Au coeur du secteur sauvegardé de Versailles, en bordure de la place d'Armes, la SA16, rue de la Chancellerie, a engagé une opération de construction d'un immeuble de 13 logements. Le terrain, de 1 098 m2, comporte deux anciens bâtiments dont les murs de façade sont conservés.
Le premier, qui est situé en bordure de rue, date de la fin du XVIIe siècle. Il est inscrit à l'inventaire supplémentaire des Monuments historiques. Le second, qui est en retrait, est un peu moins ancien. Il bénéficie néanmoins d'une bonne implantation sur le terrain et offre au propriétaire un prospect acquis (1) avantageux, qui améliore la disposition des futurs appartements et la rentabilité du projet. En revanche, la présence des murs de façade conservés encombre le terrain déjà étroit et en limite l'accès aux seuls engins de chantier de petite taille, excluant l'utilisation d'une grue.
Des solutions techniques inhabituelles ont été choisies, d'une part, pour conserver les façades constituées de maçonneries de moellons fragiles et, d'autre part, pour réaliser un sous-sol complet sous les murs conservés.
Du travail à la petite cuillère
La profondeur insuffisante des fondations nécessite de reprendre en sous-oeuvre les murs conservés, pour créer de nouvelles fondations sous le niveau du plancher bas du futur sous-sol. Ce travail consiste, notamment pour le bâtiment en retrait, à créer par parties, sous les murs existants, un chaînage horizontal en béton armé, destiné à reprendre les descentes de charges. Ce travail est précédé de l'étrésillonnement des baies d'étage et suivi de l'exécution, dans des puits blindés situés à l'aplomb du chaînage, de sept poteaux qui transmettent les charges aux nouvelles fondations. Après reprise en sous-oeuvre, l'excavation par partie du terrain, pour l'exécution du sous-sol, est réalisée sans menacer la stabilité de l'ouvrage conservé.
Le préterrassement du terrain est réalisé sur 1,50 m de profondeur, à la minipelle. Il offre la possibilité de réaliser d'un seul tenant le contre-mur de mitoyenneté. Explication : comme les bâtiments implantés sur le terrain, les murs mitoyens comportent des fondations insuffisamment profondes, qui nécessitent l'exécution de murs fondés plus profondément. Leur réalisation se fait en béton projeté sur armatures, en deux phases de terrassement dans le sens de la hauteur et horizontalement par passes alternées de 1,50 m pour la deuxième phase. Un butonnage est mis en place tous les 4,50 m.
Un confortement définitif
Ne conserver que les murs de façade signifie démolir les planchers existants. « Deux solutions étaient possibles : consolider et étayer provisoirement la façade, et démolir ensuite les planchers, ou bien construire au fur et à mesure de la démolition pour ne pas menacer la stabilité des murs », précise Gérard Labati, P-DG de l'entreprise. La seconde solution a été particulièrement étudiée et retenue. Le procédé est original : sur un chantier peu mécanisé, l'opération consiste, après dépose de la toiture, à démolir les planchers un à un, en commençant par le haut, en prenant soin de remplacer chacun d'eux par des bandes en béton armé avant de passer au suivant. Ces sortes d'amorces de planchers coulées en place prennent appui dans des empochements réalisés dans les maçonneries anciennes.
A terme, les bandes armées seront reliées entre elles par une dalle, en commençant par le bas, et constitueront les planchers des différents niveaux. En attendant, elles concourent à la stabilité des murs de façade au fur et à mesure de l'avancement des travaux, en évitant leur étaiement complet, coûteux et encombrant.
« Les liernes et contreventements provisoires nous auraient coûté 200 000 à 250 000 francs supplémentaires », ajoute Gérard Labati. Une technique qui nécessite toute la compétence des hommes de chantier et un encadrement performant pour cette jeune entreprise. Même si l'architecte a été étroitement associé à ce procédé, il a fallu démontrer que cette « chirurgie fine » était possible, notamment en tenant compte du voisinage. L'entrepreneur n'a pas hésité à faire mettre en forme le mode opératoire dans des cahiers, sous la forme de croquis de principe, lisibles par tous, « comme une bande dessinée », ajoute Jean-Luc Martin, l'architecte. L'opération apparaît déjà comme un succès puisque les témoins de plâtre, posés avant les travaux, n'ont pas bougé au terme des démolitions.
Un procédé qui n'a pas été sans nécessiter un important investissement de matière grise avant d'obtenir le marché. Mais l'entrepreneur insiste sur sa conception du métier : « Aujourd'hui, l'entreprise doit proposer des solutions techniques performantes et adaptées. Plus elle y parvient, plus elle a de chances d'emporter des marchés. » Jean-Luc Martin ajoute : « De son côté, l'architecte doit notamment détecter la meilleure entreprise, ce qui n'est pas toujours visible compte tenu de la spécificité technique de l'opération. »
(1) L'ancienne construction déroge aux règles d'urbanisme (de prospect) en vigueur sans être tenue de s'y plier, même à l'occasion d'une rénovation lourde.
FICHE TECHNIQUE
Maître d'ouvrage : SA 16, rue de la Chancellerie, représentée par Atemi.
Maître d'oeuvre : Jean-Luc Martin, architecte (Versailles).
Bureau de contrôle : Socotec.
Coordonnateur sécurité, protection de la santé : C Tech.
Entreprise générale : Labati SA.
Shon : 1 366 m2.
Surface habitable : 1 010 m2.
Calendrier des travaux : de février 1999 à mars 2000.
Coûts d'études et de travaux
-Coût de travaux TCE : 8,6 millions de francs (entreprise générale), dont 4,6 millions pour le gros oeuvre et 150 000 francs pour les études d'exécution (45 000 francs de mode opératoire, 85 000 francs de béton armé, et 20 000 francs d'études diverses).
-Coût des études de maîtrise d'oeuvre : 520 000 francs, dont 370 000 francs pour l'architecte et 150 000 francs pour le BET.
-Total de la maîtrise d'oeuvre et des études d'exécution et travaux : 9,120 millions de francs.
Coûts donnés en francs hors taxe.
PHOTOS : 1. Deux bâtiments, dont les façades sont conservées, encombrent le terrain déjà étroit et en limitent l'accès aux seuls engins de chantier de petite taille.
2. Démolition et construction en même temps : une opération pour économiser l'encombrement et le surcoût des liernes et étais de confortement.
3. Les bandes armées coulées en place prennent appui dans des empochements réalisés dans les maçonneries anciennes et concourent à la stabilité des murs de façade et à l'avancement des travaux.
4.-5. Au droit des murs mitoyens, l'exécution de murs fondés plus profondément se fait en béton projeté sur armatures. A côté d'un buton (ci-contre), l'ouvrier prépare l'accès pour la minipelle et le terrassement par passes alternées de la deuxième phase.
SCHEMAS : Schémas de principe de démolition construction simultanées
A. Bâtiment existant
Etrésillonnement des baies de façade.
B. Reprise en sous-oeuvre et démolition des planchers
Création du chaînage horizontal.
Création des puits blindés et des nouvelles fondations.
Dépose de la toiture existante.
Création des premières bandes armées.
Démolition du premier plancher.
Répétition des tâches 5 et 6.
C. Construction des nouveaux planchers et excavation
Terrassement.
Fermeture des planchers.
Répétition de la tâche 9 vers le haut.
D. Achèvement
Création de la nouvelle toiture.
Aménagements intérieurs.