Que nous a appris la période de confinement sur la situation du logement ?
De tels moments sont révélateurs de ce qui fait défaut ou ne fonctionne pas et qui pourtant devrait être la règle. Habituellement, les gens ne passent pas tant de temps chez eux, mais là, ils n’avaient pas d’échappatoire et se sont retrouvés confrontés à tous les défauts de leur habitat.
Ils ont souffert du manque d’accès à l’espace extérieur et de rapport à la nature. Ils ont pâti de la petitesse de leur logement, du manque de lumière et de vues. Autant de sujets sur lesquels l’agence bataille depuis 13 ans pour garantir une qualité aux logements que nous concevons.
Pourquoi la construction d’un bon logement commence-t-elle par la création d’un bon quartier ?
La qualité de l’urbain se répercute jusque dans les logements. Seulement aujourd’hui, on érige des ensembles de boîtes à chaussures, des chapelets de petits plots tous identiques, compacts parce qu’ils doivent être performants énergétiquement, tout en assurant une certaine densité à moindre coût. Mais si la densité n’est pas une mauvaise chose en soi, elle doit être réfléchie et équilibrée.
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Dans mes projets, je cherche toujours à introduire de la diversité dans les volumes, de penser des émergences qui sont contrebalancées par des bâtiments plus bas. Ce jeu de pleins et de vides assure un accès au ciel, à la lumière et à la nature avec des cœurs d’îlots plantés de vrais arbres.
Les bénéfices seront différents pour les habitants selon la forme de leur habitat. Dans les émergences, ils profiteront de doubles orientations, de vues dégagées et d’un éclairage abondant. Dans les édifices moins hauts, ils pourront trouver des typologies différentes, comme des duplex, ou tirer parti du rapport au sol pour avoir un vrai jardin. L’intérêt est donc aussi de concevoir une variété d’habitats qui générera une diversité sociologique dans le nouveau quartier.
Et dans les immeubles eux-mêmes, quelles dispositions sont pour vous devenues incontournables ?
Depuis ma première opération de sept logements sociaux dans le XVIIe arrondissement à Paris, en 2011, j’ai acquis la certitude qu’il faut créer un sas de décompression entre le monde extérieur et l’intérieur des logements, un espace de transition entre le public et l’intime. Pour cela, il faut des halls d’entrée ou des cours, des circulations en lumière naturelle ou des paliers appropriables. Il faut rendre ces espaces moins anxiogènes. Ils doivent donc être généreux.
Communauté en germe
Le confinement et les mesures de distanciation sociale ont montré les limites des entrées d’immeubles exiguës et des couloirs étroits, dans lesquels on ne peut pas croiser son voisin sans le frôler, ni discuter avec lui à une distance respectable. La vie en collectif ne doit pas être subie, elle doit être le germe d’une petite communauté. Justement, on a aussi observé que, pendant le confinement, les gens ont découvert à côté de qui ils vivaient et notamment beaucoup ont aidé les personnes âgées qui ne pouvaient plus recevoir la visite de leur famille.
Quasiment interdits de sortie, les Français ont plus que jamais investi leurs jardins, leurs balcons, les cours et parfois même le seuil des immeubles. Mais pour ceux qui n’avaient aucun accès à l’extérieur, la période a été encore plus difficile…
C’est un manque évident. D’ailleurs des articles ont été publiés sur les études menées tout récemment par des groupes immobiliers. Elles montrent que les recherches de maison en province avec jardin ont explosé. Selon l’une d’elles, pour 36 % des personnes interrogées, avoir un balcon, une terrasse ou un jardin était le critère de choix le plus important.
Une évidence
A l’agence, lorsque nous débutons un projet, nous partons toujours du principe que tous les logements seront dotés d’un espace extérieur privatif. Et dans l’hypothèse où cela serait impossible - parce que la parcelle est trop étroite et que les balcons en saillie sont interdits - il faut être inventif et réussir à ménager une terrasse, une cour ou une toiture partagée. Mais il faut se battre car cela implique un budget dédié non prévu initialement.
Pensez-vous que ces nécessités seront mieux comprises à l’issue de cette crise sanitaire ?
On peut en effet ressortir de tout cela par le haut. En tout cas, dans une négociation avec un maître d’ouvrage, dégainer l’argument du confinement peut être très efficace. Sur un projet en cours, nous n’arrivions pas, avant la crise, à obtenir de pouvoir faire des espaces extérieurs, privés ou collectifs, pour tous les logements. Et puis c’est devenu une évidence et nous avons eu l’accord du client. Mais ça ne fonctionne pas toujours. Sur un autre dossier, en plein confinement, nous luttons encore pour imposer les paliers en lumière naturelle.
Et sur les surfaces d’habitation, comment faire pour qu’elles soient plus grandes ?
La taille des logements est conditionnée par le coût de construction et celui du foncier. C’est à cela qu’il faut s’attaquer mais nous, architectes, à notre échelle, ne pouvons rien faire. Selon moi, seuls les pouvoirs publics peuvent imposer de nouvelles règles. Cette crise peut être un moment fort de prise de conscience de tous les acteurs de la production de logements… Pour dire justement que nous ne fabriquons pas juste des produits, qui ont une obsolescence programmée, mais des bâtiments qui seront là pour des décennies. Nous sommes responsables de ce que nous construisons.
Je compte aussi sur un public plus aguerri et qui deviendra de plus en plus exigeant sur la consommation énergétique de son logement, sa pérennité et plus globalement sa qualité. Les gens seront poussés à cela par leurs enfants. La jeune génération me semble plus militante sur ces questions.