Coopération transfrontalière Un laborieux projet d’incinérateur franco-espagnol

Les territoires transfrontaliers constituent un laboratoire par excellence de l’intégration communautaire. C’est ce que montre le projet de construction d’un incinérateur entre les deux municipalités espagnoles d’Irun et de Fontarrabie, et la commune française d’Hendaye. Si ce projet aboutissait, il permettrait de réaliser des économies d’échelle en mutualisant les compétences. Mais vérité en deçà des Pyrénées…

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La coopération transfrontalière entre les collectivités territoriales de France et d’Espagne trouve son fondement juridique dans la convention-cadre européenne du 21 mai 1980 et dans le traité de Bayonne du 15 mars 1995. Sa portée est très large : elle englobe toutes les compétences communes reconnues par les droits français et espagnol aux collectivités territoriales. Il en va ainsi de la création et de la gestion des équipements et services publics.

Les communes espagnoles d’Irun et de Fontarrabie (Hondarribia) et la commune française d’Hendaye ont ainsi débuté un processus aboutissant à la signature d’une convention de coopération transfrontalière en décembre 1998. Ainsi fut créé le consorcio transfrontalier Bidasoa-Txingudi, qui a permis la réalisation de diverses actions et manifestations de coopération soutenues par les programmes communautaires Interreg. A partir de 2002, ce processus prit une dimension nouvelle avec l’élaboration d’un « Plan transfrontalier de gestion des déchets ménagers ». L’objectif de ce plan était triple : identifier les zones de production des déchets ; établir des positions communes en matière de recyclage, compostage et valorisation et enfin, choisir les infrastructures nécessaires au traitement des déchets.

convention de coopération transfrontalière

Une convention de coopération transfrontalière a été signée en avril 2003 entre l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) du Txingudi – préexistant et regroupant les deux communes espagnoles précitées – et la commune d’Hendaye, relative à l’utilisation conjointe d’une installation de traitement des déchets ménagers et assimilés. Cet accord marque un tournant important : il crée le premier service public transfrontalier de traitement des déchets et met en œuvre, à l’échelle transfrontalière, la politique communautaire en la matière (1).

Confortés par l’article 3, paragraphe 4 du traité de Bayonne qui offre expressément une base juridique à la création et à la gestion d’équipements et de services publics communs, l’EPCI du Txingudi et la commune d’Hendaye, forts d’une population globale de 84 028 habitants (2) et produisant 59 048 tonnes de déchets urbains (3), tous deux compétents dans la gestion des déchets ménagers et assimilés, ont convenu de construire et d’exploiter une installation d’incinération pour leurs déchets urbains.

Un prestataire de services unique

La convention de coopération met en place, sur le territoire espagnol, un unique prestataire de services, l’établissement public de coopération intercommunale du Txingudi, pour les trois communes. Elle ne crée pas de nouvelle structure telle que celles proposées par le traité de Bayonne (4). Ce choix était principalement guidé par deux raisons.

Les limites du droit espagnol.Le droit espagnol n’autorise pas l’adhésion d’une collectivité territoriale étrangère à un EPCI ou à une société publique de gestion. Notamment, la loi 57/2003 du 16 décembre 2003 portant mesures pour la modernisation de l’administration locale s’est bornée à incorporer au droit interne le consorcio transfrontalier déjà proposé par le traité de Bayonne.

Cette difficulté pourrait être surmontée si, à l’occasion de la réforme actuellement en cours en Espagne, est adopté en l’état l’avant-projet de loi sur le régime de l’administration locale (5), qui intègre l’EPCI transfrontalier parmi les instruments à la disposition de l’action extérieure des collectivités locales.

De cette façon, le législateur espagnol pourrait tirer profit des progrès réalisés par différents Etats de l’Union européenne en matière de coopération transfrontalière. Ainsi, la France, par l’adoption de la loi du 13 août 2004 sur les responsabilités et libertés locales, a généralisé dans son droit interne le « district européen » (au régime proche du syndicat mixte) proposé jusque-là par le seul accord de Karlsruhe relatif à la coopération transfrontalière entre collectivités de France, d’Allemagne, du Luxembourg et de Suisse.

Cet outil permet la participation de collectivités françaises et étrangères au sein d’un même EPCI existant, ayant en charge la création et la gestion d’équipements et services publics. Cela évite de superposer des organes strictement affectés à la coopération transfrontalière à des structures déjà en activité.

Eu égard aux limites du droit espagnol au moment de la signature de la convention, les trois collectivités concernées ont donc opté pour une voie médiane. La commune d’Hendaye se voit attribuer un droit de participation et d’information mais non un droit de vote aux organes de direction et d’administration de l’EPCI du Txingudi et de sa société de gestion. Cette solution intermédiaire reste perçue comme une solution d’attente, au regard même de la convention transfrontalière.

Le recours à une structure déjà existante.Les acteurs locaux ont préféré faire usage des structures déjà en place, compte tenu des capacités techniques et économiques de l’EPCI du Txingudi. En charge d’un vaste bassin de population, il gère déjà, à travers sa société de gestion, d’importantes infrastructures dans la distribution de l’eau et de l’assainissement et le traitement des déchets ménagers et assimilés. Il disposait donc, avant même le lancement du projet, de la surface technique et administrative suffisante pour conduire un projet d’incinération. La responsabilité de la construction et de l’exploitation de l’installation est confiée à la société publique détenue à 100 % par l’EPCI du Txingudi.

Considérée comme une modalité de gestion directe des services publics, l’attribution des missions de services publics à la société publique n’est pas, en vertu du droit espagnol, soumise au droit des marchés publics.

En contrepartie, et conformément à la disposition additionnelle sixième du décret-loi 5/2005, la société publique doit respecter les principes de publicité et de mise en concurrence dans le cadre de la passation de ses marchés, sous peine d’incompatibilité. Cette exception posée par le droit national n’exclut cependant pas l’application du droit communautaire des marchés publics aux sociétés publiques locales, dans la mesure où celles-ci sont considérées comme relevant de la catégorie juridique des entités adjudicatrices.

Une durée de vingt-cinq ans

La convention est signée pour une période de vingt-cinq ans, alors que la durée des conventions de coopération transfrontalière est, en principe, de dix ans en vertu du traité de Bayonne. Cette durée exceptionnelle se justifie par la lourdeur des amortissements à réaliser.

Une clause d’exclusivité garantit de manière pérenne la viabilité financière de l’incinérateur. La commune d’Hendaye s’engage en effet à ne pas utiliser, même partiellement, pendant toute la durée de la convention une autre installation de traitement des déchets ménagers.

Le financement des investissements pour la construction et l’exploitation de la structure est, pour sa part, fonction des quantités de déchets produites par les différentes parties à la convention telles qu’exposées dans le Plan transfrontalier des déchets ménagers. Sur cette base, la commune d’Hendaye assumera 27,64 % du coût de l’opération tandis que l’EPCI du Txingudi en prendra en charge 72,36 %.

Enfin, le projet étant réalisé en Espagne, sous la responsabilité d’un EPCI espagnol, c’est le droit espagnol qui est applicable en la matière, tout comme sont compétents les tribunaux espagnols.

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