A l’heure où les sept millions de personnes qui peuplent le Grand Paris entament leur déconfinement, une étude de l’Atelier parisien d’urbanisme, l’Apur, vient souligner combien cette période du #Restezchezvous a pu être plus difficile encore à supporter pour un grand nombre d’entre elles.
En se fondant sur les données du recensement de 2016, l’organisme indique en effet dans une note, publiée en avril et disponible en ligne, que dans la métropole-capitale, «1,8 million d’habitants vivent à l’étroit dans leur logement». Qu’ils soient propriétaires, locataires dans le parc privé ou social, en habitat collectif ou en maison individuelle, ces personnes occupent des lieux qui sont trop petits au regard de la composition de leur foyer. Ce sont ainsi 434 380 ménages de deux personnes et plus qui subissent la promiscuité.

En effet, pour mener son travail d’analyse, l’Apur s’est appuyé sur «la définition la plus claire du foyer en situation de suroccupation : son logement compte une pièce de moins que le nombre de personnes qui constituent le ménage. C’est, par exemple, le cas de deux personnes qui logent dans un une-pièce, trois dans un deux-pièces, etc.», détaille l’urbaniste Stéphanie Jankel, directrice des études sur l’habitat, l’économie et le commerce et co-auteure de la note avec Sandra Roger. Ce résultat fait de Paris et de la première couronne «une des métropoles françaises les plus touchées par la suroccupation avec la région niçoise», indique le document.
Structure du parc
Mais pour avoir une vision complète de ce phénomène de surpeuplement de l’habitat, il faut aussi avoir en tête le cas des personnes seules, qui représente au total 1,3 million d’âmes dans la métropole. Or, à Paris, 19 % d’entre elles sont considérées comme occupant une surface trop petite, à savoir moins de 25 m² selon la mesure fixée par l’Insee. Dans les départements de petite couronne, 9 % des personnes seules ne disposent également que d’un logement étriqué.
«Deux familles de facteurs expliquent la suroccupation qui est assurément une forme du mal-logement, note Stéphane Jankel. La première tient à la structure même du parc immobilier et à son ancienneté : plus que dans d’autres régions, il est constitué de petits logements. Notamment, il y a plus d’appartements qu’ailleurs. Même si on constate aussi que vivre en pavillon ne protège pas de la suroccupation».
Dans les territoires du nord-est, au fort passé ouvrier, les maisons sont d’envergure modeste, avec quatre pièces en moyenne. La note de l’Apur révèle en outre que «depuis les années 2000, la situation s’est encore dégradée avec le phénomène des divisions pavillonnaires, réalisées parfois sans autorisation.»
La propension des constructions récentes à être plus généreuses ne permet pas de renverser la tendance. «Selon l’enquête nationale sur les logements menée en 2013, la taille moyenne des logements en Ile-de-France est passée de 61 m² en 1973 à 76 m² en 2006 et stagne depuis lors, confirme la responsable de l’étude. Et le poids du neuf par rapport au stock demeure faible : on parle de 50 000 unités bâties par an environ, les bonnes années, alors que le Grand Paris représente, au total, 3,5 millions de logements.»
Facteurs économiques
La deuxième cause de la surpopulation est, bien sûr, à chercher du côté des facteurs économiques et sociaux. «Depuis les années 2000, l’augmentation du coût au m² a été bien supérieure à celle des revenus des ménages, poursuit la directrice d’études. Les gens se sont retrouvés coincés dans leur parcours résidentiel : déménager pour avoir une pièce en plus est devenu beaucoup trop cher. Dans le parc social, les raisons sont un peu différentes. D’une part, les ménages ont souvent plus d’enfants. Par ailleurs, la file d’attente pour des demandeurs est tellement longue, qu’il y a obligation d’être économe avec la ressource. Ce qui ne favorise pas, là non plus, les déménagements.»
Dans ses détails, la note de l’Apur confirme que suroccupation et revenus modestes vont de pair : «Elle affecte plus souvent les ménages dont la personne de référence est "ouvrier" (46%), sans activité professionnelle (37 %) et, dans une moindre mesure, "employé" (31 %).» Pour les cadres, elle s’établit en revanche à 16 % et ne dépasse pas 5 % pour les retraités.
Géographie de la pauvreté
Dans le même ordre d’idée, la cartographie des logements surpeuplés correspond à la géographie des zones plus défavorisées. A Paris, le phénomène est plus marqué dans le XIXe arrondissement. Sur le pourtour de la capitale, il frappe plus fortement les communes du nord, dans les Hauts-de-Seine (Gennevilliers, Clichy…) et surtout en Seine-Saint-Denis (Aubervilliers, Saint-Denis, Pantin, Bobigny, etc.).
Une géographie qui peut rappeler celle de la surmortalité liée à la pandémie de Covid-19. Selon l’Insee, entre le 1er mars et le 20 avril 2020, les décès cumulés ont ainsi augmenté de 130 % en Seine-Saint-Denis et de 122 % dans les Hauts-de-Seine, par rapport à la même période de 2019.
«Il faut se montrer très prudent dans ce genre de comparaison, avertit d’abord Stéphanie Jankel. Mais on peut effectivement imaginer qu’il puisse y avoir des connexions entre la géographie de la suroccupation, celle de la pauvreté et celle des contaminations par le coronavirus. Ce dont on peut être certain, en revanche, c’est que le confinement aura été, dans ce cas de ces personnes mal-logées, beaucoup plus mal vécu. Elles auront été encore plus pénalisées.»