Déjà cinq ans de liberté !

En 2033, les autorisations d'urbanisme ont été supprimées. Dans les villes s'exprime désormais une créativité architecturale parfois exubérante.

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Hugues Périnet-Marquet, professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris 2)

Ce mois d'octobre 2038 marque les cinq ans de la libération du droit de l'urbanisme. Le gouvernement libéral élu en 2032 succédait aux populistes restés au pouvoir pendant dix ans et adeptes d'une réglementation tatillonne. Il a immédiatement décidé d'ouvrir largement les frontières pour combler un déficit démographique de plus en plus grand. En 2033, afin de faciliter les constructions nécessaires pour loger tous ces nouveaux habitants, il supprimait les autorisations d'urbanisme. Depuis le début du XXIe siècle, le champ du permis, de dérogation en dérogation, n'avait, d'ailleurs, cessé de se réduire. A quoi bon, dès lors, maintenir une institution presque centenaire mais qui ne servait plus à grand-chose, si ce n'est à générer un contentieux qui, malgré toutes les réformes, était encore jugé insupportable ?

Le débat a été vif au Parlement, certains députés allant jusqu'à se demander s'il fallait maintenir le droit de l'urbanisme lui-même. Le souhait des plus novateurs de rompre avec le passé et de l'abolir totalement n'a cependant pas réuni la majorité, mais la réglementation a été réduite à la portion congrue. L'interdiction de construire a, certes, été maintenue dans les zones naturelles mais, dans les zones urbaines, seules des règles de hauteur et de destination peuvent depuis être imposées.

Certains députés sont allés jusqu'à se demander s'il fallait maintenir le droit de l'urbanisme lui-même.

ABF supprimés, avocats dépités. Dans la foulée, les architectes des bâtiments de France ont été supprimés au motif qu'une lecture contemporaine de l'histoire devait s'imposer dans un pays qui voulait retrouver sa pleine modernité. Comme peu d'élus locaux ont osé affronter leurs électeurs en imposant des règles strictes, les architectes et urbanistes peuvent enfin donner libre cours à leur créativité. Les avocats font, en revanche, grise mine et ont dû se reconvertir. Certains défendent maintenant le droit moral des créateurs, d'autres, plus nombreux, mettent leurs talents au service d'habitants se plaignant des inconvénients anormaux de voisinage générés par ces constructions librement édifiées. Ce contentieux, extérieur à l'urbanisme, a pris un essor considérable, et le juge judiciaire exerce avec gourmandise ce rôle nouveau d'arbitre des projets immobiliers que l'effacement inéluctable du juge administratif lui confère.

Ce fut le deuxième grand choc pour les juristes car ce vent de libéralisme a également emporté avec lui, en cette même année 2033, la réglementation des marchés publics. L'Union européenne s'étant peu à peu délitée au cours des années 2020 et ayant été remplacée par une simple union douanière, la disparition du droit européen des marchés publics ne pouvait qu'entraîner dans sa chute un droit national depuis longtemps décrié.

Marchés publics entre amis. Cinq ans après ces réformes, les travaux publics sont devenus moins chers, et les collectivités locales peuvent enfin, en toute tranquillité, faire travailler leurs amis locaux. Ce que les électeurs, dans l'ensemble, apprécient, comme vient de le montrer le résultat des élections municipales de mars 2038.

Les villes se transforment puisque, désormais, presque tout y est possible. Certains regrettent certes que nombre de nos quartiers ressemblent désormais à ceux de Tokyo la diverse, de Londres l'affranchie, ou de Shanghai la tentaculaire. Mais, après avoir trop célébré, dans les années 2020, le culte de l'identité et de l'Etat-nation, beaucoup retrouvent avec plaisir l'ère de la mondialisation, au moins en architecture. L'extraordinaire diversité de certaines de nos rues étonne les plus anciens, mais ravit les plus jeunes parfaitement à l'aise dans cette atmosphère empruntée tant aux feuilletons américains qu'aux mangas japonais restés, les uns et les autres, curieusement à la mode.

Ville-musée et ministère-ballon. Les autorités ont cependant décidé de conserver intacts certains pans du passé, pour ne pas effrayer les touristes toujours aussi nombreux. Les premiers arrondissements de Paris ont ainsi été érigés au rang de Ville-musée. Il en va de même de certaines autres cités comme Versailles ou Chantilly. Mais ces aires touristiques ne sont quasiment plus habitées si ce n'est par ceux qui y travaillent, les visitent, ou par un certain nombre de figurants chargés d'en assurer l'animation en costumes d'époque. Le gouvernement lui-même a déserté Paris et s'est installé dans une ville nouvelle où l'architecte de chaque ministère a pu faire œuvre de créativité.

On ne s'étonnera pas, après la troisième étoile de l'équipe de France de football, que le ministère des Sports soit logé dans un immeuble en forme de ballon multicolore, mais l'installation du ministère de l'Economie dans un building en forme de dollar stylisé a surpris même les plus ouverts. Il a fallu beaucoup de persuasion à l'architecte pour faire admettre que son rôle était d'anticiper les évolutions. Or, même si l'euro reste la monnaie officielle, il tend de plus en plus à être remplacé par la devise d'un pays qui domine le monde économique après avoir gagné la guerre commerciale engagée sous l'ère Trump.

Ces nouvelles libertés, frénétiquement accueillies, ne séduisent cependant plus totalement, cinq ans après, comme le montre un récent sondage. Les Français ne regrettent pas que les villes se transforment ou s'enlaidissent, la notion de « beau » ayant d'ailleurs depuis longtemps disparu. Mais beaucoup, en bons Gaulois réfrac-taires, déplorent que la suppression des normes en droit de l'urbanisme y ait rendu impossible toute transgression de l'interdit.

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