Contrats : la Cour de cassation peaufine le cadre juridique de la sous-traitance

Risques de défaut de paiement, obligations imposées par la loi de 1975 et appréciation du préjudice : la jurisprudence poursuit son œuvre protectrice.

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
PHOTO - 4533_234658_k2_k1_560347.jpg

Avant 1975, en raison de l'indépendance juridique du sous-contrat conclu par rapport au contrat principal, le sous-traitant ne pouvait, notamment en cas d'insolvabilité de son donneur d'ordres, obtenir du bénéficiaire final de sa prestation - le maître d'ouvrage - le paiement de celle-ci. La , typiquement française, est venue protéger les sous-traitants contre le défaut de paiement de l'entrepreneur principal. Ce texte a vocation à s'appliquer tant aux marchés publics qu'aux marchés privés de travaux et régit les modalités de paiement et les recours mis à la disposition du sous-traitant à l'encontre non seulement de l'entrepreneur mais aussi du maître d'ouvrage.

La jurisprudence joue également un rôle important dans la protection des sous-traitants. La Cour de cassation est venue récemment mettre en exergue et clarifier un certain nombre de principes essentiels en la matière. Voici un rappel des règles applicables, éclairé par les dernières évolutions jurisprudentielles.

La qualification de la sous-traitance

Il résulte de l'article 1er de la loi de 1975 qu'a la qualité de sous-traitant celui qui exécute, au moyen d'un contrat d'entreprise, tout ou partie d'un contrat d'entreprise conclu entre le maître d'ouvrage et l'entrepreneur principal. Ainsi, cette loi n'a vocation à s'appliquer que dans le contexte d'une opération tripartite entre d'une part, le maître d'ouvrage et l'entrepreneur lié contractuellement, et ce même entrepreneur et le sous-traitant d'autre part, sans qu'aucun lien contractuel ne lie ce dernier au maître d'ouvrage.

De plus, en vertu de l'article 2 de la loi, le sous-traitant peut être lui-même considéré comme un entrepreneur principal à l'égard de ses propres sous-traitants. Autrement dit, la loi s'applique également aux divers degrés de sous-traitance auxquels les projets de construction peuvent donner lieu. Tel est le cas, par exemple, pour une société qui s'est vu confier une partie des tâches de démolition et terrassement incombant à un sous-traitant, consistant en l'évacuation, le transport et le traitement des terres excavées, en mettant en œuvre des compétences techniques et logistiques complexes, de sorte que son intervention ne pouvait être réduite à la fourniture de bennes ou à l'évacuation en déchetterie (, publié au Bulletin). Les juges ont pu en déduire que cette société a la qualité de sous-traitant de second rang.

Les obligations imposées à l'entrepreneur principal et au maître d'ouvrage

Aux termes de l'article 3 de la loi de 1975, l'entrepreneur principal est tenu de faire accepter chacun de ses sous-traitants et de faire agréer leurs conditions de paiement par le maître d'ouvrage. Dans le cas où le projet donnerait lieu à une sous-traitance en chaîne, tous les sous-traitants doivent de la même façon déclarer et faire accepter leurs propres sous-traitants. En marchés privés, l'article 14, alinéa 1er , de ladite loi impose, lui, à l'entrepreneur principal de fournir à son sous-traitant soit une caution bancaire, soit une délégation du maître d'ouvrage, afin de lui garantir les paiements des sommes dues.

Enfin, il peut être également rappelé que juridiquement, l'entrepreneur principal a l'obligation de répondre des fautes et faits de son sous-traitant. En effet, il est responsable, à l'égard du maître d'ouvrage, des manquements de son sous-traitant commis dans l'exécution des prestations sous-traitées, sans qu'il soit besoin de démontrer sa propre faute. Toutefois, l'entrepreneur principal n'a pas à garantir le maître d'ouvrage des condamnations prononcées contre lui au profit du sous-traitant de second rang sur le fondement de l'article 14-1 de la loi de 1975. C'est ce que rappelle la Cour de cassation dans l'arrêt précité du 18 janvier dernier.

Mise en demeure par le maître d'ouvrage. Par ailleurs, pour mémoire, en vertu de l'article 14-1 de la loi de 1975, le maître d'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant, mettre l'entrepreneur principal en demeure de s'acquitter des obligations qui lui incombent. Dans le cas où le sous-traitant est accepté et que ses conditions de paiement ont été agréées, le maître d'ouvrage doit exiger de l'entrepreneur principal, si le sous-traitant ne bénéficie pas d'une délégation de paiement, qu'il justifie avoir fourni la caution.

Le paiement du sous-traitant

Lorsque tant l'entrepreneur principal que le maître d'ouvrage ont satisfait à leurs obligations précitées, le sous-traitant va disposer de certains moyens d'action en cas de défaut de paiement.

S'agissant des marchés publics, l'article 6 de la loi de 1975 impose au maître d'ouvrage de payer directement le sous- traitant dès lors que le montant du contrat de sous-traitance est supérieur à un seuil fixé à 600 euros. Aux termes de l'article 7 de cette même loi, le sous-traitant ne peut renoncer à ce paiement direct et, selon l'article 8, l'entrepreneur dispose d'un délai de quinze jours pour accepter ou opposer un refus motivé aux pièces justificatives servant de base au paiement. Passé ce délai, ce dernier est réputé avoir accepté celles des pièces justificatives ou des parties de pièces justificatives qu'il n'a pas expressément acceptées ou refusées.

S'agissant des marchés privés, en l'absence de délégation de paiement, l'entrepreneur principal paie son sous-traitant pour les prestations qu'il a réalisées. En cas de défaut de paiement, le sous-traitant peut, en vertu de l'article 12 de la loi, engager une action directe contre le maître d'ouvrage, dans la limite du montant dû par celui-ci à l'entrepreneur. Etant précisé que le sous-traitant ne peut renoncer à cette action directe, selon ce même article. Il doit mettre en demeure l'entrepreneur principal de payer (il est fortement conseillé à ce titre que la mise en demeure soit adressée par lettre recommandée avec accusé de réception) et adresser au maître d'ouvrage une copie de sa mise en demeure. Si l'entrepreneur principal ne paie pas, un mois après en avoir été mis en demeure, les sommes qui sont dues en vertu du contrat de sous-traitance doivent être versées par le maître d'ouvrage.

   L'entrepreneur principal n'a pas à garantir le maître d'ouvrage des condamnations prononcées contre lui au profit du sous-traitant de second rang.

Si l'entrepreneur principal a déposé le bilan, il est conseillé au sous-traitant de déclarer sa créance auprès du représentant des créanciers. Toutefois, il n'est pas dans l'obligation d'accomplir cette démarche, puisque l'action directe subsiste quand bien même l'entrepreneur principal a déposé le bilan. Comme prévu par la loi de 1975, le sous-traitant devra dans un tel cas mettre en demeure de payer l'entrepreneur principal, c'est-à-dire l'administrateur judiciaire lorsque celui-ci est le seul représentant légal de l'entreprise, ou le liquidateur en cas de liquidation judiciaire.

Sous-traitance en chaîne. Enfin, en cas de sous-traitance en chaîne, les sous-traitants peuvent exercer l'action directe de la même manière et sans distinction selon leur rang. En effet, cette action directe s'exerce à l'encontre du maître d'ouvrage, qui reste toujours le même, quel que soit le rang des sous-traitants. Conformément à l'article 12 de la loi de 1975, c'est donc au maître d'ouvrage, destinataire final des travaux, qu'il convient d'adresser la copie de la mise en demeure.

Ces actions n'existent pas lorsque l'entrepreneur principal et/ou le maître d'ouvrage ont manqué aux obligations précitées.

Quid en cas de manquement de l'entrepreneur principal à ses obligations…

La Cour de cassation a pu préciser que, d'une part, la violation de la procédure d'acceptation du sous-traitant et d'agrément de ses conditions de paiement confère à celui-ci une faculté de résiliation unilatérale de son contrat pendant toute sa durée. Et que, d'autre part, à défaut de délivrance d'un cautionnement personnel et solidaire, préalable ou concomitant à la conclusion du contrat de sous-traitance, le sous-traitant peut solliciter la nullité de son contrat. A défaut de mise en œuvre de l'une de ces deux sanctions (la résiliation du contrat en application de l'article 3 de la loi de 1975 ou la nullité du sous-traité en application de l'article 14), la Cour de cassation énonce que le contrat doit recevoir application (, Bull.).

Autrement dit, la résiliation et la nullité sont des sanctions exclusives de toute autre en cas de manquement par l'entrepreneur principal aux obligations de la loi de 1975. La possibilité alternative pour le sous-traitant de suspendre l'exécution de ses obligations ne lui est, par exemple, pas ouverte.

… et de manquement du maître d'ouvrage

En vertu de l', le sous-traitant est fondé à rechercher la responsabilité quasi délictuelle du maître d'ouvrage qui ne s'est pas conformé à ses obligations en matière de sous-traitance en rapportant la preuve de son préjudice.

Selon la Cour de cassation, le manquement du maître d'ouvrage qui, ayant eu connaissance de l'existence d'un sous-traitant sur un chantier, s'est abstenu de mettre en demeure l'entrepreneur principal de s'acquitter des obligations qui lui incombent en lui présentant le sous-traitant, fait perdre à celui-ci le bénéfice de l'action directe. Tel était le cas dans l'arrêt en date du 18 janvier 2024 précité. Dans ce cas, le préjudice du sous-traitant s'apprécie au regard de ce que le maître d'ouvrage restait devoir à l'entrepreneur principal à la date à laquelle il a eu connaissance de la présence de celui-ci sur le chantier ou des sommes qui ont été versées à l'entreprise principale postérieurement à cette date.

En revanche, lorsque le sous-traitant est agréé et que ses conditions de paiement ont été acceptées, le manquement du maître d'ouvrage à son obligation d'exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie, sauf délégation de paiement, avoir fourni une caution, le prive du bénéfice du cautionnement ou de la délégation de paiement lui assurant le complet paiement du solde de ses travaux. Tel était le cas dans un arrêt en date du 7 mars. Le préjudice réparable est alors égal à la différence entre les sommes que le sous-traitant aurait dû recevoir si une délégation de paiement lui avait été consentie ou si un établissement financier avait cautionné son marché et celles effectivement reçues (, Bull.).

Absence de limitation du préjudice aux travaux autorisés par le maître d'ouvrage

Aux termes de cet arrêt du 7 mars 2024, afin de limiter la demande indemnitaire du sous-traitant à l'encontre du maître d'ouvrage, une cour d'appel avait jugé que le préjudice subi par le sous-traitant du fait de cette faute correspondait au montant de sa créance de travaux impayés, à l'exclusion des travaux supplémentaires dont les devis n'avaient pas été validés par la maîtrise d'ouvrage, ainsi que d'une rémunération complémentaire, qui n'avait pas été justifiée par le bouleversement de l'économie du contrat du fait d'un tiers, ni validée par la maîtrise d'ouvrage ().

Toutefois, selon la Cour de cassation, en statuant ainsi, alors que l'indemnisation accordée à un sous-traitant agréé et accepté, mais ne bénéficiant pas d'une garantie de paiement, est déterminée par rapport aux sommes restant dues par l'entrepreneur principal au sous-traitant, peu important que les travaux aient été acceptés par le maître d'ouvrage dès lors qu'ils avaient été confiés au sous-traitant pour l'exécution du marché principal, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Ainsi, les sous-traitants confrontés à des risques de défauts de paiement ont plus qu'intérêt à invoquer les dispositions protectrices de cette loi de 1975, dont l'application est par ailleurs préservée et appréciée en faveur des sous-traitants par la jurisprudence.

Ce qu'il faut retenir

  • L'entrepreneur doit, d'une part, faire accepter chacun de ses sous-traitants et faire agréer leurs conditions de paiement par le maître d'ouvrage, et d'autre part, fournir à son sous-traitant soit une caution bancaire, soit une délégation du maître d'ouvrage afin de garantir les paiements des sommes dues.
  • A défaut, le sous-traitant peut respectivement résilier unilatéralement le contrat et/ou soulever sa nullité.
  • Le maître d'ouvrage doit, dès lors qu'il a connaissance de la présence d'un sous-traitant sur le chantier, mettre l'entrepreneur principal en demeure de s'acquitter des obligations qui lui incombent. Dans le cas où le sous-traitant est accepté et que ses conditions de paiement ont été agréées, il doit exiger de l'entrepreneur principal, si le sous-traitant ne bénéficie pas d'une délégation de paiement, qu'il justifie avoir fourni la caution.
  • A défaut, le sous-traitant peut engager la responsabilité délictuelle du maître d'ouvrage.
  • Et solliciter respectivement soit les sommes que le maître d'ouvrage restait devoir à l'entrepreneur principal à la date à laquelle il a eu connaissance de la présence de celui-ci sur le chantier ou des sommes qui ont été versées à l'entreprise principale postérieurement à cette date ; soit la différence entre les sommes que le sous-traitant aurait dû recevoir si une délégation de paiement lui avait été consentie ou si un établissement financier avait cautionné son marché et celles effectivement reçues.
Abonnés
Analyses de jurisprudence
Toute l’expertise juridique du Moniteur avec plus de 6000 commentaires et 25 ans d’historique
Je découvreOpens in new window
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires