Au fur et à mesure de son utilisation, la dématérialisation des marchés publics fait émerger des problèmes nouveaux. Cela a au moins le mérite pour la jurisprudence de mieux délimiter les responsabilités de chacun. Ainsi dans un arrêt du 3 octobre 2012, le Conseil d’Etat a eu à se prononcer sur les obligations du pouvoir adjudicateur lorsqu’il envoie à une entreprise ou à un groupement un courriel afin de lui faire compléter son dossier de candidature.
L’article 56 du Code permet de recourir largement à la dématérialisation : il précise que « les documents écrits mentionnés par le présent Code peuvent être remplacés par un échange électronique ou par la production de supports physiques électroniques, selon les dispositions prévues au présent article. Le mode de transmission est indiqué dans l'avis d'appel public à la concurrence ou, en l'absence de cet avis, dans les documents de la consultation. Les candidats appliquent le même mode de transmission à l'ensemble des documents qu'ils adressent au pouvoir adjudicateur. […]»
Dans l’affaire en cause, le département des Hauts-de-Seine avait lancé une procédure d’appel d’offres ouvert en vue de l’attribution d’un marché à bons de commande portant sur des « prestations d’assistance à maitrise d’œuvre, maitrise d’ouvrage et d’architecture pour la mise en œuvre de la feuille de route des systèmes d’information et acquisition d’une solution d’architecture associée ». Trois groupements avaient présenté une candidature parmi lesquels le groupement constitué des sociétés Colombus Consulting (mandataire), Arismore et Atexo.
La seule signature du fichier « zip » ne suffit pas
Le formulaire de déclaration du candidat 1 () remis par la société Colombus Consulting, à l’appui de la candidature du groupement, comportait seulement la signature de cette société mandataire. Seul le fichier « zip » (fichier contenant les autres fichiers, voir notre article) était signé par les trois sociétés. Or, l’article 4.1 du règlement de la consultation exigeait que ce formulaire comporte la signature électronique de chacun des membres du groupement. Le département a donc estimé que leur candidature était incomplète. Comme le prévoit l’article 52 du Code des marchés publics, il a demandé au mandataire du groupement de la compléter, en lui envoyant un message d’alerte l’invitant à se rendre sur la plate-forme dématérialisée pour prendre connaissance des compléments d’information demandés et y répondre. Ce que le mandataire n’a pas fait.
Evincé de la procédure, ledit groupement a exercé un référé précontractuel. Le juge des référés a estimé que le département avait méconnu le principe d’égalité des candidats. Il avait pourtant relevé que le règlement de la consultation prévoyait l’accès à une plate-forme de dématérialisation et fournissait des indications sur ses modalités d’utilisation. Mais le juge a reproché au département « d’une part [de] ne pas s’assur[er] qu’était bien parvenu sur la messagerie électronique de la société Colombus Consulting, mandataire du groupement, le message indiquant qu’une demande tendant à compléter sa candidature lui avait été adressée - message dont il a souverainement relevé qu’il avait été envoyé à cette société le 2 mars 2012 à 11 heures 01- et d’autre part, [de] ne pas réexpédi[er] à celle-ci, à tout le moins, le message contenant l’information qu’un document la concernant pouvait être consulté sur la plate-forme de dématérialisation des marchés publics du département. »
Le Conseil d’Etat a censuré cette analyse et annulé l’ordonnance rendue en référé. La Haute juridiction a pour cela considéré qu’ «en vertu du guide d’utilisation de la plate-forme dématérialisée imposé aux candidats par le règlement de la consultation, […], le département devait seulement, pour inviter les candidats à compléter leur candidature, leur adresser à l’adresse électronique indiquée par eux, un message d’alerte les invitant à se rendre sur cette plate-forme pour prendre connaissance des compléments d’information demandés et y répondre ». En conséquence, le Conseil d’Etat a estimé qu’ « en jugeant ainsi que le département devait s’assurer que les candidats avaient effectivement pris connaissance de ce message, sans avoir relevé de dispositions du règlement de la consultation lui en faisant obligation, […]le juge des référés a commis une erreur de droit».
Cet arrêt est également l’occasion pour le Conseil d’Etat de rappeler qu’un candidat écarté au stade de la candidature est réputé n’avoir remise aucune offre. L’article 35, I du Code des marchés publics prévoit la possibilité pour le pouvoir adjudicateur de recourir à une procédure négociée lorsqu’il n’a été proposé que des offres irrégulières (voir article lemoniteur.fr ) ou inacceptables (voir article lemoniteur.fr).
En l’espèce, le département a, sur le fondement de cet article, négocié avec les deux autres groupements candidats au marché. Le groupement dont la société Colombus Consulting est mandataire s’est estimé lésé de ne pas avoir été, lui aussi, invité à la table des négociations. A tort, considère le Conseil d’Etat. « Les sociétés Colombus Consulting, Arismore et Atexo, dont la candidature a été à bon droit rejetée par le département et qui n’ont, en conséquence, déposé aucune offre, ne sont pas fondées à soutenir que ce dernier aurait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en n’admettant pas le groupement qu’elles avaient constitué à la négociation engagée », expliquent les Sages du Palais Royal.
Pour retrouver l’arrêt du Conseil d’Etat du 3 octobre 2012, n°359921, cliquez ici.