«Tous propriétaires ! » Nicolas Sarkozy a remis au goût du jour le slogan, brandi dans les années 1970 par Valéry Giscard d’Estaing. Or, concrètement, pour ceux qui achètent en immeuble, ce « tous propriétaires » signifie « tous copropriétaires ». La nuance est lourde de conséquences. Car, non content de supporter l’entretien de son bien, le nouvel arrivant devra aussi assumer celui des parties communes de l’immeuble dans lequel il va habiter. Des parties communes chargées d’histoire. Si le bien a été construit depuis plusieurs années, a-t-il été régulièrement entretenu ? A-t-il subi des sinistres ? A-t-il fait l’objet de remise aux normes de ses installations ? La toiture, le chauffage sont-ils neufs ? Des questions à se poser impérativement avant tout achat. D’autant qu’à cet entretien classique, s’ajoutent d’autres obligations induites par les gouvernements successifs au nom de la protection de la santé (amiante, plomb, radon, accessibilité…), de celle du bâti (termites) et plus récemment, du développement durable. Il s’en suit des frais supplémentaires, difficiles à assumer en ces temps de fléchissement du pouvoir d’achat.
Le fiasco des ascenseurs
La modernisation en quinze ans des 270 000 ascenseurs du parc résidentiel français – dont 166 000 dans des immeubles en copropriété – défraie la chronique depuis plusieurs mois. L’incapacité des ascensoristes à réaliser les travaux dans les temps a contraint le gouvernement à retarder de deux ans et demi la première des trois phases de rénovation : fin 2007, six mois avant l’expiration du premier délai fixé par la loi, la modernisation d’un quart seulement du parc était lancée.
Manque de main-d’œuvre, retards des devis, lenteur des prises de décision dans les copropriétés… tout a été dit sur les raisons du retard pris par le programme de modernisation, qui s’avère bien plus coûteux que prévu pour les copropriétaires : 7 à 8 milliards d’euros, selon Jean-Pierre Bardy, sous-directeur en charge de la qualité et du développement durable à la DGUHC. Soit le double quasiment des 4 milliards estimés par le gouvernement en 2003… Cette réévaluation donne raison aux spécialistes qui, à l’époque, estimaient déjà à 8 milliards le montant des travaux (1).
Concrètement, si l’on en croit la fédération des ascenseurs, la dépense moyenne par appareil s’élevait en 2007 à 19 000 euros. Soit un chiffre bien plus élevé que les 10 145 euros avancés en 2003. « Si les budgets consacrés à ces travaux sont plus importants que l’estimation initiale correspondant aux seuls dix-sept risques majeurs (NDLR : identifiés dans la loi), c’est que certains propriétaires décident de réaliser des travaux complémentaires aux obligations légales », se défend la fédération. Mais, aussi, parce que certaines copropriétés auraient devancé l’exécution de la deuxième phase de travaux, qu’ils ont couplée avec la première.
Grenelle : un effet ascenseurs
En tout cas, le dossier des ascenseurs a des effets induits, si l’on en croit Bruno Dhont, directeur de l’ARC (Association des responsables de copropriété). « Depuis cinq ans, les députés se sont tellement fait remonter les bretelles à propos des ascenseurs qu’ils ne veulent plus d’obligation. Idem pour les hauts fonctionnaires qui ont freiné des quatre fers lors du Grenelle de l’environnement », évitant ainsi qu’il y ait des normes imposées en matière énergétique sur le parc existant. Ce que déplore l’ARC, qui se déclare favorable à ce qu’elle considère comme « de bonnes obligations ».
De fait, si un objectif de réduction de 38 % de la dépense énergétique du parc existant est affiché dans le projet de loi d’orientation, très peu de choses sont dites sur les moyens d’y arriver. Et l’on ne retrouve guère l’esprit qui avait animé le comité opérationnel dirigé par Philippe Pelletier dont la logique était « d’aider d’abord, contraindre ensuite »… En tous cas, jusqu’ici. Car on ne connaît à ce jour que le premier texte du Grenelle de l’environnement et l’habitat fera l’objet, d’ici à l’automne prochain, d’une loi d’application. Lorsque l’on sait que la facture, pour remettre les logements à niveau énergétique, oscille entre 15 000 et 30 000 euros, selon les sources, on peut se demander si les propriétaires – et parmi eux, les copropriétaires – vont éviter de dépenser beaucoup d’argent.
2013 : le plomb dans l’eau
Car les copropriétaires sont susceptibles d’avoir à financer encore d’autres travaux, induits par l’obligation de réduire, en 2013, la teneur en plomb de l’eau. Une obligation arrivée tout droit de Bruxelles qui a suscité de beaux débats entre scientifiques et pourrait induire entre 640 euros et 1 000 euros de travaux par logement, si l’on en croit un chiffrage vieux déjà de huit ans (2). « C’est enterré », assure Bruno Dhont. Toujours à cause de l’effet ascenseurs.
« Sur les réseaux intérieurs des immeubles, il n’y a pas en soi d’obligation de travaux mais il faudra respecter une certaine teneur en plomb » à la sortie du robinet, résume Jean-Pierre Bardy. Pour le moment, les travaux se font sur les canalisations extérieures. « Une fois que ces travaux auront été réalisés, les gens auront intérêt à mesurer cette teneur à leur robinet », avertit-il.
En réalité, explique Thierry Deveau, directeur du pôle immobilier chez Tagerim, « il n’y a pas de méthode physique, validée par la Commission européenne, sur laquelle tout le monde devra s’aligner » pour calculer la teneur en plomb de l’eau.
En attendant, toujours dans ce chapitre, les copropriétés devront réaliser avant le 12 août 2008, un constat de risque d’exposition au plomb (Crep), repérant les peintures contenant du plomb et leur dégradation dans les parties communes des immeubles construits avant le 1er janvier 1949. Une petite dépense de plus pour les copropriétaires.
On peut citer aussi la mise en accessibilité des logements existants. Mais elle ne s’appliquera qu’en cas de très gros travaux dans les parties communes, au-dessus d’un seuil fixé par décret. Dans quelle mesure ce seuil sera-t-il atteint en cas de remise à niveau énergétique d’un immeuble ? Cela reste à calculer.
Face à cette avalanche de travaux, les copropriétaires ont tendance à faire le gros dos et à reporter les dépenses. Il est clair aussi que les travaux obligatoires chassent le reste de l’entretien : pendant qu’ils remettent aux normes leurs ascenseurs, ils évitent de faire le ravalement ou de repeindre la cage d’escalier. Faute d’argent.
Ni prévision, ni provision
Les copropriétés sont loin d’établir un plan de patrimoine raisonné, étayé par des avis techniques, lissant sur plusieurs années l’entretien de leur bien. Les syndics sont unanimes là-dessus. « Parler de plan de patrimoine est bien ambitieux. Il faut beaucoup de pédagogie », estime par exemple Arnaud Bazire, directeur général délégué du pôle Services chez Nexity.
« Les copropriétaires ont du mal à prévoir les travaux, car il n’y a pas d’obligation d’épargne à l’avance », explique Danielle Dubrac, vice-présidente de la Cnab. Plus fondamentalement, « on fait les choses dans l’urgence. Il n’y a pas de notion de responsabilité collective. Le copropriétaire sent bien qu’il est responsable de sa partie privative mais pas des parties communes », ajoute-t-elle.
De son côté, Thierry Deveau, assure qu’il est moins difficile d’assumer les travaux dans une grande copropriété que dans une petite, car la quote-part de chacun est moins élevée même si le montant des travaux est plus cher. « Les grosses copropriétés seront plus enclines à mettre en place un plan pluriannuel de travaux, de faire appel à l’étude d’un architecte et à une évaluation. Heureusement, car les techniciens savent qu’il faut faire refaire tous les vingt-cinq ans le bitume d’une terrasse, par exemple ».
Toutefois, le président de la Cnab, Serge Ivars, regrette que « la copropriété n’est pas majeure » : « Les copropriétaires attendent les obligations. Ils réalisent alors qu’il y a beaucoup à faire. » « En fait, résume-t-il, le copropriétaire préfère faire des travaux dans son appartement. Mais le budget pour les parties communes est toujours jugé excessif. »
Il déplore le sort fait en son temps au carnet d’entretien qui « aurait pu être un outil prospectif permettant d’anticiper l’état du bâti » s’il avait été adossé à un fonds de prévoyance obligatoire. « C’est finalement devenu un carnet de santé qui fait un constat. (…) À l’époque, on nous a accusés de vouloir faire de l’argent sur les copropriétés », regrette-t-il.
Pourcentage des travaux
Car, immanquablement, dès que l’on parle de travaux dans les copropriétés, on tombe sur la question de la rémunération des syndics au pourcentage. Elle empoisonne le dossier. Serge Ivars est sans illusion sur cette « réputation qui veut que les syndics poussent à l’exécution de travaux parce que c’est leur intérêt ». « Nous sommes dans une position très délicate car nos clients nous soupçonnent toujours d’être juges et parties », reconnaît Arnaud Bazire.
« On confond la cause et la conséquence », s’élève Serge Ivars avant de déplorer une fois de plus la médiocrité des honoraires de gestion courante des syndics. Un thème sur lequel la profession est intarissable : « A Paris il faut compter dans une copropriété de 25 lots, 130 euros HT par logement. Si vous ne donnez au syndic que 100 euros d’honoraires, il rajoutera des frais annexes », explique l’un d’eux. Et l’opération vérité sur les tarifs que les pouvoirs publics tentent de parrainer avec le nouveau contrat commence à peine à se mettre en place.
Serge Ivars s’est déjà déclaré ouvert à une discussion sur la rémunération au pourcentage sur les travaux induits par les grandes causes nationales, comme le développement durable, la lutte contre le saturnisme ou les ascenseurs. Arnaud Bazire, aussi, se dit prêt à ouvrir le dossier : « Je ne suis pas hostile à ce qui permet d’éclairer notre situation dans la relation avec nos clients », assure-t-il avant d’ajouter : « S’il doit y avoir une discussion pour un mode de rémunération sur ces sujets, je suis ouvert. »
Car, faute d’aborder en face la question du financement de ces travaux et d’aider sérieusement les copropriétaires, on risque au final de voir l’état des bâtis se dégrader. Ce qui contraint alors d’agir dans l’urgence et de régler des factures plus élevées… une spirale absurde.
