Décret du 25 mars : des évolutions, pas une révolution

Réforme des marchés publics -

Décryptage des grandes tendances et principales mesures du texte qui parachève la réforme.

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La parution au « Journal officiel » du relatif aux marchés publics, pris en application de l’, achève la transposition des directives n° 2014/24/UE et 2014/25/UE du 26 février 2014. L’ordonnance et le décret sont entrés en vigueur le 1er avril et ne s’appliquent qu’aux marchés pour lesquels une consultation ou un avis d’appel à la concurrence est lancé à compter de cette date. Les acheteurs publics et entreprises n’auront donc eu que peu de temps pour se familiariser avec les nouvelles règles. Qu’ils se rassurent : le décret final diffère peu de la version soumise à concertation publique. Synthèse des principaux apports.

Une unification des règles encore imparfaite

Le décret s’applique aussi bien aux marchés relevant antérieurement du Code des marchés publics qu’à ceux de l’ex-. On aurait pu penser qu’il en aurait résulté une uniformisation des règles encadrant ces catégories de marchés. Il n’en est rien. Les marchés de l’ex-ordonnance du 6 juin 2005 (1) demeurent en effet dispensés des règles relatives :

- à la variation du prix (article 18 du décret) ;

- à l’encadrement du recours aux prix provisoires (art. 19) ;

- à la publication au BOAMP des avis de marché et des avis d’attribution (art. 33 et 104) ;

- à l’obligation, dès le 1er avril 2016, de publier sur un profil d’acheteur les documents de la consultation relatifs aux marchés dont le montant estimé est compris entre 90 000 euros HT et les seuils de procédures formalisées (2) (art. 39) ;

- à l’obligation, dès le 1er avril 2016, d’accepter les candidatures et les offres par voie électronique dans toutes les procédures de marché public (art. 40) ;

- aux avances, aux acomptes, à la retenue de garantie et à la cession ou au nantissement des créances (art. 110 à 131).

Aujourd’hui comme hier, on ne s’explique pas cette différence de traitement.

Un peu plus de transparence

Le décret impose aux acheteurs publics un certain nombre de formalités, plus ou moins lourdes, destinées à assurer davantage de transparence dans les procédures de passation des marchés et dans leur exécution. Les acheteurs devront désormais justifier des raisons pour lesquelles ils n’ont pas alloti un marché, et ce, au plus tôt, dans les documents de la consultation ou, au plus tard, dans le rapport de présentation ou les archives de la procédure (art. 12). Ils devront également, même en procédure adaptée, informer les candidats évincés du rejet de leur candidature ou de leur offre (art. 99) et, à compter du 1er avril 2018, offrir sur leur profil d’acheteur un accès libre, direct et complet aux données essentielles des marchés conclus et de leurs modifications (art. 107).

Portée.

L’intention est louable. On s’interroge cependant sur la portée pratique de ces nouvelles formalités. Celles-ci n’ayant pas vocation à être nécessairement accomplies avant la signature du marché, ou ne pouvant l’être qu’après cette signature, leur méconnaissance ne pourra donner lieu à l’exercice d’un référé précontractuel et ne sera donc pas efficacement sanctionnée.

La discussion avec les entreprises

Le décret érige la discussion entre les clients publics et les entreprises comme élément essentiel du processus d’achat, à toutes ses étapes.

Sourçage.

Avant le lancement d’une procédure de marché tout d’abord, puisque le décret permet aux acheteurs publics de solliciter les avis des entreprises sur un projet de marché (art. 4), voire de les faire participer à l’élaboration de sa procédure de passation, sans autoriser toutefois la pratique des cahiers des charges taillés sur mesure et sous réserve d’en corriger ultérieurement les effets anticoncurrentiels (art. 5). Cette pratique, validée par les juges administratif et communautaire (3), mais que le juge pénal voyait avec méfiance, est donc sécurisée.

Négociation.

En cours de procédure ensuite, puisque le décret élargit les cas de recours à la procédure négociée, désormais appelée « procédure concurrentielle avec négociation », et au dialogue compétitif (ce dernier prend place au sein des procédures auxquelles les entités adjudicatrices peuvent librement avoir recours). Désormais, on pourra avoir recours à ces deux procédures toutes les fois, notamment, que les « besoins du pouvoir adjudicateur ne peuvent être satisfaits sans adapter des solutions immédiatement disponibles » (art. 25). Autrement dit, le recours à l’appel d’offres ne sera imposé que pour les seuls achats « sur étagères ».

Les règles d’estimation du besoin revues

Les règles relatives au calcul de la valeur estimée du besoin (art. 20 à 23) comportent quelques innovations par rapport à celles issues de l’article 27 de l’ex-Code des marchés publics.

Unités opérationnelles.

Le besoin peut, tout d’abord, faire l’objet d’une évaluation distincte, lorsque l’organisation interne d’un acheteur public fait apparaître en son sein plusieurs « unités opérationnelles » responsables « de manière autonome » de leurs marchés publics. Dans ce cas, l’évaluation du besoin se fait au niveau de l’unité opérationnelle, et non au niveau de l’acheteur public dans son ensemble.

Services rendus.

La valeur des services rendus par le maître d’ouvrage aux entrepreneurs entre désormais dans le calcul de la valeur estimée des travaux, en plus de la valeur des fournitures mises à leur disposition. On pense, par exemple, au cas où le maître d’ouvrage assurerait le transport de matériels.

Besoin régulier.

Le calcul de la valeur estimée d’un besoin régulier se fait sur la base du montant des prestations exécutées sur une année. Il n’est plus précisé, comme le faisait l’article 27 de l’ex-code, que cette règle de calcul ne vaut que pour les marchés d’une durée inférieure ou égale à un an. Dès lors, cette règle déroge-t-elle à celle selon laquelle la valeur estimée du besoin est estimée sur la base du montant du ou des marchés envisagés, toutes reconductions confondues (art. 20) ? On attend des précisions de Bercy sur ce point. Mais, si tel était le cas, il serait possible de conclure de gré à gré des marchés d’un montant total supérieur à 25 000 euros HT, en application de l’article 30?8, pour peu qu’ils portent sur la satisfaction d’un besoin régulier d’un montant inférieur à cette même somme.

Tout sauf des offres irrégulières

Une offre irrégulière (4) nuit à l’efficacité de l’achat public. Elle constitue pour l’entreprise qui l’a présentée la perte pure et simple de l’investissement consacré à la réponse à un marché et réduit le panel des offres en compétition. Manifestement, Bercy a pris conscience de ce problème, puisque le décret comporte deux nouveaux dispositifs destinés à prévenir l’éviction brutale des soumissionnaires pour ce motif.

Signature facultative.

Le premier dispositif supprime l’obligation de signer l’offre, qu’elle soit transmise sur support papier ou sous forme électronique. Exit les problèmes de reconnaissance du certificat de signature ou de signature du fichier Zip à la place des documents qu’il contient. Soulignons toutefois que les acheteurs demeureront libres d’exiger cette signature, ce qu’ils seraient bien mal inspirés de faire.

Rattrapage.

Le second dispositif organise le rattrapage des offres irrégulières (art. 59). Le décret rappelle ainsi la possibilité de rendre l’offre régulière au cours de la négociation ou du dialogue dans les procédures comportant une discussion avec les soumissionnaires ; et, chose nouvelle, permet aux acheteurs, dans les autres procédures (appel d’offres et procédure adaptée sans négociation), d’inviter les entreprises à régulariser leur offre, sur le modèle de la procédure prévue en matière de régularisation des candidatures.

Cette régularisation, cependant, ne doit pas être l’occasion de modifier les caractéristiques substantielles de l’offre. Autrement dit, il ne s’agit pas de permettre, sous couvert de régularisation, la remise d’une nouvelle offre. On pense donc essentiellement au cas où certains justificatifs exigés par le règlement de la consultation n’auraient pas été produits, ou encore au défaut de signature de l’offre lorsque celle-ci est requise par l’acheteur public.

Quelques motifs d’inquiétude pour les entreprises

Certaines nouveautés ne soulèveront guère l’enthousiasme des entreprises.

Délais de procédure.

Il en va ainsi du raccourcissement des délais minimaux de remise des offres, passant de 45 jours en appel d’offres ouvert et 35 jours en appel d’offres restreint à, respectivement, 30 et 25 jours (art. 67 et 70) (5). Mais il ne s’agit que de délais minimaux, dont le respect formel ne garantit pas la régularité de la procédure de passation du marché. Il appartiendra toujours à l’acheteur de fixer des délais suffisants, compte tenu du montant et de la nature du marché qu’il envisage d’attribuer.

Variantes.

Il en va également ainsi de la possibilité d’imposer aux candidats la présentation de variantes (art. 58). Cette nouveauté risque cependant de se révéler artificielle, les entreprises qui ne souhaiteraient pas jouer le jeu pouvant parfaitement se borner à suggérer dans la variante des modifications infinitésimales par rapport à la solution de base décrite par le cahier des charges.

Sous-traitants.

Les acheteurs pourront aussi imposer que les sous-traitants soient solidaires du titulaire du marché principal (art. 48 II). A coup sûr, si cette possibilité devait être largement mise en œuvre, l’accès des PME à la commande publique via la sous-traitance se restreindrait considérablement. On comprend aisément que l’idée d’exécuter un contrat de sous-traitance de 100 000 euros à la condition d’être solidairement responsable de l’exécution d’un marché de 1 million d’euros puisse refroidir quelques ardeurs.

Politiques publiques.

Enfin, le décret codifie (art. 62 et 63) la conception extrêmement compréhensive que la jurisprudence européenne a du lien que doivent entretenir les critères d’attribution et les conditions d’exécution du marché avec son objet, lorsqu’il s’agit de prendre en compte des considérations d’ordre environnemental ou social (, « Max Havelaar »). Il introduit aussi les externalités environnementales (notamment les émissions de gaz à effet de serre) comme composante du coût du cycle de vie, variété du coût global. L’acte d’achat devient donc tout autant politique qu’économique.

Le concours obligatoire de maîtrise d’œuvre sauvegardé

Si l’ordonnance du 23 juillet 2015 (art. 8) définit le concours comme « un mode de sélection par lequel l’acheteur choisit, après mise en concurrence et avis d’un jury, un plan ou un projet, notamment dans le domaine de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme, de l’architecture et de l’ingénierie ou du traitement de données », elle ne précise pas dans quel cas le recours à cette procédure est obligatoire.

Certains se sont inquiétés d’une possible disparition du recours obligatoire à cette procédure pour l’attribution des marchés de maîtrise d’œuvre. Les voilà rassurés, puisque cette obligation a été maintenue par le décret (art. 90) au-dessus des seuils de procédure formalisée.

Les exceptions à cette obligation ont toutefois été élargies aux hypothèses dans lesquelles le marché ne comporte aucune mission de conception - ce que l’on conçoit aisément -, ou porte sur la réalisation d’un projet urbain ou paysager - ce qui se comprend moins facilement.

Les marchés de partenariat : la course aux obstacles

L’ordonnance du 23 juillet 2015 (art. 75) prévoit que les acheteurs ne peuvent recourir au marché de partenariat (qui remplace le contrat de partenariat) que si la valeur de ce marché est supérieure à un seuil fixé par voie réglementaire en fonction de la nature et de l’objet du contrat, des capacités techniques et financières de l’acheteur et de l’intensité du risque encouru. Le décret (art. 151) a établi les seuils suivants :

- 2 millions d’euros HT lorsque le marché de partenariat porte sur des biens autres que des ouvrages ou comporte des objectifs de performance énergétique ;

- 5 millions d’euros HT lorsque le marché porte uniquement sur le financement et la construction ou la rénovation d’ouvrages ;

- 10 millions d’euros HT dans les autres cas.

Pour recourir à ce type de marché, les acheteurs publics devront, en outre, établir une évaluation préalable du mode de réalisation du projet (art. 24 et 145) et une étude de soutenabilité budgétaire (art. 148) soumises pour avis, pour la première, à un organisme expert placé auprès du ministre chargé de la réglementation de la commande publique (la Mission d’appui aux PPP), et pour la seconde, au ministre chargé du budget.

Gageons que le marché de partenariat restera un outil contractuel exceptionnel, tant son recours fait l’objet d’un luxe de précautions.

La dématérialisation généralisée, mais pas tout de suite

Le décret prévoit de nombreuses mesures destinées à rendre obligatoire une dématérialisation complète des procédures de passation des marchés, mais qui pour la plupart ne s’imposeront que dans deux ans et demi. Ce n’est ainsi qu’à compter du 1er octobre 2018 (1er avril 2017 pour les centrales d’achat) que :

- les documents de la consultation devront être mis en ligne sur le profil d’acheteur, quelle que soit la procédure (art. 39) ;

- deviendra obligatoire la remise sous forme électronique des candidatures et des offres dans toutes les procédures (art. 41).

La remise sous forme électronique du Document unique de marché européen (Dume), quant à elle, ne pourra plus être refusée après le 1er avril 2018 (1er avril 2017 pour les centrales d’achat) (art. 49).

La sécurisation des modifications du marché

Le décret codifie les règles jurisprudentielles encadrant le recours aux avenants (tout en faisant disparaître ce terme) et y ajoute une série d’hypothèses dans lesquelles les modifications du marché sont réputées régulières. Il s’agit, tout d’abord, de l’ajout de travaux, fournitures ou services devenus nécessaires, lorsque le changement de titulaire est impossible pour des raisons techniques et économiques et présenterait un inconvénient majeur ou entraînerait une augmentation substantielle des coûts. Il s’agit encore de modifications rendues nécessaires par des circonstances imprévisibles. Dans ces deux cas, le montant de la modification ne peut dépasser 50 % du montant du marché initial. Ces deux hypothèses ne sont pas sans rappeler les conditions dans lesquelles on peut utiliser la procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence (art. 30).

Le décret institue, par ailleurs, une franchise à l’intérieur de laquelle il pourra être librement recouru aux modifications du marché. Les modifications d’un montant inférieur aux seuils de procédures formalisées et à 15 % du montant du marché initial en travaux (10 % en fournitures ou services) sont ainsi réputées régulières.

A quand la prochaine réforme ?

Le décret ne révolutionne pas la matière des marchés publics. Il comporte des ajustements bienvenus mais aussi quelques mesures d’une utilité douteuse et quelques anachronismes qui font dire que ces règles ne resteront pas inchangées très longtemps.

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