Jurisprudence

Contrats publics Avis de tempête sur l’aménagement

Le 18 janvier 2007, la Cour de justice des Communautés européennes a requalifié une convention d’aménagement en un marché public. Cette décision fait peser une menace sur certaines conventions conclues avant la réforme de 2005. Timothy Millett présente la solution adoptée par la Cour. Nicolas Charrel et Laurent Ducroux analysent cette importante décision et Jean-Marc Peyrical répond au « Moniteur ».

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DESSIN - RGL 5385ouv2.eps
Marchés publics

En 2002, la commune de Roanne a décidé, pour développer le quartier de la gare, d’y créer un pôle de loisirs comprenant un multiplexe cinématographique, des locaux commerciaux, un parc de stationnement public, des voies d’accès et des espaces publics. Le cinéma et les locaux commerciaux avaient vocation à être cédés à des tiers. La construction d’autres locaux commerciaux et d’un hôtel était envisagée ultérieurement.

Pour cette opération, la commune a engagé une société d’économie mixte d’aménagement, la Société d’équipement du département de la Loire (SEDL), pour procéder à des acquisitions foncières, rechercher des fonds, procéder à des études, organiser un concours d’architecture et d’ingénierie, réaliser les travaux de construction, commercialiser les ouvrages et assurer la coordination de l’opération ainsi que l’information de la commune.

Aux termes de la convention conclue à cet effet, toute attribution de travaux par la SEDL était soumise aux exigences de transparence et de mise en concurrence prévues par le Code français des marchés publics. La commune devait financer seulement une partie du coût ; la SEDL devait tirer des recettes importantes de la cession de certains bâtiments à des tiers.

Certains membres du conseil municipal, estimant que cette convention aurait dû faire l’objet d’une publicité et d’un appel d’offres préalables, ont demandé au tribunal administratif de Lyon d’annuler la décision de la commune. Ce tribunal a posé à la CJCE trois questions portant sur l’interprétation de la directive 93/37/CEE du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, visant à savoir si la convention entre la commune de Roanne et la SEDL était soumise aux procédures de passation prévues par cette directive.

Contrat visant la réalisation d’un ouvrage. La première question est de savoir si la convention d’aménagement constitue un marché public de travaux au sens de la directive. En réponse, la CJCE commence par rappeler que la directive définit un marché public de travaux comme un contrat à titre onéreux, conclu par écrit entre un entrepreneur et un pouvoir adjudicateur et ayant pour objet, notamment, la conception et l’exécution de travaux ou d’un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur. Un ouvrage est défini comme le résultat d’un ensemble de travaux destiné à remplir une fonction économique ou technique.

La Cour relève que, même si la convention conclue avec la SEDL comporte des éléments de services, tels que l’acquisition foncière et la commercialisation des bâtiments, son objet principal consiste en la réalisation d’un pôle de loisirs, à savoir un « ouvrage » au sens de la directive. En effet, la réalisation du pôle de loisirs est destinée à l’accueil d’activités commerciales et de services, de sorte qu’elle doit être considérée comme remplissant une fonction économique. Ce projet répond dans son ensemble aux besoins précisés par la commune de Roanne, visant à redynamiser le quartier de la gare. Cette constatation n’est pas remise en cause du fait que certains bâtiments faisant partie de l’ouvrage sont voués à la cession à des tiers.

La CJCE précise qu’il n’est pas exigé que la personne qui conclut le contrat avec un pouvoir adjudicateur soit elle-même en mesure de réaliser directement la prestation convenue avec ses propres ressources. Il est donc indifférent que la SEDL n’exécute pas elle-même les travaux et les fasse exécuter par des sous-traitants.

La Cour en conclut que cette convention doit être qualifiée de marché public de travaux au sens de la directive.

Apprécier la valeur globale du marché. La seconde question du tribunal administratif de Lyon vise à savoir si la valeur de la convention doit être limitée à certains montants à verser directement par la commune, de sorte qu’éventuellement elle n’atteindrait pas le seuil d’application de la directive.

La CJCE rejette cette hypothèse. Elle rappelle que le but de la directive est de garantir aux soumissionnaires potentiels dans les Etats membres l’accès aux marchés publics qui les intéressent. Pour évaluer si un marché l’intéresse, un soumissionnaire potentiel s’attache à la valeur globale de celui-ci (et non pas à la fraction du marché directement financé par le pouvoir adjudicateur). La CJCE en déduit qu’il convient de prendre en compte la valeur totale du marché de travaux du point de vue d’un soumissionnaire potentiel, ce qui comprend non seulement l’ensemble des montants que le pouvoir adjudicateur aura à payer mais aussi toutes les recettes qui proviendront des tiers.

La qualification de « in house » écartée. La troisième question cherche à savoir si la commune de Roanne n’est pas dispensée de recourir aux procédures de passation prévues par la directive du fait que la SEDL est elle-même tenue d’appliquer ces procédures pour passer d’éventuels marchés subséquents.

La Cour exclut une telle dispense pour deux raisons. D’une part, la ne prévoit pas expressément d’exception à cet effet (1). D’autre part, étant donné que la SEDL est une société d’économie mixte, au capital de laquelle participent des fonds privés, l’opération ne saurait être qualifiée d’interne (in house) au sens de la jurisprudence Teckal (2). Elle conclut donc qu’un pouvoir adjudicateur n’est pas dispensé de recourir aux procédures de passation prévues par la directive au motif que, selon le droit national, la convention ne peut être conclue qu’avec certaines personnes morales, qui sont elles-mêmes tenues d’appliquer ces procédures pour passer d’éventuels marchés subséquents.

Par cet arrêt, la CJCE établit clairement que, dès lors qu’elles en atteignent le seuil d’application, les conventions publiques d’aménagement au sens du droit français sont soumises aux procédures de passation prévues par la directive communautaire sur les marchés publics de travaux.

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