujours aisée à établir. Le Conseil d’Etat avait déjà été confronté à la même question dans sa décision du 12 mars 1999 « Ville de Paris » (n° 186085) où était en cause la passation d’une convention d’exploitation d’un café-restaurant situé dans le bois de Boulogne, relevant pour sa plus grande partie du domaine public de la ville. Pour la haute juridiction, aucune activité de service public n’était en cause : même si l’activité du restaurant contribuait à l’accueil de touristes dans la capitale et concourait ainsi au rayonnement et au développement de son attrait touristique. Cette seule circonstance, compte tenu des « modalités d’exploitation de l’établissement et de son intérêt propre », ne suffisait pas à lui conférer un tel caractère. Le juge précisait que, « quand bien même la ville avait prévu que l’attribution de cette concession domaniale devait intervenir après le suivi d’une procédure de mise en concurrence, cette circonstance était sans effet sur l’application de l’ ».

Cette décision importante met en lumière le critère majeur de distinction entre délégation de service public et concession domaniale : l’existence d’une activité de service public dont la gestion serait déléguée par le contrat en cause. Le même arrêt donne deux indices pour l’appréciation de cette question :

• Les modalités d’exploitation. Une gestion purement commerciale ou une faible implication de la puissance publique dans la gestion tend à éloigner la qualification de service public.

• L’intérêt de l’activité au regard de l’intérêt général. Ce critère, peut-être le plus difficile à apprécier, doit permettre de mesurer le degré d’importance pour la collectivité de l’activité concernée.

Le problème des avenants

La difficulté consiste à renvoyer au critère du service public le jugement de la distinction entre délégation de service public et concession domaniale. Outre le caractère évolutif de cette notion ou son appréciation parfois subjective (par exemple pour les spectacles), elle renvoie à des estimations qui ne sont pas toujours aisées, en particulier quand sont en cause des activités touristiques, de développement économique et de sauvegarde de l’emploi ou encore de promotion. Dans l’arrêt du 11 décembre 2000, « Mme Agofroy » (n° 202971), la ville de Paris avait autorisé une société à occuper un entrepôt situé sur son domaine public. Mais, postérieurement, la ville avait interdit par avenant toute activité d’entreposage dans le bâtiment et imposé que les nouvelles activités participent à l’animation du secteur dans les domaines de la culture et des loisirs. Cet avenant développait par ailleurs les moyens de contrôle de la ville sur la gestion du titulaire du contrat, la société étant rémunérée pour ses activités par les redevances payées par les « locataires usagers » des installations.

Le Conseil d’Etat a estimé que l’avenant avait eu pour effet de modifier la nature du contrat liant la ville à la société. Celle-ci, de titulaire d’une concession domaniale, se voyait ainsi investie d’une véritable délégation de service public consistant à « gérer la dépendance du domaine public dans le cadre d’une mission d’intérêt général d’animation culturelle et d’accueil d’activités artistiques et artisanales ». Dès lors, la vie même du contrat et l’évolution de la nature des missions confiées à l’occupant du domaine public peuvent avoir pour effet de transformer, par voie de conséquence, la nature du contrat dont il dispose. A noter que cet arrêt laisse sans réponse la question – qui n’était pas posée par le litige – des obligations juridiques pesant alors sur la puissance publique « concédante », la passation de l’avenant devant normalement intervenir après mise en concurrence, compte tenu de la nouvelle nature de délégation de service public du contrat.

Cumul des deux titres

Dernière évolution importante : la jurisprudence a fini par admettre la possibilité d’une situation de cumul où se superposent à la fois une convention d’occupation domaniale et une délégation de service public. Le Conseil d’Etat l’a d’abord admis pour le titulaire d’un bail emphytéotique administratif chargé de construire et d’exploiter un casino qui constitue une activité de service public (CE Assemblée, 10 juin 1994, « Commune de Cabourg », Rec. p. 301).

De même, le titulaire d’une concession de plage (1) cumule deux titres : une concession domaniale et une délégation de service public tendant à organiser l’exploitation de la plage dans l’intérêt du développement de la station balnéaire, en veillant en particulier à la salubrité de la baignade et au respect des mesures destinées à assurer la sécurité des usagers. Compte tenu de la présence d’un contrat portant délégation de service public, la procédure de mise en concurrence préalable instituée par les dispositions de la trouve alors à s’appliquer (CE, 21 juin 2000, SARL Plage « Chez Joseph », Rec. p. 282). L’hypothèse du « cumul » se rapproche donc de celle de la transformation, chacune d’entre elles imposant une mesure de mise en concurrence préalable qui n’aurait pas eu à s’appliquer si la convention avait gardé sa nature de concession d’occupation du domaine public.

Arrêt « Société Unibail » : trois critères retenus

Dans ce contexte, comment apprécier les faits de l’espèce « Société Unibail » ? Le projet concerné, tendant à favoriser l’activité économique et touristique du port de Marseille, pouvait donner le sentiment qu’une activité de service public était en cause. De même, le mode de rémunération de l’opérateur, reposant largement sur les redevances versées par les locataires des nouvelles installations (commerces et parkings) était exactement le même que dans l’affaire « Agofroy ».

Malgré ces éléments, le Conseil d’Etat a écarté toute nature de délégation de service public à la convention. Il considère, comme le tribunal administratif de Marseille, être en présence d’une simple concession domaniale. Les critères utilisés pour parvenir à cette conclusion sont intéressants à analyser. Les principaux sont au nombre de trois : d’abord, les prescriptions imposées par le port à la société chargée du projet d’aménagement ne dépassaient pas celles que tout propriétaire du domaine public peut imposer à son occupant et ne lui donnaient pas un « droit de regard » sur son activité ; ensuite, le contrat ne confiait aucune prérogative de puissance publique à l’opérateur, ni ne lui attribuait aucun soutien financier ; enfin, l’objectif du projet, visant à l’amélioration de l’accueil des passagers et à la valorisation du terminal, ne suffisait pas à lui conférer le caractère d’un service public.

Mise en concurrence

Cette solution doit être saluée car elle consiste à freiner une évolution selon laquelle toute autorisation d’occupation du domaine public pouvait se voir reconnaître à terme la qualification de délégation de service public. Certes, il existe un lien fort entre les notions de domaine public et de service public (dès lors notamment que cette dernière demeure un des critères d’identification de la première) et le nouveau Code des propriétés publiques, issu de l’ordonnance du 21 avril 2006, n’a pas ici fondamentalement changé la donne. Cependant, l’affaire « Unibail » montre une nouvelle fois le caractère délicat de la distinction, en particulier quand est en cause la question de la qualification d’activité de service public de la mission confiée au cocontractant de l’administration.

Cette espèce repose aussi à nouveau le problème des différences de régime existant entre les concessions domaniales et les délégations de service public. Une récente affaire a rappelé que la question de frontière pouvait aussi se poser entre concession domaniale et marché public (). De plus, la Haute assemblée a eu l’occasion de rappeler que la puissance publique, lorsqu’elle gère son domaine public, doit prendre en compte le principe de libre concurrence (), le Conseil de la concurrence en ayant déduit que l’organisation d’une mise en concurrence avant attribution de la concession étant la meilleure garantie du respect de ce principe (Cons. concurrence, 21 octobre 2004, avis n° 04-A-19). Cette question peut aussi se poser pour l’attribution d’autorisations d’occupation temporaire ayant pour effet de construire un bâtiment revenant en propriété à la puissance publique en fin de contrat, en particulier compte tenu des obligations issues du droit communautaire.

Cependant, cette solution ne serait sans doute satisfaisante qu’en apparence car la mise en concurrence préalable n’est pas la seule différence de régime entre les deux dispositifs. Il s’agit aussi de mieux encadrer, dans un régime unique, les dispositifs de valorisation du domaine public qui se sont développés dans les dernières années, pas toujours dans un cadre très cohérent.

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