Ententes et abus
Un boom des amendes infligées en 2024. Le montant d'amendes cumulées infligées par l'Autorité de la concurrence (ADLC) a atteint 1,4 milliard d'euros l'année dernière. Un niveau record à mettre en regard du montant exceptionnellement bas enregistré en 2023 (167,6 millions d'euros).
Parmi les décisions de sanctions de l'année passée concernant les secteurs du BTP et des matériaux de construction, figurent notamment l'entente du béton préfabriqué (76,6 millions d'euros), commentée dans la précédente chronique (1), ainsi que l'affaire évoquée ci-après (470 millions d'euros).
Une entente sanctionnée dans le secteur du matériel électrique basse tension. L'ADLC a clôturé fin 2024 un dossier qui a fait couler beaucoup d'encre dès la réalisation des enquêtes, puisque ce ne sont pas des visites et saisies qui ont été pratiquées ici mais des perquisitions pénales, y compris au sein de domiciles. Dans une série d'affaires en 2017-2018, elle a en effet exploité cette voie alternative aux enquêtes administratives classiques en saisissant le Parquet de suspicions d'infractions pénales et en mettant ses enquêteurs à disposition du magistrat instructeur pour assister les officiers de police judiciaire lors de perquisitions. A l'issue de ces dernières, la jurisprudence reconnaît à l'Autorité la possibilité de demander au juge d'instruction la communication de pièces pertinentes pour l'examen des dossiers dont elle est saisie, ce qui a précisément permis ici de nourrir les griefs.
Le procédé permet au gendarme de la concurrence de recueillir des preuves en utilisant des méthodes intrusives, dans le cadre de l'article 56 du Code de procédure pénale auquel elle n'a normalement pas accès et qui prive les opérateurs économiques d'un certain nombre de droits. Les entreprises l'ont contesté dans cette affaire, sans succès à ce stade.
Les produits ici concernés sont les matériels électriques basse tension qui regroupent les équipements situés dans les bâtiments industriels comme résidentiels en aval du branchement au réseau moyenne tension. Sur ces produits, l'Autorité reproche aux deux principaux fabricants (Schneider et Legrand) d'avoir mis en place des ententes de fixation des prix de revente avec leurs principaux distributeurs (Rexel et Sonepar), dans le cadre d'un régime de réductions de prix complexe au niveau du distributeur lui-même ou du client final (dit « tarifs dérogés »).
Décision ADLC n° 24-D-09 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du matériel électrique basse tension, 29 octobre 2024.
Concentrations
Autorisation sous condition de l'opération Eiffage/Eqos. La Commission européenne a autorisé Eiffage à acquérir Eqos, un groupe allemand spécialisé dans les infrastructures énergétiques, les télécommunications et le ferroviaire. Ce rachat est toutefois conditionné à un engagement de revente de l'intégralité d'Eqos Belgium (anciennement Colas Rail Belgium) compte tenu du chevauchement de l'activité des parties sur le marché de la fourniture de services d'installation et d'entretien de caténaires ferroviaires. Le repreneur - un acteur belge de la construction déjà actif dans le secteur ferroviaire, Stadsbader - a été approuvé par la Commission européenne et a obtenu l'autorisation de l'Autorité belge de la concurrence pour cette acquisition.
Communiqué de presse de la Commission annonçant la décision M.11577 du 16 octobre 2024.
Concentrations sous les seuils : un pas en arrière, deux pas en avant. Le sujet pouvait sembler clos. Depuis de nombreux mois, autorités nationales et Commission avaient organisé la possibilité de contester les opérations de concentration sous les seuils de notification mais posant des risques importants pour la concurrence, sur la base de l'article 22 du règlement européen sur les concentrations. Cette disposition permet le renvoi à Bruxelles de concentrations sous les seuils européens dont sont saisies les autorités nationales, et ces dernières ont interprété ce texte comme pouvant aussi s'appliquer en cas de non-franchissement des seuils nationaux. Plusieurs cas ont ainsi donné lieu à une intervention de la Commission, débouchant, le cas échéant, sur une décision d'interdiction comme ce fut le cas dans l'affaire « Illumina/Grail » en 2021. L'entreprise pharmaceutique Illumina n'a pas manqué de contester cette interprétation extensive de l'article 22. Statuant en grande chambre le 3 septembre dernier, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a mis un terme à cette pratique en estimant que la Commission ne peut valablement recevoir de renvois de projets de concentration n'atteignant pas, a minima, les seuils d'une ou plusieurs autorités nationales de la concurrence.
Cette voie étant désormais fermée, la Commission comme les autorités nationales peuvent toujours tenter de contester ces opérations sous les seuils en utilisant les règles relatives aux abus de position dominante (approche validée par la CJUE dans l'affaire « Towercast » [C-449/21 du 16 mars 2023]). L'Autorité de la concurrence française a également prononcé un non-lieu dans une affaire où les services d'instruction tentaient de remettre en cause une opération de concentration sur le terrain des règles relatives aux ententes.
Plusieurs autorités ont annoncé des réformes à venir à la suite de l'arrêt de la Cour de justice - dont l'ADLC qui a mené une consultation publique du 14 janvier au 16 février 2025 sur les pistes d'évolution des textes nationaux.
CJUE, 3 septembre 2024, aff. C-611/22 P et C-625/22 P.
Enquêtes
Le coût de l'obstruction illustré par deux décisions. Deux affaires récentes témoignent des risques pesant sur les entreprises qui ne prennent pas toutes les dispositions pour assurer le respect de leur obligation de coopération à l'enquête lorsqu'elles font l'objet de « dawn raids » ou « visites et saisies », autrement dit d'opérations d'inspection inopinées que peuvent lancer les autorités de concurrence européennes dans tous les Etats membres.
La Commission a ainsi infligé à une entreprise française visée par des inspections en 2023 une amende de 15,9 millions d'euros pour une suppression de messages WhatsApp réalisée par un dirigeant qui avait pourtant reçu un message l'informant de l'enquête en cours et lui demandant de ne pas effacer de données. L'Autorité de la concurrence a, pour sa part, sanctionné un groupe à hauteur de 900 000 euros pour avoir donné des informations inexactes sur l'endroit où se trouvait un des dirigeants concernés, dissimulé dans ses locaux pendant une partie de l'intervention.
Afin de limiter de tels risques, il est aujourd'hui plus que nécessaire de former les équipes en amont.
Commission européenne, décision du 24 juin 2024, affaire AT. 40882 - IFF - suppression de données.
Décision ADLC n° 24-D-08 relative à des pratiques d'obstruction mises en œuvre par le groupe Loste, 24 septembre 2024.
A suivre
Quand des mesures de simplification ne facilitent pas le respect des règles de concurrence. Le décret visant à simplifier le droit de la commande publique, qui fait suite aux Rencontres de la simplification initiées à l'automne 2023 et à une phase de consultation à l'automne, a été publié au « Journal officiel » du 31 décembre 2024. Ce texte entend notamment simplifier l'accès des entreprises à la commande publique avec plusieurs innovations bienvenues, mais aussi une modification qui refait surgir la question de la cohérence entre réglementation des marchés publics et règles de concurrence.
En effet, il est désormais prévu dans certaines procédures de passation qu'un candidat invité à négocier ou à participer au dialogue puisse, après cette date, se faire autoriser par l'acheteur à se constituer en groupement avec d'autres candidats eux-mêmes admis ou à modifier la composition de son groupement. Cette faculté est évidemment ouverte sous condition, d'une part, que le groupement conserve les garanties requises dans la procédure en cause et, d'autre part, que cette modification ne porte pas atteinte au principe d'égalité de traitement des candidats ni à une concurrence effective (art. R. 2142-3 et R. 2142-26 du Code de la commande publique).
Le cas de la réduction d'un groupement parce qu'un de ses membres se retirerait ou disparaîtrait a pu être traité en jurisprudence et ne semble pas problématique. En revanche, des alliances entre candidats dans la phase de négociation des offres posent de nombreuses questions au regard des principes rappelés d'égalité et de respect des règles de concurrence…
Décret n° 2024-1251 du 30 décembre 2024 portant diverses mesures de simplification du droit de la commande publique.
(1) « Le Moniteur » du 13 septembre 2024, p. 74.