Sensible aux critiques récurrentes adressées à la France par les organisations internationales spécialisées, en raison notamment de l'absence de réelle obligation de prévention de la corruption au sein des entreprises, le législateur a entendu se hisser au niveau des meilleurs standards internationaux.
C'est l'objet du titre Ier de la relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite Sapin 2). Consacré à la lutte contre les manquements à la probité, il met notamment à la charge de certaines entreprises et de certains établissements publics des obligations nouvelles en matière de lutte contre la corruption et le trafic d'influence (article 17). Ce dispositif est entré en vigueur le 1er juin 2017. Compte tenu de l'ampleur des mesures à mettre en œuvre, il y a fort à parier que toutes les entités assujetties ne sont pas encore pleinement en conformité avec ces règles.
Le champ d'application des obligations de conformité
Entreprises concernées. L' 2 fait peser, sur les dirigeants (1) des sociétés, l'obligation de mettre en place des mesures internes de prévention et de détection de faits de corruption ou de trafic d'influence, en France ou à l'étranger ; mais le Conseil constitutionnel a logiquement précisé que cette contrainte s'appliquait aussi aux entreprises elles-mêmes (2). Sont visées les sociétés dont l'effectif comprend au moins 500 salariés et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 100 millions d'euros, ou celles appartenant à un groupe de sociétés (3) de cette importance et dont la société mère a son siège en France. L'article 17.I prévoit la même obligation pour les établissements publics à caractère industriel et commercial répondant aux mêmes critères ou appartenant à un « groupe public », ainsi désigné par la loi, de même importance.
S'agissant des groupes de sociétés, la loi précise, d'une part, que lorsqu'une société mère établit des comptes consolidés, l'instauration des mesures concerne la société elle-même, l'ensemble de ses filiales et l'ensemble des sociétés qu'elle contrôle ; et, d'autre part, qu'une filiale ou une société dépassant les seuils précités sera réputée satisfaire à ses obligations de conformité si sa société mère applique de telles obligations à l'ensemble des filiales ou sociétés qu'elle contrôle.
La loi n'est donc pas cantonnée au territoire français : dès lors qu'un groupe de sociétés a son siège en France et dépasse les seuils précités, la société mère doit soumettre l'ensemble de ses filiales et des sociétés qu'elle contrôle aux mesures de conformité qu'elle édicte, qu'elles soient établies en France ou à l'étranger.
Infractions ciblées. Si la 2 impose la mise en place de mesures internes de prévention et de détection de « faits de corruption ou de trafic d'influence », en France ou à l'étranger, elle ne définit pas précisément le périmètre des infractions concernées par référence au Code pénal. Deux interprétations sont possibles : ou bien la loi vise l'ensemble des pratiques dites « corruptrices » (par exemple, du point de vue des entreprises, l'abus de biens sociaux, le recel de prise illégale d'intérêts ou le recel de favoritisme), ou bien elle ne vise que la corruption et le trafic d'influence au sens strict.
La loi Sapin 2 ne définit pas précisément le périmètre des infractions concernées.
Les travaux parlementaires n'apportent aucune indication sur cette question - qui n'a jamais été véritablement débattue -, mais la seconde hypothèse semble la plus probable. En effet, lorsque le législateur a entendu viser d'autres infractions, il l'a fait très explicitement. L'article 1er de la loi, relatif aux compétences de l'Agence française anticorruption (AFA), mentionne en effet les « faits de corruption, de trafic d'influence, de concussion, de prise illégale d'intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme ». De sorte que dans la même logique, lorsque l'article 17 évoque précisément la corruption et le trafic d'influence, il nous semble devoir être considéré comme ne visant que ces infractions. Ce qui renvoie tout de même, dans le Code pénal, à 22 infractions (corruption passive d'agent public, corruption active d'agent privé, trafic d'influence passif d'agent public, etc. ). Cela ne signifie pas pour autant que les documents à adopter ne peuvent rien dire sur les pratiques corruptrices en général -l'AFA devrait au demeurant y inciter compte tenu du champ de ses compétences -, mais aucune obligation ne pèse en ce sens sur l'entreprise en application de l'article 17 de la loi.
Les mesures et procédures de conformité
Obligations issues de la 2. Huit mesures de prévention et de détection des faits de corruption ou de trafic d'influence doivent être mises en œuvre depuis le 1er juin dernier (art. 17. II).
- Un code de conduite (1re mesure), intégré au règlement intérieur de l'entreprise, qui doit définir et illustrer les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d'influence. L'exercice est difficile, car la loi semble imposer de décrire de manière exhaustive les comportements proscrits, ce qui pourrait nuire à sa lisibilité pour ses destinataires. Une approche didactique nous semble la plus appropriée. Elle vise, d'une part, à expliquer le contenu des infractions concernées en s'appuyant sur des exemples, et, d'autre part, à décliner les comportements attendus, imposés ou interdits pour un certain nombre de thèmes précis, adaptés à l'activité de l'entreprise (cadeaux d'usage et invitations, sponsoring, lobbying et intermédiaires, etc. ).
Ce code de conduite doit lui-même être adossé à un dispositif d'alerte interne (2e mesure), permettant le recueil des signalements émis par les employés en cas de méconnaissance du code de conduite. Ce dispositif doit être distingué de la procédure de recueil des signalements émis par les lanceurs d'alerte (4), dont l'objet et le champ d'application diffèrent. Le code de conduite doit également être assorti d'un régime disciplinaire (3e mesure) permettant de sanctionner les salariés de la société en cas de violation du code de conduite.
- Une cartographie des risques (4e mesure), c'est-à-dire une documentation régulièrement actualisée identifiant, analysant et hiérarchisant les risques d'exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption, en fonction notamment des secteurs d'activité et des zones géographiques. Cette cartographie devrait pouvoir prendre des formes variées, l'essentiel étant que les informations exigées y figurent et soient actualisées, permettant à l'entreprise d'avoir conscience des enjeux. Relevons que la cartographie des risques ne concerne que les sollicitations aux fins de corruption, et non de trafic d'influence.
- Des procédures d'évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires, au regard de la cartographie des risques (5e mesure). - Des procédures de contrôles comptables, internes ou externes, afin que les livres, registres et comptes ne soient pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d'influence (6e mesure).
- Un dispositif de formation des cadres et des membres du personnel les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d'influence (7e mesure).
- Et un dispositif de contrôle et d'évaluation interne des mesures mises en œuvre (8e mesure).
Premiers conseils de mise en œuvre. Il ne faut pas se méprendre sur le contenu des mesures et procédures de conformité à adopter. Il ne s'agit pas, comme on le voit dans de nombreuses entreprises disposant d'un code ou d'une charte éthique, de proclamer quelques valeurs générales et de tenter de lutter, en interne, contre des comportements éthiquement ou pénalement répréhensibles, tels que le harcèlement, la discrimination à l'embauche, etc. Il s'agit spécifiquement pour l'entité concernée de s'assurer de la légalité de ses relations (notamment commerciales) avec l'extérieur, avec ses clients et fournisseurs surtout, en normalisant autant que possible la manière dont elles doivent être établies, entretenues et rompues. C'est notamment la raison pour laquelle la loi impose d'établir et de maintenir à jour une cartographie des risques d'exposition « à des sollicitations externes aux fins de corruption » et de prévoir des procédures d'évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires, au regard de la cartographie des risques.
Les entreprises doivent elles-mêmes s'assurer de la légalité de leurs relations commerciales avec l'extérieur.
La nécessité de s'interroger sur la manière dont doivent être régies les relations avec les tiers implique une réflexion globale, concernant tous les métiers de l'entreprise. Rappelons à cet égard que l' 2 fait peser les obligations qu'il pose sur les dirigeants, afin de s'assurer que la lutte contre les faits de corruption et de trafic d'influence est conduite au plus haut niveau.
Dans ce contexte, il convient de réunir une équipe transversale, en charge du suivi et de la validation des documents et mesures prévues à l' 2. Cette équipe devrait, selon nous, réunir les directions en charge des activités juridiques (eu égard aux objectifs précis de la 2) ; de l'éthique et de la conformité (afin que les documents et mesures exigés par la loi s'insèrent harmonieusement dans les documents existants) ; des ressources humaines et de la RSE (puisque la consultation des institutions représentatives du personnel sera nécessaire) ; ainsi que des principaux métiers de l'entreprise mettant en relation ses représentants et les tiers (clients, fournisseurs, etc. ) afin que le comité puisse s'assurer de la soutenabilité pratiqu@e des règles adoptées.
Cette équipe - qui peut par exemple prendre la forme d'un comité de pilotage - joue un rôle essentiel de maîtrise d'ouvrage du projet. Elle valide les étapes d'élaboration des documents, qui sont présentés ensuite aux instances représentatives du personnel et à la gouvernance de l'entreprise. Elle doit regrouper à un niveau élevé les représentants des directions concernées de l'entreprise, afin que son pouvoir de validation soit réel.
Le contrôle de l'Agence française anticorruption
Les mesures de lutte contre la corruption et le trafic d'influence devront être mises en œuvre sous le contrôle de l'Agence française anticorruption (AFA). Son directeur pourra émettre des avertissements, et sa commission des sanctions enjoindre aux sociétés et à leurs dirigeants de se mettre en conformité. Il pourra, le cas échéant, leur infliger des sanctions administratives pouvant respectivement aller jusqu'à 1 million d'euros ou 200 000 euros. Ces sanctions pourront faire l'objet d'un recours de pleine juridiction.
L'AFA n'aura toutefois pas qu'une fonction répressive. Elle est aussi chargée par le législateur d'élaborer des recommandations destinées notamment à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption et de trafic d'influence ( 2). Le précise en outre qu'elle doit assurer des actions de formation, de sensibilisation et d'assistance à cette fin. L'AFA devrait donc jouer un rôle central dans la mise en œuvre, par les entreprises et les établissements publics concernés, des obligations prévues par l' 2.

