La conférence plénière d’ouverture du parcours Décarbonez !, lors de Bâtir pour le climat le 7 décembre dernier, portait sur les matériaux décarbonés, même s’il a été rappelé d’emblée que, dans le bilan environnemental d’un projet, ceux-ci ne faisaient pas tout. « C’est l’ensemble de l’opération qui doit être décarbonée, ce qui implique d’agir sur tous les postes et notamment les lots techniques », pointait à cet égard Natan Leverrier, consultant pour Carbone 4. Président de l’Untec, Franck Dessemon a renchéri en mentionnant une étude menée par des économistes sur 50 bâtiments passés au crible des futurs seuils de la RE2020 : « seuls 10 parvenaient à passer le cap de 2031, ce qui montre bien que l’enjeu ne se situe pas exclusivement au niveau des matériaux, mais à l’échelle de la conception globale, en s’appuyant sur l’innovation, déployée par les industriels. » Même son de cloche chez l’architecte Jean-Michel Woulkoff, président de l’Unsfa. « Concevoir autrement, c’est à la fois être plus frugaux dans les quantités de matière engagées, renouer avec des pratiques constructives locales qui s’étaient un peu perdues avec le tout-béton, et avoir une vision holistique du projet.»
Si le choix de matériaux « verts » peut bien sûr permettre de dégager des gains carbone significatifs, ce n’est pas toujours la panacée. « D’abord, il y a des matériaux qu’on ne peut pas décarboner sans dégrader leur performance, remarquait l’industriel Cédric Bruge, DG de Kingspan et président de Bacacier. D’autre part, pour atteindre les mêmes propriétés qu’un matériau conventionnel, il faudrait dans certains cas mettre en œuvre des volumes de matière pouvant passer du simple au double. Dans le cadre d’une rénovation avec isolation de toiture, cela pose la question de la capacité de portance de l’existant ; sans parler de la perte de surface entraînée par le remplacement d’une cloison de 25 cm par une de 80 cm, pour isoler par exemple une chambre froide. » Et qui dit plus d’emprise au sol dit artificialisation… Il ne faut donc pas s’interdire d’intégrer des matériaux plus carbonés dans la recette – du moment que ce choix est justifié et l’équilibre global respecté.
Garantir la performance
« Nous devons passer par une obligation des garanties de performance. C’est un enjeu majeur », a déclaré Jonathan Louis, coordinateur innovation de l’Ademe. Selon lui, les objections à la garantie de performance proviennent de professionnels qui craignent d’être bousculés dans leurs habitudes, et qui mettent également en avant les incertitudes qui pèsent sur la situation avant travaux. Pour mieux structurer les offres globales de rénovation, l’Ademe a lancé l’appel à projet Oreno (pour Opérateurs ensembliers de la rénovation). Un consortium qui peut réunir des entreprises de travaux, des promoteurs, des architectes, des bureaux d’étude, des banques, des assureurs, etc., et qui propose une modèle de contrat de rénovation globale garantissant un prix, un tiers financement, un engagement sur la performance avec des réelles atteintes après travaux. « L'idée est de massifier la rénovation énergétique de qualité, sans avance de frais pour les ménages, mais avec une récupération des avances de travaux faites par l'opérateur sur les économies de la facture d'énergie ». Pour Jonathan Louis, la garantie de performance sera l’une des clés de voûte de la rénovation énergétique.
Prendre en compte l'impact du transport
Un autre point soulevé lors du débat a porté sur la question du poids carbone des transports des produits et matériaux de construction – qui représente, selon les cas, entre 20 et 40% de l’empreinte par rapport à sa fabrication. « Concevoir bas carbone ne doit pas uniquement consister à additionner des fiches de déclarations environnementales, mais à travailler à l’échelle du territoire et avec les ressources disponibles, d’où la nécessité de structurer les filières », ajoutait Franck Dessemon. Pour être au plus proche de la demande, l’entreprise Kingspan s’est ainsi fixé l’objectif d’ouvrir deux sites par an en régions. Jean-Michel Woulkoff a par ailleurs fait remarquer que les arbitrages se jouaient jusqu’à l’appel d’offres. « Le choix de travailler avec des entreprises locales est tout aussi important. De même, l’heure est venue de vérifier si la moins-disante intègre bien le carbone dans sa réponse, car il y a lieu de penser que le carbone deviendra demain un critère plus important que l’euro… »
Dans la suite du parcours Décarbonez, une autre prise de parole a fait écho à ces premiers échanges. Stéphane Herbin, directeur bâtiment de France Ciment, a en effet présenté une étude réalisée en 2023 par le BET Bastide Bondoux sur un modèle de bâtiment de 16 logements collectifs en R+1 qui a été testé en béton coulé, béton préfabriqué et bois, selon différentes zones géographiques (H1A, H2B, H3) et selon les seuils 2022 (actuellement en vigueur) et 2025 de la RE2020. « La conclusion est que l’on va pouvoir continuer à construire en béton », a résumé l’intervenant. En effet, moyennant quelques ajustements, notamment sur la nature du ciment employé, les isolants et le traitement du confort d’été, le béton passait le seuil de 2025. Ceci n’excluant pas de continuer à explorer les pistes d’amélioration de l’Ic construction, en recourant à des données ajustées, en intensifiant la R&D sur la formulation des bétons, en tablant sur l’écoconception et la mixité des matériaux.
S'appuyer sur le BIM
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« Produire des bâtiments qui sont moins générateurs de carbone ? En plus d’être un défi, c’est une véritable opportunité », indiquait Emmanuel Di Giacomo, responsable du développement des écosystèmes BIM chez Autodesk. Selon une étude mondiale menée par l’éditeur, 79 % des dirigeants seraient convaincus que le développement de leur entreprise dépendra des outils numériques. « Même si la technologie ne peut pas tout résoudre, nous pensons que les données peuvent permettre de répondre à un certain nombre de défis, au nombre desquels la gestion totale du carbone – depuis les consommations sur le chantier jusqu’à la maintenance – l’économie-circulaire, la résilience et la performance des infrastructures, les obligations liées au développement durable (Green Deal européen, RE2020). » Et d’illustrer le propos en évoquant Forma (ex-Spacemaker), logiciel de conception des quartiers du futur nourri à l’IA et basé sur le cloud, utilisé sur des projets urbains à Amsterdam (Pays-Bas) et Oslo (Norvège) ou encore le rôle de Revit pour modéliser les composants d’un conservatoire parisien à rénover dans une logique de réemploi.
En direct de la COP28
Directrice de Construction 21, Stéphanie Obadia s’est exprimée depuis Dubaï (Émirats arabes unis) pour résumer les grandes tendances des négociations, en revenant tout d’abord sur le lancement « historique » du Buildings Breakthrough le 6 décembre, un engagement porté par la France et le Maroc visant le zéro émission pour le secteur du bâtiment d’ici 2030,. Les enjeux sont triples : faciliter les actions sur l’énergie (renforcer l’efficacité énergétique et les sources décarbonées), les matériaux (développer l’emploi de matériaux biosourcés ou décarbonés), et les risques (accroître la résilience climatique). « Le secteur du bâtiment prend une place prépondérante dans les débats, d’autant que ce lancement s’est accompagné de l’annonce, par le gouvernement français, de la tenue à Paris, les 7 et 8 mars 2024, du Forum mondial bâtiments et climat (Global Forum for Buildings and Climate) au cours duquel la feuille de route du Buildings Breakthrough devrait être dévoilée. » Stéphanie Obadia a également évoqué le climat de grande tension entre les états sur la question de la sortie des combustibles fossiles, pétrole, gaz et charbon - soulignant au passage que 2 500 lobbyistes de tous bords étaient présents sur cette COP, soit quatre fois plus que lors de la précédente édition. Enfin, elle a tenu à souligner que la prise en compte de la biodiversité, notamment à travers la question de la préservation des forêts, était une première et une lueur d’espoir dans cet événement à l’utilité souvent controversée.