Coup de tonnerre pour les EPL

Le Conseil d’Etat vient de restreindre drastiquement les possibilités pour les collectivités d’être actionnaires d’entreprises publiques locales. Point de vue critique sur cette décision lourde de conséquences.

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
Coup de tonnerre pour les EPL

Les entreprises publiques locales (EPL), composées principalement des sociétés d’économie mixte (SEM) mais également des sociétés publiques locales (SPL) et des SEM à opération unique (Semop), constituent un formidable levier d’action écono­mique pour les acteurs publics locaux. Vecteurs forts de coopération entre différents niveaux de collectivités, elles sont aujourd’hui fortement touchées par une décision du Conseil d’Etat (CE, 14 novembre 2018, n° 405628, tables du Recueil).

Toute forme de coopération interdite. Cet arrêt fait un lien direct entre compétence de la collectivité et objet social de la société. Il précise qu’une collectivité, pour être actionnaire d’une SPL et par extension d’une SEM, doit détenir l’intégralité des compétences inscrites dans l’objet social. Or, on sait que depuis la loi NOTRe du 7 août 2015, les collectivités se sont vu retirer la clause de compétence générale. La conséquence de l’arrêt est donc d’interdire toute forme de coopération entre collectivités de différents niveaux, sauf dans les domaines où les compétences sont partagées (tourisme, sport, culture, etc.).

C’est un contresens économique car une société doit avoir un objet social assez étendu pour lui permettre de ­générer un chiffre d’affaires suffisant. Contraindre chaque collectivité à créer son outil, avec un objet social étroit et en interdisant la coopération, source de professionnalisme et d’économie, est aussi un contresens territorial. On nie ainsi l’inventivité ­locale et la richesse des territoires.

L’observateur attentif aura pu constater qu’un référé de la Cour des comptes en date du 15 juin 2017 tirait à boulets rouges sur les EPL (1), et que l’arrêt du Conseil d’Etat est rendu sur recours du préfet, reprenant la position de la Direction générale des collectivités locales, très hostile aux EPL. On voit bien que l’Etat se méfie de la richesse de l’initiative locale et de l’intelligence territoriale à l’œuvre de manière transversale dans les EPL.

Une position très restrictive

Rappelons pourtant que plusieurs décisions divergentes avaient retenu l’attention au sujet du lien qui doit être établi entre les missions de la SPL et les compétences de chacun de ses actionnaires. Il en résultait une incertitude sur le fait de savoir si, en vertu de l’article L. 1531-1 du Code général des collectivités territoriales [CGCT – (2)], une collectivité ou un groupement de collectivités ne pouvait participer au capital d’une SPL qu’à condition de détenir toutes les compétences correspondant à l’objet social de la société (CAA de Nantes, 19 septembre 2014, n° 13NT01683) ; ou, dans le cadre d’une interprétation plus souple, si la partie prépondérante des missions de la société n’excédait pas son domaine de compétence (CAA de Lyon, 4 octobre 2016, n° 14LY02753, objet du pourvoi ici commenté).

Une seule exception. Le Conseil d’Etat, dont la position était attendue, adopte ici la solution la plus restrictive. En vertu de l’article L. 1531-1 du CGCT, combiné aux articles L. 1521-1 et L. ­1524-5 du même code et qui s’appliquent tant aux SEM qu’aux SPL, la haute assemblée juge dans un considérant de principe que : « La participation d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales à une société publique locale, qui lui confère un siège au conseil d’administration ou au conseil de surveillance et a nécessairement pour effet de lui ouvrir droit à participer au vote des décisions prises par ces organes, est exclue lorsque cette collectivité territoriale ou ce groupement de collectivités territoriales n’exerce pas l’ensemble des compétences sur lesquelles porte l’objet social de la société. »

Une seule exception, certes non négligeable, concerne le cas prévu à l’article L. 1521-1 précité où l’objet social de la société s’inscrit dans le cadre d’une compétence que la commune n’exerce plus du fait de son transfert, après la création de la société, à un établissement public de coopération intercommunale. La collectivité pourra donc, dans cette hypothèse, continuer de participer au capital de la SPL en question à la condition toutefois de céder les deux tiers de ses actions à la collectivité bénéficiaire du transfert de la compétence. Encore faut-il se mettre d’accord sur le prix de cession de ces actions au regard des capacités financières des collectivités concernées, ce qui soulève déjà, dans un certain nombre de cas, d’importantes difficultés.

Pas de pacte possible sur le vote. Au plan juridique, la solution de compromis initiée par la CAA de Lyon est rejetée au motif, selon Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public dans cette affaire, qu’elle créait une confusion entre, d’une part, la composition de l’actionnariat de la SPL et, d’autre part, la passation des contrats de la commande publique susceptible d’être attribués sans mise en concurrence à la société. Le Conseil d’Etat s’en tient donc à la stricte lettre du texte. Il considère notamment que toute prise de participation conférant au moins un siège dans les organes de gouvernance, permettant ainsi de participer au vote des décisions prises par la société, est exclue pour une collectivité ou un groupement qui ne dispose pas de l’ensemble des compétences.

Dans ses conclusions, Emmanuelle Cortot-Boucher rejetait au demeurant toute solution consistant à conclure un pacte entre les actionnaires ayant pour effet d’écarter le vote de la collectivité dès lors que la décision porterait sur un sujet non couvert par ses propres compétences.

Modifier la loi au plus vite

Cette position est fortement préjudiciable aux collectivités qui ont décidé de créer, au travers d’une SPL, un outil de quasi-régie au régime déjà très restrictif. Une SPL ne peut en effet travailler que pour ses seuls actionnaires qui doivent exercer sur elle un contrôle conjoint analogue à celui exercé sur ses propres services… Mais la décision du Conseil d’Etat, de surcroît, impacte toutes les SEM qui ont plusieurs collectivités ou groupements de collectivités comme actionnaires. Elle implique une très forte remise à plat de l’actionnariat des EPL et surtout un coup fort porté à leur dynamique. Elle risque de fragiliser leur équilibre économique, soit 26,4 milliards d’euros de valeur ajoutée et 276 000 emplois générés de manière directe ou indirecte, selon la Fédération des EPL.

Comme le suggérait le rapporteur public au Conseil d’Etat, il est donc urgent de légiférer pour sécuriser les 1 300 entreprises publiques locales en activité. Il suffira que la loi prévoie qu’une collectivité ou un groupement peut participer au capital social d’une SPL ou d’une SEM lorsqu’il est compétent pour une partie des missions relevant de l’objet social de la société.

(1) « Les EPL face aux critiques et aux recommandations de la Cour des comptes », par Anne-Christine Farçat et Thomas Rouveyran,

« Le Moniteur » du 19 janvier 2018.

(2) Inséré par la loi du 28 mai 2010 qui a créé les SPLA et les SPL,

après une première autorisation en 2006 de création à titre expérimental des seules SPLA.

Ce qu’il faut retenir


* Le Conseil d’Etat a rendu, le 14 novembre, un arrêt qui pourrait avoir des conséquences dramatiques pour de très nombreuses EPL et pour les collectivités qui en sont actionnaires.

* Il tranche en effet un débat doctrinal et jurisprudentiel, en énonçant qu’une collectivité (ou un groupement de collectivités) ne peut participer à une société publique locale – et, par extension, à une société d’économie mixte – et y détenir des droits
de vote lorsqu’elle n’exerce pas l’ensemble des compétences sur lesquelles porte l’objet social de ladite société.

* La haute assemblée retient ainsi la solution la plus restrictive, interdisant dans de nombreux cas la coopération entre collectivités de différents niveaux.

* Il semble donc urgent de légiférer pour sécuriser les EPL existantes ou en cours de constitution.

Abonnés
Analyses de jurisprudence
Toute l’expertise juridique du Moniteur avec plus de 6000 commentaires et 25 ans d’historique
Je découvreOpens in new window
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !