Concurrence : l'essentiel du premier semestre 2024

Sélection des décisions pertinentes et des évolutions des textes applicables tant au niveau national qu'européen.

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
6321_344988_k2_k1_831052.jpg

Ententes

Une entente nationale dans le secteur des produits préfabriqués en béton lourdement sanctionnée. L'Autorité de la concurrence (ADLC) a infligé 76,6 millions d'euros d'amendes à 11 entreprises dans une affaire d'entente ouverte après des perquisitions pénales diligentées sur la base d'un signalement qu'elle avait fait au parquet. En effet, ses services d'instruction n'hésitent pas à envoyer certains dossiers au pénal en prêtant leur assistance aux perquisitions en lieu et place des habituelles visites et saisies administratives. Cela permet à l'ADLC de bénéficier de mesures d'instruction qu'elle ne pourrait elle-même déclencher (comme les écoutes téléphoniques) et de mettre la procédure à l'abri des recours ouverts contre les visites et saisies.

Il s'agissait en l'occurrence d'une entente généralisée au plan national impliquant des accords sur les prix et les volumes dans le secteur des produits préfabriqués en béton, notamment pour l'attribution des appels d'offres passés par les clients des secteurs de la construction et du négoce.

Fait assez rare, la décision examine aussi dans quelle mesure un cabinet d'avocats pourrait être considéré comme ayant participé à l'entente en tant que facilitateur par les conseils qu'il a prodigués et qui auraient visé à prévenir la détection des pratiques. En définitive, l'Autorité a renoncé à sanctionner ces faits en raison de l'insuffisance des éléments de preuve réunis, mais le message est clair.

Décision ADLC n° 24-D-06 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits préfabriqués en béton, 21 mai 2024 (cette décision fait actuellement l'objet d'un recours).

Transaction dans une affaire de devis de complaisance. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a fait usage de son pouvoir de transaction afin de mettre fin à une entente anticoncurrentielle locale, par laquelle un syndic immobilier sollicitait des devis de complaisance de plusieurs sociétés pour des travaux de peinture en bâtiment et de réfection de sols dans le Bas-Rhin. Toutes les entreprises, y compris le syndic, ont accepté de transiger avec la DGCCRF pour un montant total d'amendes de 228 900 euros.

Communiqué de presse de la DGCCRF, 4 janvier 2024.

Concentrations

Quand une concentration sous les seuils de contrôle peut être rattrapée par l'interdiction des ententes. La liste des moyens de contestation des concentrations n'atteignant pas les seuils à partir desquels elles doivent être notifiées ne cesse de s'allonger. Depuis plusieurs mois en effet, le débat est ouvert sur la possibilité pour les autorités des Etats membres de renvoyer à la Commission européenne l'examen des killer acquisitions (1) n'atteignant pas les seuils de contrôle (2). La Cour a également rappelé qu'une acquisition par un opérateur dominant et qui risque d'entraver significativement la concurrence peut aussi être examinée au titre des abus de position dominante (affaire « Towercast », C-449/21).

Dernière pièce à l'édifice, résultant d'une décision rendue par l'Autorité de la concurrence au printemps : des cessions croisées entre acteurs concurrents peuvent aussi tomber sous le coup de l'interdiction des ententes. En l'occurrence, les entreprises ont été relaxées faute de preuve suffisante d'un objet ou d'un effet restrictif de concurrence, mais le principe est clairement réaffirmé.

Décision ADLC n° 24-D-05 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'équarrissage, 2 mai 2024.

Des cessions croisées entre acteurs concurrents peuvent tomber sous le coup de l'interdiction des ententes.

Enquêtes

La Commission européenne rappelée à l'ordre sur le traitement des données personnelles. Dans le cadre d'une enquête pour éventuel gun jumping (3), la Commission européenne avait adressé à deux entreprises une demande de renseignements pour obtenir des éléments de preuve stockés sur les moyens de communication de salariés et dirigeants. La Cour de justice a estimé que les entreprises étaient fondées à se plaindre du fait que la demande de Bruxelles les exposait à violer le droit à la vie privée de leurs salariés, ce qui relève d'une infraction pénale en France. L'arrêt établit la nécessité d'un niveau de protection adapté des données personnelles des salariés et dirigeants dans le cadre des enquêtes de la Commission.

Ordonnance du vice-président de la CJUE, 11 avril 2024, aff. C-90/24.

Aides d'Etat

Retrait volontaire d'une entreprise chinoise d'un appel d'offres suite à l'ouverture d'une enquête sur le fondement du règlement relatif aux subventions étrangères. Le règlement européen 2022/2560 du 14 décembre 2022, qui vise à remédier aux distorsions créées par les subventions accordées par des pays tiers, oblige toute entreprise souhaitant soumissionner à des marchés publics dans l'Union européenne de plus de 250 millions d'euros et ayant bénéficié de contributions financières étrangères supérieures à 4 millions d'euros au cours des trois dernières années à solliciter une autorisation préalable de la Commission européenne. La notion de contribution financière est très large et inclut tout paiement obtenu d'Etats tiers ou d'entreprises contrôlées par des Etats tiers.

Bruxelles a indiqué en février dernier avoir ouvert sa première enquête approfondie à propos de la participation d'un groupe ferroviaire étatique chinois à un appel d'offres du ministère bulgare des transports pour des trains électriques et leur entretien. Le 26 mars, la Commission a annoncé la décision de l'entreprise chinoise de se retirer de l'appel d'offres. L'enquête se poursuit néanmoins mais cette affaire montre que l'outil peut permettre d'obtenir un résultat avant attribution, ce qui est beaucoup plus simple.

Communiqué de presse de la Commission européenne (IP/24/887), 16 février 2024.

   La CJUE rappelle la nécessité d'un niveau de protection adapté des données personnelles des salariés et dirigeants dans le cadre des enquêtes de la Commission.

A suivre

Des projets de textes en attente. Le projet de loi de simplification de la vie économique, dont le Sénat avait achevé l'examen en séance publique le 5 juin, vise à relever nettement des seuils de notification des opérations de concentration. Ce rehaussement a pour objectif de faire diminuer les charges pesant sur les petites entreprises, mais aussi de désengorger le service des concentrations de l'Autorité de la concurrence. Hors outre-mer et secteur de la distribution, les seuils seraient modifiés comme suit :

- le chiffre d'affaires total mondial hors taxes de l'ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration passerait de 150 à 250 M€ ;

- le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé en France par au moins deux des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés passerait de 50 à 80 M€.

Cependant, en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin, le parcours législatif du texte a été stoppé. Il en est de même s'agissant de la proposition de loi visant à protéger la confidentialité des consultations des juristes d'entreprises : le texte, adopté par les députés, est dans l'attente du vote des sénateurs.

(1) Acquisitions, par des acteurs établis, de start-up prometteuses susceptibles de les concurrencer à terme, à un moment où ces start-up réalisent un chiffre d'affaires qui passe sous les radars des autorités de concurrence.

(2) Cette possibilité avait été admise par le Tribunal de l'UE dans l'affaire « Illumina Grail » (T-227/21), mais la Cour de justice y a mis un terme par un arrêt du 3 septembre 2024 (C-611/22 P) qui sera commenté dans notre prochaine chronique.

(3) Réalisation anticipée d'une opération de concentration soumise à autorisation, en violation de l'obligation de suspension.

Abonnés
Analyses de jurisprudence
Toute l’expertise juridique du Moniteur avec plus de 6000 commentaires et 25 ans d’historique
Je découvreOpens in new window
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !