Des experts plaident pour une RE 2020 aux ambitions conservées

Alors que le Conseil supérieur de la construction s'apprête à rendre son avis sur la future réglementation environnementale - avis sous influence de nombreuses fédérations qui en demandent le report et des exigences revues à la baisse - d’autres experts appellent au contraire à maintenir des exigences ambitieuses.

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Ce n’est pas dans ses habitudes, mais Thomas Jusselme, co-fondateur et associé de la start-up Vizcab, spécialisée dans le calcul du carbone pour la construction, est excédé : « La RE 2020 n’est que la transposition de la Directive européenne de 2010 relative à la performance énergétique des bâtiments, concrétisée en France dans la Loi Elan. Il est donc impossible de dire aujourd’hui que nous n’avons eu ni le temps, ni les moyens de nous y préparer. C’est à la fois alarmant et catastrophique », s’indigne-t-il.

Ces dernières semaines, la future réglementation environnementale a en effet fait l'objet de vives critiques de la part de nombreuses fédérations professionnelles de la construction et l'avis que doit rendre le 26 janvier le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE) en tient largement compte... 

Calcul des émissions de carbone

Sur le calcul des émissions de CO2, les détracteurs de la RE 2020 demandent qu’il ne soit qu’informatif, « or cela revient à nier tous les travaux réalisés dans le cadre de l’expérimentation E+C- et le programme Objectif bâtiment énergie carbone (Obec) de l’Ademe, pour former une partie des BET et des MOA à ces enjeux », déplore Marine Fouquet, directrice technique de Vizcab.

Aujourd'hui, le site batiment-energiecarbone.fr présente neuf logiciels qui permettent de réaliser des calculs d’empreinte carbone, de performance énergétique ou même les deux. « Il ne s’agit donc pas d’un monopole, les professionnels ont bien la possibilité de choisir l’outil adapté à leurs besoins », reprend Thomas Jusselme. Concernant le comptage du carbone, il compare le sujet avec des euros : « Imaginez un maître d’ouvrage qui lance un projet sans budget. Impossible d’être compétitif ! Par ailleurs, chaque étape d’un projet de construction sert aussi à vérifier que l’enveloppe économique est respectée. Il faut en faire autant avec le carbone. »

Afin de limiter le réchauffement à 1,5 °C au niveau mondial, le droit à émettre pour tous les pays est de 420 Gt de CO2, comme l’a indiqué le Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (Giec) dans son rapport en 2018. Ce budget mondial est ensuite réparti entre les pays et se traduit en France de façon opérationnelle dans la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), pour tenir ses engagements pris dans l’accord de Paris. « Reporter la nécessité de compter et de respecter un budget carbone signifie renoncer à être compétitifs sur ce sujet. Pourtant, il y a clairement une position de leader à prendre en Europe », poursuit-il. Son associé, Guillaume Lafont renchérit : « Si les professionnels ne sont pas prêts à l’été 2021, ils ne le seront pas davantage six mois plus tard ».

Sortir le périmètre des infrastructures du calcul carbone

Toujours sur le carbone, les détracteurs de la RE 2020 plaident pour sortir les infrastructures du périmètre pris en compte dans le calcul des émissions. « Or, les infrastructures relèvent de l’intelligence du projet et de la responsabilité du maître d’ouvrage. Le choix du site où construire aura un impact fort sur les performances carbone de l’ouvrage et doit donc être pris en compte », poursuit le fondateur de Vizcab, vanat de rappeler « qu'il est également important de prendre en considération toute la parcelle, au moins à titre informatif, et pas seulement l’emprise bâtie. »

Confort d’été

Le calcul des émissions de CO2 ne constitue pas la seule pierre d’achoppement de la RE 2020. Le confort d’été fait également débat dans sa prise en compte. Lors de la conférence de presse fin novembre 2020, le Ministère a annoncé des évolutions quant à son évaluation en introduisant un indicateur exprimé en degré.heure (DH) d’inconfort. « Cette disposition vise à améliorer la prise en compte du confort d’été réalisée dans la RT 2012 pour diminuer l’inconfort des bâtiments en période de forte chaleur. L’objectif est de limiter au maximum le recours à des systèmes actifs de refroidissement en optimisant le travail de conception sur les bâtiments », estime Alexandre Escudero, responsable de l’équipe performance environnementale chez Nobatek/Inef4.

Cet indicateur est défini comme devant être inférieur à 350 DH pour que le confort du bâtiment soit jugé acceptable. Au-delà de cette valeur, le bâtiment sera pénalisé par l’ajout d’une consommation de climatisation dite « fictive ». « Cette mesure fait l’hypothèse qu’un bâtiment dépassant le seuil bas fixé pourrait s’équiper d’une climatisation. Il vise à anticiper, dans le cadre du calcul réglementaire, des consommations énergétiques supplémentaires », poursuit Alexandre Escudero. Un seuil haut maximal de 1250 DH ne pourra par ailleurs pas être dépassé pour que le bâtiment soit réglementaire.

Besoin bioclimatique

Dans la même veine, le seuil maximal pour l’indicateur de besoin bioclimatique (Bbio) des logements devrait être abaissé de 30% par rapport aux exigences de la RT 2012. « Cela imposera plus de sobriété en incitant à un travail de conception plus poussé sur l’orientation ou encore l’enveloppe des bâtiments », rappelle Alexandre Escudero. Mieux l’ouvrage est conçu plus ses besoins seront faibles.

ACV dynamique

Pour l’expert de Nobatek/Inef4, l’ACV dynamique est le seul point qui mériterait une mise en application progressive. « La méthode  proposée n’est pas robuste scientifiquement et n’a pas pu être testée dans le cadre de l’expérimentation E+C-. Cependant elle traduit la volonté d’aller vers une meilleure prise en compte du phénomène de stockage carbone dans les matériaux biosourcés », énonce-t-il.

Un avis que nuance Thomas Jusselme, pour qui au contraire, cette méthode de calcul fait l’objet de travaux scientifiques depuis plus de 10 ans. « Il aurait été plus confortable de l’intégrer dans E+C- pour avoir une prise de recul opérationnelle, mais la méthode a surtout le mérite de prendre en compte le stockage temporaire de CO2 dans les matériaux biosourcés et participe donc au calcul de la neutralité carbone, qui est bien l’objectif de la France pour 2050. Il ne s’agit donc pas seulement de limiter les émissions de carbone, mais aussi de stocker celles qui ne pourront pas être évitées, d’où l’intérêt de prendre en compte le caractère temporel des émissions le plus tôt possible ». A l’échelle d’un projet, l’ACV dynamique va donc offrir davantage de souplesse dans le choix des matériaux. Un avantage à prendre en considération.

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