L’Equerre d’argent décernée à votre Cité des métiers de Pantin a démontré l’exigence de la maison Hermès en matière d’architecture. Ce prix ne révèle-t-il pas aussi que cette ambition vaut pour tous vos bâtiments et pas seulement pour les boutiques qui sont votre vitrine ?
Nous avons historiquement chez Hermès deux métiers : la création et la fabrication d’une part et la vente de l’autre. Ces deux fonctions sont essentielles et aussi importantes l’une que l’autre, nous leur apportons donc autant de soin. Nous le faisons sans ostentation.
Sur ces différents programmes, quelles sont vos attentes ?
Dans les deux cas, notre préoccupation est d’abord fonctionnelle. Les lieux sont pensés pour un usage, la fabrication ou la vente. Sans que pour autant ce pragmatisme empêche une part de rêve. Jean-Louis Dumas [descendant du fondateur Thierry Hermès, il a été le président emblématique d’Hermès de 1978 à 2006, NDLR] disait d’ailleurs que notre maison « a les deux pieds sur terre et la tête dans les étoiles ».
Evidemment, nous ne sommes pas sur les mêmes registres selon les lieux. L’aménagement des boutiques est fondé sur la visibilité et la reconnaissance. Cela passe notamment par le recours à des codes architecturaux qui trouvent leur origine dans notre siège historique du 24, rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris (VIIIe).
Nos bâtiments de production sont, eux, attachés à leur territoire et à la spécificité de leur fonction. Qu’il s’agisse de bâtiments dans une zone d’activité de la région lyonnaise ou d’un site dans un paysage rural, la réponse architecturale sera toujours différente. La manufacture des Ardennes à Bogny-sur-Meuse en est une illustration. Le bâtiment, qui a été réalisé par l’agence Patrick Berger et Jacques Anziutti en 2005, a ainsi été construit sur pilotis en surplomb du fleuve.
Votre politique immobilière, écrite en 2008, souligne l’importance du bien-être des utilisateurs de vos bâtiments…
L’un des rôles de l’architecture est de refléter nos valeurs. Une maison d’artisanat comme la nôtre, est profondément attachée au travail bien fait et aux savoir-faire d’excellence. Nos ateliers doivent par conséquent offrir de parfaites conditions de travail. Alors les matériaux sont simples, tout comme la composition des espaces. En revanche, nous ne transigeons pas sur le confort. Par exemple, un maroquinier doit pouvoir bénéficier d’une belle lumière naturelle. Le projet pourra donc se traduire par une architecture de sheds orientés de préférence plein nord.
Par ailleurs, au-delà du simple aspect de la production, les lieux doivent être pensés pour favoriser l’échange et le partage des savoirs. Pantin, avec ses espaces de rencontres généreux en est un bel exemple.
Hermès a pris en compte ces différents aspects dès les années 2000 et nous les avons donc formalisés, et notamment la question du bien-être, dans une charte interne.
Cette politique concerne-t-elle un volume d’opération important ?
Si l’on considère les cinq dernières années, nous avons eu environ une trentaine de projets de création, de rénovation ou d’extension de boutiques par an.
En matière de lieux de production, nous menons environ quatre ou cinq projets par an, soit en construction neuve soit en transformation. Ainsi nous avons achevé, à la fin 2014, deux maroquineries : celle de la Tardoire à Montbron (Charente), réalisée par l’atelier Ardant Architectes, et la Maroquinerie iséroise, située aux Abrets (Isère) et conçue par Jean-François Schmit Architectes. Par ailleurs, nous avons lancé la transformation d’une friche de l’industrie du textile, l’ancienne usine Schwob d’Héricourt, en Haute-Saône. Cet autre chantier de maroquinerie, mené par l’architecte Michel Thouviot, sera livré à la fin de l’année.
Enfin Pascale Guédot (Equerre d’argent 2010) a livré à Pantin l’Espace Jean-Louis-Dumas, dans lequel nos responsables de magasins viendront découvrir les collections Hermès.
Comment expliquez-vous ce dynamisme immobilier ?
Il est, je crois, le reflet de la bonne croissance du groupe. De fait, jusque dans les années 1990, toutes nos activités étaient regroupées au « Faubourg », dont la construction avait été achevée en 1926. L’internationalisation du groupe à partir des années 1970 a accéléré nos besoins en surfaces supplémentaires, qui ne s’étaient jusque-là pas fait ressentir.
De quelle manière choisissez-vous les maîtres d’œuvre de vos lieux de production ?
Nous essayons de maintenir un équilibre entre des équipes avec lesquelles nous avons l’habitude de travailler et de nouveaux talents que nous découvrons lors de concours. Nous les organisons quand nos plannings nous le permettent.
Par exemple, nous apprécions de collaborer avec l’Atelier Ardant qui, avec la Maroquinerie de la Tardoire, a livré son troisième projet pour nous. Cette agence fait preuve d’une grande écoute et a une bonne compréhension de nos souhaits. Car nous ne sommes pas un maître d’ouvrage toujours facile à comprendre. Certes nos bâtiments ne sont pas d’une grande complexité technique mais, comme nous le disions auparavant, nous avons une grande exigence en matière de confort.
La Maroquinerie iséroise est, en revanche, notre première opération avec Jean-François Schmit que nous avons choisi à l’issue d’un concours. Enfin, il y a les rencontres. Ce fut le cas avec Patrick Berger mais aussi avec Renzo Piano à qui Jean-Louis Dumas avait confié la conception du bâtiment de notre siège à Tokyo, dans le quartier de Ginza, en 2001.
L’architecture intérieure de vos magasins est, elle, un cas à part…
C’est en effet l’histoire d’un couple que formaient Jean-Louis et Rena Dumas. Cette dernière a créé en 1972 Rena Dumas Architecture intérieure, RDAI, agence qui, depuis 40 ans, réalise tous nos projets de distribution et seulement ceux-là. A une exception près, puisqu’elle a été le maître d’œuvre de la Cité des métiers de Pantin. Nous n’avions pas au départ prévu de travailler avec l’agence RDAI mais le projet qu’ils ont présenté - le troisième que nous ayons vu - nous a spontanément séduits. Les architectes nous connaissent si bien qu’ils ont tout de suite compris ce que nous recherchions.
Si Hermès est un maître d’ouvrage ambitieux, c’est aussi parce qu’il en a les moyens…
Nous avons en effet les moyens d’assumer nos choix parce que nous sommes une société qui se donne du temps et, dans l’immobilier, c’est un atout formidable. Notre maison est de plus sensible à l’esthétique et, si nous sommes d’abord pragmatiques, le beau demeure pour nous un critère évident.
Enfin, Hermès est une société familiale qui a su conserver son autonomie et donc sa liberté financière. Cela ne veut évidemment pas dire que nous dépensons inconsidérément mais nous n’avons, là-dessus, de comptes à rendre à personne. Nous restons d’ailleurs toujours discrets sur les coûts de nos projets.
Toujours est-il que ces dimensions du temps, de l’esthétique et de l’indépendance financière nous permettent d’avoir une relation privilégiée à l’architecture.
