Délais de paiement : le BTP en première ligne en matière de contrôles

Les entreprises peuvent mettre en place des mesures pour anticiper les risques et faire face aux agents de la DGCCRF.

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Délais
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Selon le rapport 2023 de l'Observatoire des délais de paiement, la violation des délais légaux de paiement a occasionné 6 milliards d'euros de déficit dans les trésoreries des entreprises du BTP. Il s'agit de l'un des secteurs « particulièrement pénalisés » par cette pratique, estime l'observatoire. Si le retard moyen dans le BTP est contenu sous 11 jours, les comportements de paiement du secteur « sont davantage sous tension au fil des trimestres », souligne le rapport. Cela appelle à une vigilance accrue afin de prévenir le risque de sanctions et d'anticiper les contrôles.

Des délais encadrés. Le droit français encadre strictement les délais de règlement entre entreprises (1) : aux termes de l'article L. 441-10 du Code de commerce, le délai plafond est de 30 jours à compter de la livraison des biens ou de la réalisation des prestations si les partenaires commerciaux n'ont pas convenu d'une autre date. Le même texte prévoit qu'en tout état de cause, les parties ne peuvent stipuler un délai dépassant 60 jours à compter de la date de la facture ou 45 jours fin de mois. Des délais plus courts sont prévus dans certains secteurs, dont celui des transports : le paiement doit intervenir dans les 30 jours à compter de l'émission de la facture (article L. 411-11 du même code).

Un projet de règlement européen fixant un délai plafond de 30 jours pour toutes les transactions commerciales est par ailleurs en cours d'examen.

Un contrôle strict

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) contrôle le respect de ces dispositions. Elle peut prononcer à l'égard des mauvais payeurs des amendes administratives d'un montant maximal de 2 millions d'euros ou de 4 millions d'euros en cas de réitération (art. L. 441-16 du code précité). Les contrôles sont fréquents et les sanctions infligées publiées sur son site, suivant la politique du « name & shame » qui vise à discréditer les entreprises contrevenantes. Plusieurs acteurs du BTP ont récemment été épinglés : des amendes de 170 000 euros et 340 000 euros ont ainsi été infligées respectivement le 29 mai et le 12 janvier 2024 à des entreprises du secteur.

Aggravation de la répression. Le régime français figure parmi les plus stricts de l'Union européenne, allant au-delà du cadre posé par la directive 2011/7/UE du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales. Et son application par la DGCCRF montre une tendance à l'aggravation de la répression. En 2023, ce sont 346 procédures de sanction qui ont été engagées pour un total de 58,4 millions d'euros, soit presque le double du montant de sanctions infligées en 2022 (33,5 millions d'euros).

Force est de constater qu'en pratique, les professionnels peuvent rencontrer des difficultés à respecter ces délais, même s'ils mettent en place une organisation interne efficace : certains partenaires adressent parfois leurs factures en retard, et généralement antidatées, ce qui rétrécit considérablement la fenêtre de règlement de l'entreprise débitrice. Ce retard du facturant n'est généralement pas pris en compte par l'administration en cas de contrôle, dès lors qu'il appartient au payeur de réclamer les factures si le prestataire n'est pas suffisamment diligent pour les adresser (article L. 441-9 du Code de commerce).

Un excellent taux de règlement n'apparaît pas non plus comme un moyen de défense efficace : une entreprise s'acquittant par exemple de plus de 95 % de ses factures dans les délais risque tout de même une amende.

Les bonnes pratiques à adopter pour prévenir les risques

Afin de circonscrire au maximum le risque de sanction, il est nécessaire que les entreprises fassent preuve de vigilance. Elles doivent établir des procédures internes permettant de prévenir de futurs retards de paiement et d'éviter que la DGCCRF n'écarte les moyens de défense présentés en cas de contrôle. Les opérateurs se voyant régulièrement reprocher des défaillances d'organisation comptable, il s'agit donc d'un point d'attention important.

Augmenter le taux de paiement à l'heure. Différentes mesures sont ainsi à mettre en place afin d'augmenter sensiblement le taux de paiement dans les délais :

- automatiser les procédures de règlement par l'encouragement des fournisseurs à recourir à la facturation dématérialisée - en anticipant sa prochaine généralisation - et par la mise en place de prélèvements automatiques pour le paiement de factures de faible montant émises par certains fournisseurs de confiance ;

- communiquer régulièrement avec les fournisseurs pour prévenir l'envoi tardif des factures en diffusant des circulaires de sensibilisation trimestrielles, semestrielles ou annuelles qui rappellent les mentions obligatoires et le délai d'envoi ;

- solliciter la communication des factures en retard en privilégiant des relances diligentes et personnalisées : les relances générales sont le plus souvent considérées comme insuffisantes par l'administration pour écarter les factures concernées du champ de son contrôle mais elles jouent un rôle préventif ;

- optimiser l'efficacité interne du traitement des factures en sensibilisant les services aux risques encourus en cas de dépassement des délais de paiement, en mettant en place des procédés rapides de validation des factures, en déclenchant le règlement une fois la validation terminée - ou à bref délai - sans attendre la date d'échéance, en menant un audit sur les causes de retards constatés qui sera suivi d'une politique de prévention adaptée ;

- documenter toutes les non-conformités et les litiges par le recours à un outil de suivi, la conservation de traces écrites (ne pas se limiter aux réclamations téléphoniques) et une alerte adressée au fournisseur pour toute non-conformité constatée ;

- régler, le cas échéant, la partie du montant de la facture non contestée en cas de différend.

Les recours possibles pour contester une sanction

Toute entreprise condamnée peut contester le montant de la sanction infligée et/ou la publication de la décision, par le biais d'un recours administratif (recours gracieux ou hiérarchique) et/ou d'une action contentieuse.

Sur le fond, les recours administratifs ont peu de chances de succès si l'entreprise n'a pas d'arguments supplémentaires à faire valoir par rapport à ceux déjà développés lors de l'instruction et en réponse au procès-verbal d'infraction qui lui a été adressé. Les recours contentieux aboutissant à une issue favorable pour l'entreprise condamnée sont rares mais méritent tout de même d'être tentés, notamment en cas d'erreur manifeste d'appréciation de l'administration ; par exemple, s'il peut être démontré que la sanction est hors de proportions avec le montant de la rétention de trésorerie engendrée par le retard de paiement, critère principal de détermination de l'amende.

Il convient de relever que, lorsqu'une sanction est prononcée, sa publication sur le site de la DGCCRF est immédiate, ce qui expose l'entreprise en cause à une atteinte réputationnelle. Afin d'éviter qu'une telle publication n'intervienne, un recours en référé visant la suspension de l'exécution provisoire peut être initié, mais elle est difficile à obtenir en pratique.

(1) Si l'entreprise débitrice du paiement est un pouvoir adjudicateur au sens du Code de la commande publique, les délais maximums de paiement des prestataires et des sous-traitants ne sont pas encadrés par le Code de commerce mais par le Code de la commande publique, aux articles R. 2192-10 et R. 2192-11 ; ils vont de 30 à 60 jours selon la catégorie de pouvoir adjudicateur concernée.

Ce qu'il faut retenir

  • Considérant le caractère quasi automatique des sanctions en matière de retard de paiement et les difficultés rencontrées par les entreprises condamnées à obtenir une annulation ou une diminution de l'amende (ainsi que le retrait de la publication sur le site de la DGCCRF), la plus grande vigilance est recommandée.
  • Les opérateurs ont tout intérêt à anticiper de futurs contrôles par une organisation interne efficace, les retards de paiement étant de plus en plus sévèrement sanctionnés.
  • Cette tendance pourrait par ailleurs se confirmer au niveau européen, alors qu'un projet de règlement fixant un délai de paiement plafond de 30 jours pour toutes les transactions commerciales est en cours d'examen.
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